« Phantom of the Paradise » de De Palma : l’apothéose rock !

par la Singette
samedi 15 avril 2017

Baroque à souhait ce film, représente un haut fait du cinéma des années 70 aux multiples influences musicales rock et littéraires. Brian de Palma propose une métamorphose kafkaïenne existentielle qui tord le cou à l’industrie du disque, véritable broyeur et absorbeur des tendances. Film intemporel et coffret DVD jubilatoire.

« Phantom of the Paradise » (1974) obtint le Grand Prix justifié au Festival international du film fantastique d'Avoriaz en 1975. C'est une parodie grandiloquente, une farce réjouissante de l'industrie du disque qui pourrait aussi s'appliquer à l'industrie du film d'hier et d'aujourd'hui. C'est l'histoire du cinéaste qui scie la branche sur laquelle il est assis confortablement.

 

Quelques mots de l'histoire aux multiples rebondissements. Swan joué par Paul Williams est le compositeur de toutes les musiques pop sirupeuses du film jusqu'aux cantiques heavy métal (à se tordre de rire et de distorsion). Ce Swan cherche du neuf archi neuf, ses sous neufs, du son qui produise son effet de vampire capitaliste et attire moult oreilles à écouter et acheter une musique conformiste et forcément commerciale. Tout bénef pour cézigue. Il va se servir du jeune et naïf Winslow pour piller son œuvre, une cantate rock et se l'approprier. Tous les moyens seront bons et pas de quartier. Vous assisterez à la scène la plus rapide dans l'histoire du cinéma où Winslow se fait la belle de la taule où il était enfermé à cause de Swan, qui pensait s'être débarrassé à jamais de lui. Entrant dans le ventre de l'industrie du disque, Winslow est défiguré et portera désormais le costume du fantôme errant entre la scène, les machineries et portes dérobées du « Paradise ». Cet antre de Swan dévoué à son commerce lucratif. Finalement un accord entre les deux hommes est trouvé. Le pacte est signé par le sang. Seulement Winslow est tombé raide dingue amoureux d'une chanteuse dénommée Phénix. Cet oiseau au ramage qui le démange. Appel à tire d'aile, quant au sort qu'ils subiront tous, lors du concert final du film, qui devait sceller le mariage entre Swan et Phénix.

Cette musique, l’héroïne du film, est directement issue de la société du spectacle de grand guignol. Elle s'attache à transbahuter les codes de la mort pour les présenter comme un produit fini à la cohorte d'une jeunesse déboussolée qui aime se réfugier dans le gore. A tel point que Brian de Palma nous confie : « Je crois que plus je vieillis, plus je deviens visionnaire. Une grande partie de mon travail semble anticiper l'avenir. Dans le cas de Phantom of the Paradise, je pense vraiment qu'un jour, un chanteur de rock sera assassiné sur scène. Je pense que ce n'est qu'une question de temps ». (in livre du coffret, page 25) Patience alors, rien n’est perdu !

 

Cette culture rock des années 70, mais peut-on encore parler de culture ? Brian de Palma demeure dubitatif et expose les intentions de son film. « Le film tente de montrer ce que cela nous indique à propos de toute cette culture. Elle est obsédée par la mort, par l'idée de s'autodétruire, de s'auto-dévorer pour le divertissement et l'amusement. Voilà le sujet du film en gros. Je pense que ceux qui appartiennent à cette culture sont à la recherche de sensations de plus en plus fortes, que ce soit la nostalgie, le souvenir ou l'apocalypse. Ils veulent des choses capables de les émouvoir avec une intensité sans cesse accrue. Ils sont en manque de sensations, d'émotions. Ils sont devenus insensibles à force de prendre des drogues, de s'isoler du monde et ils cherchent des choses pouvant leur donner l'impression d'être vivants ». (in livre du coffret page 15)

En 1975, un an après la sortie de Phantom, Jim Sharman réalise « The Horror Picture Show » vraiment pitoyable vis à vis du film de De Palma. Et le Who's Who mondain du rock britannique croit se pousser la trique chez Ken Russel avec son « Tommy  ». La vague des opéras rock était lancée pour le pire et pas le meilleur.

