Par contre versus en revanche

par Orélien Péréol
samedi 5 mars 2016

 L'emploi de « par contre  » fait l'objet d'une attention aiguë de la part d'un grand nombre de professionnels de la langue française (professeurs, journalistes, éditeurs...). Une « loi  » considérerait que « par contre  » n'est pas correct, qu'il faut dire et écrire « en revanche  ». La plupart de celles et ceux qui défendent cette idée sont bien incapables d'en donner une raison. Ils disent souvent  : « c'est ce qu'on m'a appris  ». Ils y tiennent mordicus cependant et en font un marqueur d'une bonne connaissance et d'un bon respect de la langue française. L'instrumentalisation de ces locutions a des fins de sélection (éditoriale notamment) devrait scandaliser. On retrouve là une bizarrerie du peuple français qui tient pour meilleur que tout la conservation de l'ancien (voir la dernière querelle sur le trait d'union et le « ph  », l'accent circonflexe).

Écrire « par contre  » est parfois pris pour le signe qu'on est un moins-que-rien et discrédite tout ce qu'on pourrait dire ou écrire. Cette sévérité est folle et cruelle, outre que « par contre  » est tout-à-fait convenable et respectueux de la langue française.

Ce jugement sur le bon usage de la langue française est un jugement social avant tout, et des plus aristocratique, c'est-à-dire réactionnaire. Celles et ceux qui ont compris le caractère élitiste de ces évaluations impromptues, permanentes, tacites la plupart du temps ont un avantage énorme sur celles et ceux qui n'en savent rien ou peu de choses, qui n'y font pas attention et seraient surpris et révoltés de savoir qu'ils sont aussi jugés sur si peu, qu'ils sont aussi jugés par leur comportement dans ce domaine, sur des petites choses, des têtes d'épingles, servant d'emblêmes.

Ce qui peut se dire pour refuser « par contre  » n'est pas très logique. La condamnation initiale vient de Voltaire  : l'expression venant du commerce devait y rester. C'était en 1737. On écrivait « enfan  », la « nation françoise  », « j'avois  »... Deux poids deux mesures, donc. L'Académie française en déconseille l'usage, tout en reconnaissant que des auteurs prestigieux , dont des académiciens, l'ont écrit (comment faire autrement que le reconnaître  !). Double discours encore. Grevisse qui est souvent cité comme référence pour ce genre de choses, met « par contre  » dans le bon usage.

Alain Rey se place au niveau sémantique. « Par contre  » ne convient généralement pas, parce contre signifie contraire. On pourrait dire, « j'aime ma cousine, par contre je n'aime pas son frère  » mais on ne pourrait pas dire « j'aime ma cousine, par contre je ne la vois pas souvent  ». Employer « par contre  » pour « en compensation  » serait faux par ce qu'un contre est un contraire. C'est faire fi de ce qu'est le langage et de ce qu'est son rapport au réel, soit son mode. « Les chiens et les chats font trois portées de six à huit petits par an, en moyenne, à l'âge adulte  ». Essayez de faire faire des petits à un chien et un chat... Néanmoins, la phrase est très claire. Elle fait l'ellipse du mot « espèce  » au sens des espèces animales, ce sens est contenu dans les mots « chiens  » mis pour « l'espèce des chiens  » et « chats  » (l'espèce des chats) et on s'en passe très bien. Le journal Le Monde titre  : Untel, père et fils, font du lait depuis plusieurs générations. On comprend que les Untel ont une exploitation agricole qui produit du lait. Personne ne comprend qu'il s'agit d'une famille dans laquelle les mâles produiraient du lait par une exception biologique.

Pour définir un contraire, il faut au moins savoir dans quel contexte générique, dans quel référentiel, on se place. Le beau temps est en général le temps ensoleillé et le mauvais temps la pluie. Vision de citadin, qui va à la campagne en vacances. Pour la plupart des paysans, la sécheresse est du fort vilain temps. Pour la plupart des paysans, l'alternance de pluies et de soleil est le meilleur temps possible. Au passage, notons l'irrégularité, inobservée et non-problématique, de beau temps opposé à mauvais temps au lieu beau temps/vilain temps ou bon temps/mauvais temps...

Le contraire de « dur  » qui vient immédiatement à l'esprit est « mou  ». Pour un steak, ce serait plutôt « tendre  ». On peut avoir « doux  », « cassable  », « friable  », pour un élève « facile  » (« c'est facile  ? Non, c'est dur  »)...etc. Frais (pain dur/pain frais)... Qui veut en trouvera d'autres... (un site en cite (sic) quarante-neuf).

On pourrait dire « sciences dures  » (exactes, répétitives, sur des objets obéissant à des lois déterminées) et « sciences tendres  » sur des objets humains, mouvants, incertains, qui réagissent aussi aux résultats des analyses posées sur eux, avec qui il faut avoir un peu d'empathie, de tendresse... et non pas « sciences molles  » qui tend à « sciences informelles  » et par là insignifiantes.

Surtout, Monsieur Rey, dire que « par contre  » ne pourrait se mettre qu'entre deux propositions en opposition indiscutable, en contraires, en « contre  » exact doit s'appliquer à « en revanche  » qui est pour vous la norme incontestable. La revanche est un acte d'une importance énorme dans la vie des hommes  ; la mettre à toutes les sauces est un manque de délicatesse, voire un mépris difficile à accepter. « Il pleut, en revanche la température est agréable  ». Comment pouvez-vous imaginer la revanche de la température sur la pluie  ?

Voilà pourquoi, je suis un partisan farouche de « par contre  ».

Il est nécessaire de réserver la revanche à l'idée de revanche qui ne peut être qu'humaine d'une part, et qui concerne, d'autre part, certaines intentions précises, certains actes forts... la revanche ne saurait être dévoyée de ce sens sans de sévères et inutiles pertes anthropologiques.

Nouvelle écriture spontanée

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