Pape Diop, art brut de Dakar à Paris
par Orélien Péréol
samedi 28 décembre 2019
A La Fabuloserie Paris, 52 rue Jacob 75006 Tél : 01 42 60 84 23.
Exposition visible, accrochage terminé. Vernissage le 4 janvier 2020 de 16h à 21h.
Pape Diop est une figure de la Médina de Dakar. Ce quartier a été bâti au début du XXème siècle, en 1914, après que les noirs aient été exclus de la ville, parce qu’ils étaient rendus responsables d’une épidémie de peste. Pape Diop y vit comme un poisson dans l’eau, c’est son air, son élément, qui le porte et qu’il porte en retour. Son art est sa passion, passion unique et exigeante.
Il attrape tout ce qui lui permet de dessiner et grapher, si l’on peut dire ainsi. Il attrape des bouts de planches, de toutes tailles, de toutes formes et crée en urgence et presque sans s’arrêter une œuvre qu’il redispose dans le quartier. Exposition permanente. Exposition éclatée. Il collecte des objets jetés ; leur redonne une vie, une signification artistique pleine, qu’il restitue au même quartier. Tout peut faire trace et lui donner la matière de son œuvre. Il fait flèche de tout bois : café, mégots, filtres de cigarettes, charbons de bois, plâtre, morceau de verre, bouts de plastique… il dessine avec dextérité sur les murs, sur le sol. Il dépose ses tableaux, ceux peints sur une planche dans les rues populaires de la Médina. Jamais il ne s’arrête. Il court la ville, il court la rue, danse au milieu des voitures. Il crée des objets éphémères, des œuvres d’art passagères… Il crée des ceintures, des bagues, des bracelets… D’un presque rien à peine visible, il fait une petite beauté dans l’instant et pour l’instant. Il ne vise vraiment pas la postérité, il est là et maintenant, son geste est pur, entier, unique et, comme pour l’oiseau qui passe, pour l’eau qui coule, pour le soleil ou son reflet la lune… trouve son sens en lui-même.
Il a l’air d’un jeune chien fou, jamais en repos, c’est un artiste brut d’art brut. Un poète total. Son art, sa vie et son quartier ne font qu’un dans la déambulation échevelée qu’il mène à toute vitesse. C’est comme s’il voulait être partout à la fois, un esprit qui condense la Médina dans un geste rapide et fou, d’une beauté hors norme.
Un autre enfant de la Médina, Mamadou Boye Diallo, dit Modboye, est devenu son ami, qui le piste et collecte ses œuvres. Avec sa compagne, Mélodie Petit, ils ont porté le regard qu’il fallait pour distinguer dans ce flot de productions aussitôt créées que données, cédées à la Médina, une démarche créative intense et riche. Modboye et Pape Diop sont en dialogue continu, prennent le café ensemble, parlent, refont le monde. Modboye a créé Yataal Art (élargir l’art en wolof), une association dédiée à l’Art brut.
C’est ainsi qu’il a fait exposer Pape Diop à l’Institut Français de Dakar au printemps dernier. Il est collecteur des œuvres de Pape Diop, lequel est fier de cette reconnaissance de son talent, voire génie.
C’est ainsi qu’on peut voir Pape Diop à Paris en ce moment. Sophie Bourbonnais a tout de suite été séduite par la qualité des dessins de Pape Diop. Il faut dire qu’elle est sensibilisée puisqu’elle dirige la Fabuloserie, Musée d’Art Hors Les Normes / Art Brut qui se tient à Dicy dans l’Yonne. L’âme de Jean Dubuffet plane sur cet ensemble.
Il n’est pas certain que Pape Diop connaisse Dubuffet, même dans la vie qu’il a eue avant son inscription dans la Médina. Sa nécessité intérieure l’emporte et lui suffit. Ses créations sont une sorte de recréation permanente de la Médina et de lui-même.
Les créations de Pape Diop font fi de toute séparation, distinction. Elles brouillent, sans le vouloir, les catégories artistiques, jouent à saute-frontières, brassent les arts : art populaire, art naïf… hors-norme… Elles sont tout ça à la fois. Elles nous touchent au cœur, car elles sont nées sans calcul d’aucune sorte : de l’art brut…