 

Quelques traductions des chansons du film sont données dans le livre du coffret. On jongle entre la cruauté affirmée des sens en émoi du refrain de « Hell of it » : « Né vaincu et mort en vain / Hier destructeur accro à la douleur / Même si ta musique te survit / On est ravis que tu sois mort  »... Le mythe de Faust revisité : «  En perdant pied / J'ai juré de vendre mon âme pour un amour / Qui chanterait ma chanson / Et remplirai ce vide en moi / Un amour / Qui chanterait ma chanson / Et s'allongerait auprès de moi pour rêver  ». Sortez les violons, plus mièvre, tu crèves !

Vous l'aurez ressenti, Brian de Palma s'inspire de trois œuvres littéraires majeures. « Faust » de Goethe où le héros vend son âme au diable. « Le Fantôme de l'Opéra » de Gaston Leroux ou l'amour fou et impossible d'un fantôme pour une cantatrice de l'Opéra de Paris et « Le Portrait de Dorian Gray » d'Oscar Wilde, un jeune homme par un jeu de mémoire vend lui aussi son âme au diable pour se mirer une éternelle jeunesse.

Il y a aussi dans l'interaction des personnages du film entre eux, forcément aussi du Mary Shelley et son fameux Frankenstein, qui se greffe à la peau des principaux protagonistes du film. Avec l'emprunt de la voix de Phénix, la diva et les partoches de Winslow dans une ambiance de huit clos au sein d'un lieu plein de secrets et d'intrigues : le théâtre Paradise. Clin d’œil sans doute également à l'enfermement de De Palma au cœur de l'industrie hollywoodienne.

Swan le producteur véreux, (pléonasme me direz-vous), du fait de son pacte avec Méphisto représente un être empreint de capacités surnaturelles : redonner la voix à Winslow tombé sous sa coupe et répondant au même pacte que lui. Ils portent tous les deux le masque de la décadence jusqu'à l’apothéose de la scène finale du film où la mort en embuscade les saisit au vol. Du mariage à l'enterrement, il n'y a qu'un pas de danse sur un tempo d'enfer. Dante !

 

Si je m'abuse, il y a aussi du « Mabuse » dans ce film ! Le docteur Mabuse héros du cinéma expressionniste allemand se décline en quatre tomes. Une thématique autour du fantôme invisible qui nous poursuit jusque dans nos rêves. Fritz Lang, visionnaire des années 30 en Allemagne, s'était inspiré de la radio comme média qui sera employé à la perfection par le régime nazi, comme une arme de propagande massive. En transposant la télévision et les écrans de surveillance qui jalonnent toutes les pièces du théâtre Paradis pour surveiller chaque recoin. Il nous relate du côté de chez Swan du Phantom of the Paradise un univers paranoïaque et démoniaque. Où l'image prime désormais sur le son, pour emprisonner celles et ceux qui défigurent son champs de vision.

Il y a aussi une ambiance de clair-obscur autour du halo de Winslow, le compositeur bien naïf. Il maîtrise bien vite la lumière et l'énergie électrique, quitte à supprimer son concurrent direct. En grillant sur scène celui qui veut conquérir le cœur de sa bien aimée. De fait, lui qui agit dans l'ombre et l'invisibilité veut transcender sa condition au péril de sa vie.

 

Le film traite aussi du thème de la récupération par l'industrie du cinéma et de la musique de tous les mouvements contestataires pour en faire du fric facile à distiller. Brian de Palma ne s'y est jamais trompé. « Car le capitalisme s'y prend toujours de la même manière pour neutraliser une force contestataire, il la couvre d'or, du coup, elle n'est plus du tout contestataire et rentre dans le rang. (…) L'idée que le système finit toujours par vous récupérer m'obsède  ». (in le livre du coffret page 44) Avec un exemple actuel récurent : Bob Dylan le millionnaire de la chanson de protestation ricaine reçoit un prix Nobel !

 

De Palma a déjà subi les affres d'Hollywood et a été remercié par la Warner, suite à la dépossession de son film « Get to Know Your Rabbit » (1972). «  On m'a pris mon film, on la remonté et on l'a tout simplement fini sans moi. J'ai été viré, c'est aussi simple que ça  ». Tu m'étonnes qu'il veuille reprendre sa revanche avec «  Phantom » ! Il s'est juré désormais de diriger toutes les phases de la conception jusqu'au tournage de ses films.

