« Père » Coup de Maître Desplechin à La Comédie-Française ?

par Theothea.com
lundi 28 septembre 2015

A la suite du mandat de Muriel Mayette à la tête du Français, il était écrit, dès l’annonce printanière du programme de la saison 15-16 assumé désormais à part entière par Eric Ruf, que l’évènement médiatique majeur en serait le spectacle d’ouverture en salle Richelieu, puisque le nouvel administrateur avait souhaité inviter Arnaud Desplechin à mettre son talent de metteur en scène au service de la troupe de la Comédie-Française.

PERE
photo © Vincent Pontet

Peu convaincu d’emblée de sa compétence à pouvoir maîtriser son savoir-faire cinématographique en l’adaptant subitement aux planches, celui-ci finit par s’y résoudre à l’idée de monter « PERE » qu’il avait vu avec enthousiasme à sa création, en 1991, par Patrice Kerbrat sur cette même scène prestigieuse.

Dans cette perspective, son intention serait d’élaborer sa mise en scène en s’inspirant principalement d’Ingmar Bergman dont le style lui paraissait autant en phase avec l’œuvre de Strindberg qu’avec la perception de ton que lui-même lançait en défi à sa sensibilité créatrice !

Au vu des deux Générales ayant ainsi donné le coup d’envoi du renouveau dans la Maison de Molière, l’ensemble de la critique dramatique s’accorde à considérer ce coup d’essai comme une réussite de réalisation théâtrale autour d’un splendide décor sur plusieurs plans de profondeur baignés constamment par des lumières pleines de subtilités sensorielles à l’image d’une musique sidérale ponctuant discrètement l’évolution des tensions relationnelles sur le plateau.

Fort de ce brillant cadre contextuel, le cinéaste n’avait plus qu’à inscrire son schéma mental bergmanien en l’appliquant pas à pas à la lutte à mort que se livrent méthodiquement le Capitaine (Michel Vuillermoz) et sa femme Laura (Anne Kessler) autour de Bertha leur fille (Claire de la Rüe du Can) pour laquelle, de toute évidence, ils ne nourrissent pas la même ambition éducative.

Voilà pour la pertinence des disputes que devrait se livrer crescendo le couple avec un systématisme cynique censé témoigner, comme l’applique avec constance Strindberg dans son œuvre, d’une dominante irréconciliable entre masculin et féminin.

De plus, pour étayer cette dégradation irréversible, l’auteur fait appel à la notion du doute inquisiteur, pernicieux et particulièrement destructeur, distillé en l’occurrence à propos des preuves de paternité difficilement prouvables à l’époque en dehors de toute confiance réciproque !

C’est donc, peu à peu, les prémices de la folie qui s’immisceront dans l’esprit du Capitaine, comme mû par sa propre incertitude sur la véracité de son statut paternel au sein d’une relation conjugale en plein ébranlement et à partir de laquelle celui-ci serait en train de perdre son pouvoir machiste absolu.

Ce jeu de torture mentale réciproque dont se gratifient deux êtres qui, d’antan, étaient censés avoir vécu le grand Amour, constitue donc le thème principal de la pièce de Strindberg, devant s’adapter présentement à l’esthétique bergmanienne conçue par l’invité de la Comédie-Française.

A ceci près, que celui-ci, subjugué par le réalisateur de « Cris et chuchotements », semble s’être pris au jeu de la sincérité dialoguée mezza voce au sein d’un espace à l’acoustique certes réévaluée récemment, mais, néanmoins, pas nécessairement adaptée aux confidences conflictuelles murmurées…

Que la lutte mentale soit intériorisée au point d’être exprimée dans une constante réserve feutrée est en soi un parti-pris tout à fait légitime mais cette intimité est-elle véritablement adaptée au volume de la salle Richelieu ?

Et surtout correspond-t-elle vraiment aux modalités du combat existentiel entre homme et femme, prêts à affronter les déchirures extrêmes par les mots qui font mal et par la conscience d’une destruction irrémédiable qu’ils se renvoient sans retour en arrière possible ?

Autrement dit, l’idée de superposer sous « plan cinématographique rapproché » une perspective mentale bergmanienne quelque peu abstraite sur la dialectique de Strindberg ayant besoin paradoxalement d’incarnation, de tension palpable, de violence objectivée, de chair et d’esprit meurtris, ne correspondrait-elle pas à un séduisant faux-semblant qui, de fait, anesthésierait la juste perception de la pièce de Strindberg ?

Le débat demeurera sans doute ouvert mais, en tout état de cause, il s’avère que la création théâtrale d’Arnaud Desplechin correspond parfaitement à ses intentions initiales et que, par conséquent, cette faculté à concrétiser formellement son intuition théâtrale, grâce notamment à une direction d’acteurs les mettant en intense écoute mutuelle, mérite en soi respect, admiration et donc applaudissements pour ce « coup de maître ».

photos © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

PERE - **.. Theothea.com - d'August Strindberg - mise en scène Arnaud Desplechin - avec Martine Chevallier, Thierry Hancisse, Anne Kessler, Alexandre Pavloff, Michel Vuillermoz, Pierre Louis-Calixte, Claire de La Rüe du Can & Laurent Robert - Salle Richelieu Comédie Française

PERE
photo © Vincent Pontet

 


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