Paris : bienvenue au Musée d’Histoire de la Médecine

par Fergus
jeudi 26 mars 2020

Installé au cœur du Quartier Latin, dans une très belle salle du 3e étage de la Faculté de Médecine Paris V-René Descartes, ce musée très méconnu – la plupart des Parisiens eux-mêmes en ignorent l’existence – mérite incontestablement une visite…

Quelques mots tout d’abord sur le lieu. C’est à l’architecte Jacques Gondoin que l’on doit la très belle architecture néo-classique du « Collège de Chirurgie » dont l’entrée, encadrée par une très belle colonnade ionique, est située au 12 rue de l’École de Médecine (Paris 6e). À cet ensemble sont venus s’ajouter de nouveaux bâtiments, édifiés à la fin du 19e siècle par l’architecte Léon Ginain. C’est au dernier niveau de l’un d’eux qu’a été construite, entre 1905 et 1907, la très belle salle qui nous intéresse ici, non dans le but initial d’en faire un musée, mais une bibliothèque médicale. Et, de fait, cette superbe salle, longue de 25 m et large de 8 m, évoque une bibliothèque ancienne avec ses magnifiques boiseries, ses vitrines et ses galeries équipées de balustrades en fer forgé, le tout surmonté d’une belle verrière. À elle seule, cette salle mérite la visite. 

Une partie des objets présentés dans les vitrines du musée a été réunie au 18e siècle par un doyen nommé Lafaye. Ces pièces – très anciennes pour certaines d’entre elles – étaient alors exposées dans un local du Cabinet d’Anatomie avant que la Révolution ne dissolve les corporations. L’idée d’installer un véritable musée de l’Histoire de la Médecine a été évoquée pour la première fois en 1890, mais aucune suite n’y a été donnée, et les collections sont restées entreposées dans des locaux banals sans souci d’exposition didactique. Il a fallu attendre 1955 pour que s’ouvre enfin le musée d’Histoire de la Médecine dans le cadre actuel par la volonté du doyen Léon Binet. Aux collections de Lafaye sont, depuis, venues s’ajouter de nombreuses pièces qui couvrent l’ensemble des disciplines de l’art opératoire du 19e siècle.

Le prix d’entrée dans ce musée thématique est modique (3,50 € pour le tarif plein et 2,50 € pour le tarif réduit) et, sauf à être – à titre professionnel ou personnel – passionné de médecine et de chirurgie, la visite ne dure guère plus d’une heure. Mais elle est en tous points passionnante, y compris pour les personnes qui sont peu familiarisées avec le monde médical.

Mieux vaut toutefois ne pas trop chercher à visualiser l’usage de certains des instruments exposés ou les explications données par certains cartels. On peut en effet découvrir dans ce musée de nombreux outils d’amputation : non seulement des scies de différentes époques, mais aussi des couteaux dont les plus anciens, de forme courbe, datent du Moyen Âge. Sont également exposés des instruments de trépanation – certains très proches des chignoles de nos grands-parents –, le forage de la boîte crânienne étant déjà pratiqué, à des fins parfois obscures, depuis le… néolithique. L’une des pièces les plus remarquables de l’exposition est d’ailleurs un vieux coffret de trépanation datant de 1550.

Parmi les objets insolites pour le profane figurent aussi un « rétracteur » du 18e siècle destiné à faire de « beaux moignons », ou bien encore des « tire-balles » de la même époque, principalement utilisés par les chirurgiens militaires. Insolites également, ces outils utilisés autrefois pour « couper et sortir les membres des enfants morts » du ventre de leurs mères. Ou bien encore ces « glossocatoches », nom donné à des outils destinés à maintenir ouverte la bouche des patients.

Sont également visibles dans le musée, outre de nombreux bistouris*, écarteurs, pinces et autres instruments de chirurgie, quelques forceps et des spéculums anciens, de même que des instruments du 19e siècle servant au broyage des calculs dans la vessie, tels ces « lithotomes » qui permettaient l’extraction des débris par la voie urinaire. Pas très réjouissant d’imaginer pareille intervention sans anesthésie. Et que dire de la première opération moderne de la cataracte, réalisée par Charles Saint-Yves en… 1708, nous rappelle un cartel disposé près d’une belle collection d’yeux en verre reproduisant les pathologies de ce précieux organe ? On imagine aisément la terreur du patient.

Parmi les autres objets visibles dans le musée figurent un coffret de chirurgie complet comportant un « ensemble de 40 instruments pour la trépanation, l’amputation et la chirurgie des voies urinaires », plusieurs prothèses de main en métal et cuir – la plus ancienne remonte au 16e siècle – et des bandages herniaires en toile et en métal dont le plus ancien a été daté de l’an 700 environ. Spectacle moins éprouvant : on peut également voir en vitrine des… biberons de différentes époques – principalement du 17e au 19e siècle – en étain, en argent ou en verre soufflé ; le doyen de la collection, en terre cuite, date de l’époque gauloise.

Intéressante également, cette série d’appareils acoustiques conçus au début du 19e siècle par Jean Itard, pionnier de l’otologie. Parmi ces appareils, un cornet se distingue des autres ; et pour cause : il est constitué d’une conque naturelle fixée à un conduit auditif métallique. Plus discret, mais émouvant, un échantillon de pénicilline sous verre offert par Alexander Fleming nous rappelle la grande avancée qu’a marqué cette découverte dans l’histoire de la médecine.

Aux objets fonctionnels s’ajoutent en outre quelques magnifiques pièces, tels cette maquette d’étuve à désinfection par le formol, et ce splendide écritoire du Collège de chirurgie datant du 18e siècle. Remarquable également, une magnifique statuette en bois d’Ambroise Paré, ce modeste barbier devenu le Premier chirurgien de quatre rois de France**. Sans oublier le mannequin anatomique réalisé par le naturaliste italien Felice Fontana à la demande du général Bonaparte lors de la campagne d'Italie : une pièce magnifique, composée de 3 000 pièces en bois qui s'emboîtent les unes dans les autres.

Outre l’architecture du lieu et la valeur pédagogique des collections présentées, il est un autre point d’intérêt dans la visite du musée d’Histoire de la Médecine. Juste avant d’accéder aux collections par une dernière volée d’escalier, on peut en effet découvrir sur un palier le tableau d’André Brouillet intitulé Une leçon clinique à la Salpêtrière. On voit sur cette célèbre toile de 1887 – un grand format de 430 x 290 – le neurologue Jean-Martin Charcot décrire, devant une assemblée d’éminents médecins, la pathologie dont souffre l’« hystérique*** » Blanche Wittman, placée sous hypnose par ses soins.

Paris ne manque ni de monuments séduisants ou spectaculaires, ni de musées passionnants à bien des égards. Bien que modeste, le très méconnu Musée d’Histoire de la Médecine fait partie de ces derniers. Qui plus est, il est situé au cœur de l’un des quartiers les plus attachants de la capitale. Seule réserve : pour cause de pandémie de Covid-19, il faudra attendre quelques semaines pour qu’il rouvre ses portes.

Mot dérivé du nom d’un petit poignard de la Renaissance italienne : le bistorio. C’est Ambroise Paré qui mentionna le premier cet outil chirurgical.

** Ambroise Paré a effectivement été au service de quatre rois : François IerHenri IICharles IX et Henri III.

*** Cf. article de 2011, déjà illustré par le tableau de Brouillet : La femme « hystérique » très tendance en cette fin d’année.

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