« Piranha 3D » : nanar ou non ?
par Vincent Delaury
vendredi 24 septembre 2010
Sur le Lake Victoria, sur fond de spring break*, la fête nautique bat son plein. Pendant ce week-end de Pâques, des milliers d’étudiants s’amusent et s’y baignent, tout en ignorant qu’un tremblement de terre a ouvert, sous l’eau, une faille par laquelle des piranhas ultra-voraces vont bientôt s’échapper. Ces derniers ont eux aussi envie de faire la teuf mais d’une tout autre façon…
Piranha 3D, pire Aja ? Que nenni ! C’est peu dire qu’on passe un bon moment sur le Lake Victoria, en Arizona, avec ces milliers d’étudiants du spring break victimes d’une ruée de piranhas surexcités jaillis d’une ouverture d’une faille sous-marine. Cette série B, lorgnant vers le Z décomplexé, a de beaux moments. Le carnage sur la plage d’une vingtaine de minutes est sang pour sang gore : voir ces centaines de nénettes gonflées style Airbag se faire dévorer par des animaux primitifs est un juste retour des choses ! Tuer l’artifice pour revenir à l’état sauvage - à bas les canons hollywoodiens liftés et les prothèses mammaires indigestes ! Vu le côté « show devant » du film et djeun’s décérébrés complètement avalés par la société du spectacle (ils s’affichent vulgairement, et sans tabous), on pense souvent à une espèce de Club Med freestyle ou plutôt d’Ile de la tentation qui, poussée au bout de son système (un théâtre de la cruauté sous vidéosurveillance), en viendrait à voir sa machine complètement dérailler et partir à vau-l’eau. D’ailleurs, dans la presse, le cinéaste a fait lui-même cette comparaison à propos de son film (in Technikart n°145, septembre 2010) : « [le tournage] C’était " l’Ile de la tentation " version lac. On avait mille Springbreakers – un ratio de deux filles pour un garçon -, des actrices assez chaudes… Je ne sais pas EXACTEMENT ce qui s’est passé mais j’ai entendu des choses folles… On avait un cascadeur que j’ai vu arriver super fringant – un Dieu grec, le mec – et repartir comme la dernière des épaves, genre Mickey Rourke en fin de carrière. »
Et, dans le film, le policier maritime black s’emparant d’une hélice de moteur de bateaux pour dézinguer du piranha est à mourir de rire, il est à deux doigts de virer de bord en passant de son statut de flic à celui de psychopathe sanguinaire ! Joli clin d’œil, soit dit en passant, au slasher de Haute tension, le 1er opus sanglant d’Aja. Bref, ici, on nage en plein gorno : mélange de gore et de pornographie (de l’image). Eli Roth, l’auteur des Hostel, est même de la partie. Mais le tout est tellement assumé, de par notamment les nombreux clins d’œil aux maîtres (Dante, Spielberg, Scott, Cameron...), qu’on se dit que tout ça est pour rire et qu’on est bien dans un parc d’attraction rejoignant l’origine foraine du cinéma d’antan : faire peur tout en amusant. A ce niveau-là, Aja remplit son contrat haut la main ; avec une mention particulière pour le plan sur la verge sectionnée du pornocrate non bouffée par les piranhas : très drôle ! Piranha 3D vaut vraiment son pesant de cacahuètes dans le genre pop corn movie régressif, cultivant humour noir et esprit potache. Seul bémol, Piranha 3D, c’est certes sea, sex, fun and… blood et bien mis en scène - le frenchy est très fort pour créer une haute tension dans de petits périmètres -, mais on sent que le final cut, qui appartient aux producteurs hollywoodiens (les frères Weinstein), lui a échappé. On l’aurait aimé davantage « gore déviant » dans la lignée de sa Colline a des yeux. Oui, dommage qu’ici, à l’inverse de films-jeux-de-massacre cultes (Gremlins 2, Starship Troopers, The Host), il n’y ait pas un contenu politico-sociétal plus marqué. Qui rendrait le film encore plus glissant entre les doigts, telle une anguille. Aussi, on attend avec impatience la sortie DVD de la version intégrale de Piranh... aja.