 

Si comme le Bartos vous avez beaucoup ri des groupes costumés dépourvus de structure musicale et dont les textes tombaient dans le sirupeux agonisant et le rock binaire de zombi, vous allez adorer ce film. « Alice Cooper, » les « Kiss » et autres tragiques groupes de merdre merdre Père Ubu des années 70 sont mis en boite pour notre plus grand régal par le génie de De Palma.

De Palma est d'autant d'une modernité absolue, que dans son « Phantom of the Paradise », il traite de grands ados qui ne parviendront jamais à maturité, trop attachés qu’ils sont aux ressorts de leur nombril encombrants. La « Carrie au bal du diable » (1976) se dédouble de nos jours dans des personnages actuels du cinoche de 2017, sans avoir pris une ride. Je pense à plusieurs films dans la même verve de l’horreur d’une jeunesse qui s’agite dans la provocation, surfe avec la camarde et les transgressions sexuelles, voir sadomasochistes, le meurtre, le cannibalisme de «  Grave » de Julia Ducourneau ou « Mean Dreams » de Nathan Orlando…

 

Même si j'en conviens, De Palma a aussi tourné des œuvres de commandes dignes des nanars alimentaires.

De ses études poussées en maths physiques, on y retrouve son goût de l'invention et la recherche de nouvelles expressions à partir de techniques toujours plus élaborées, qu'il va brosser dans son art de cinéaste. Un professeur d'art dramatique Wilford Leach avait senti son talent en gestation. A tel point que De Palma reconnaissant nommera en son hommage « Winslow Leach  » le personnage principal de son film.

Il croisa lors de ses études des figures du cinoche qui deviendront incontournables : Francis Ford Coppola ou George Lucas. A cette période, il se gavait d'images de la « Nouvelle vague  » et disséquait tout le cinéma d'Alfred Hitchcock, cinéaste qu'il portait à son Parthénon. Sans pour autant créer des copies conformes du maître, mais en suivant une trame et un goût prononcé pour le suspense qu'il maîtrisait parfaitement. Y compris dans ses œuvres de jeunesse dont «  Phantom ».

A plusieurs reprises, il utilise le procédé des écrans divisés qui donnent deux points de vue entre l'action qui se déroule et le regard des spectatrices et spectateurs.

Ce qui aussi à voir avec la thématique du double qu'il manigance aussi dans « Phantom ». C'est à dire le rendez-vous de deux personnages aux antipodes. Le gentil et le méchant se reflètent dans leur personnage respectif et leur personnalité et dans ce qu'ils auraient pu advenir l'un et l'autre de façon diamétralement opposée, si les conditions de leur rencontre avaient été toute autres.

 

Dans mes critiques de de la filmographie de De Palma, J’avais déjà été enthousiasmée par « Hi Mom » (1970) qui avait précédé son « Phantom ». http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article7096

J’avais déjà été sous le choc de la subversion contre la censure dont il œuvrait déjà dans cette œuvre de jeunesse. Même qu'il avait failli être taxé de cinéaste porno !

 

Il a touché le seuil de ses 76 printemps et peut s’enorgueillir de quelques films hors du commun qui ont marqué les esprits et les marquent encore. C'est un signe de bonne santé, pardi !

 

Phantom of Paradise me laisse un goût de sourire et de joie, même si forcément les techniques et l'industrie du disque et du cinéma d'aujourd'hui ne correspondent plus vraiment aux critères d'hier. Ce film est toujours un régal et il y aussi des scènes torrides d'éclat de rire si chères à mes tripes. Je vous le recommande. Œuvre de jeunesse, certes qui se cherche encore, mais O combien réussie, avec les thèmes de suspens et d'horreur que l'on retrouvera par la suite dans la filmographie de Brian de Palma. La zizique, comme aurait dit ce cher Boris y a toute sa place de choix et encore une fois, la subversion en image inonde nos ondes. Miam miam.

 

Phantom of Paradise de Brian de Palma, nouvelle restauration 2 K, coffret ultra collector, Blu Ray et double DVD + livre de 160 pages avec nombreuses illustrations, distribué par Carlotta Films, sortie sur vos écrans le 12 avril 2017, avec comme d'habitude de nombreux suppléments, version originales sous-titrée en français, Couleurs, durée du film 92 minutes ou 88 minutes selon le master haute définition ou le nouveau master restauré

 


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