Version non censurée qui permettra de combler nos attentes en compensant certaines frustrations. Dans le scénario original, le regard d’un jeune Français sur l’Amérique est bien plus critique. Après Haute Tension (2003), Wes Craven et les majors hollywoodiennes ont voulu d’Aja parce qu’il nage comme un poisson dans l’eau dans le genre horrifique. Bob Weinstein s’attendait à un simple remake de l’original (Piranhas, 1978), signé Joe Dante et produit par Roger Corman, alors que les deux Français (Alexandre Aja et Grégory Levasseur) proposent moins un décalque qu’une variante sur le même thème : l’arrivée des piranhas affamés coïncidant avec un retour du refoulé. Le Piranhas de Dante faisait allusion aux imprudences scientifiques (les poissons carnivores servaient d’armes inédites pour remporter la guerre du Vietnam !) alors que celui d’Aja, dans la version longue, a des accents écologiques et cherche aussi à montrer l’abrutissement des masses par l’infantilisation généralisée et la carnavalisation de l’existence, le spectacle du faux se substituant à l’authenticité d’une vie vécue – à cet égard, caractéristique est la scène du réalisateur porno préférant réussir une belle image plutôt que de venir en aide à une personne en perdition. Par ailleurs, n’oublions pas que Piranha 3D, même dans sa version courte, démarre sur un accident environnemental : c’est une bouteille de bière jetée au fond du lac qui permet d’élargir la faille d’où les piranhas s’échappent. Le spring break, avec ses dommages collatéraux (pollution visuelle et autres), est remis en cause. Aja, dans Première n°402, août 2010, s’explique là-dessus : « (…) J’y ai vu ce paradoxe entre une Amérique sauvage sublime, avec des paysages à couper le souffle, et cette culture de l’excès qui vient pourrir le décor. Lake Havasu, c’est magnifique à la surface mais, dès que tu mets un masque et que tu plonges au fond du lac, tu y vois des restes de spring breaks et de fêtes du 4-juillet qui s’accumulent, avec des millions de canettes de bière, des cuvettes de W.-C. utilisées comme des ancres, des chariots de supermarché et tout ce qu’on peut imaginer. » De plus, soulignons qu’un plan, plus « engagé » en ce qui concerne une vision critique de l’Amérique mercantile, est passé à la trappe : on y voyait un ado obèse et un vacancier déguisé en Statue de la Liberté se faire dévorer par les piranhas vengeurs. « J’ai du m’en séparer à contrecœur. Bob et Harvey Weinstein ont estimé que ce genre de message " français " (sic) n’avait pas sa place dans un film comme Piranha 3D. » (Aja, in Première n°402).
Bref, vivement la version définitive pour se faire une idée plus précise du projet filmique d’Aja. Son 4e film, comme ses précédents (Haute Tension, La colline a des yeux, Mirrors), a le mérite de ne pas chercher à regarder de haut son genre : la série B, le film d’horreur. Le jeune cinéaste ne se la joue pas pédant, on sent qu’il aime vraiment ce cinéma-là, ne manquant pas au passage de rendre hommage à des visages cinématographiques familiers qui ont bercé notre jeunesse (Richard Dreyfuss des Dents de la mer et Christopher Lloyd de Retour vers le futur). C’est donc un film qui, loin d’être un nanar, est un bon cru du genre (du 4 sur 5 pour moi). Pour autant on attend l’arrivée du final cut pour voir si Aja, comme un Dante ou un Verhoeven, est en mesure d’être un cheval de Troie dans la Mecque hollywoodienne parvenant à faire passer en contrebande, dans un produit mainstream, des idées retorses ou édifiantes sur les failles du système américain. Enfin, concernant la 3D, précisons que celle-ci n’apporte absolument rien ; sur ce coup-là, le père Cameron, auteur de l’improbable Piranha II : Les Tueurs volants (1981), a raison !
* Spring break, semaine de relâche ou congé de mars, est une tradition pour les étudiants d’Amérique du Nord. Avant de reprendre le chemin des études, il s’agit pour eux, dans un espace bien défini (station de ski, bord de mer, destinations ensoleillées (Cancun, Acapulco, Puerto Vallarta, Tijuana, Panama City Beach (Floride)), de se défouler, histoire d’emmagasiner des souvenirs bord-cadre dont ils se souviendront avec nostalgie, voire extrapolation, lorsqu’ils seront rentrés dans le rang pour le reste de leur existence en menant une vie d’adulte discipliné et obéissant.