Placebo limite hors jeu
par LM
lundi 20 mars 2006
Sans trop faire avancer son schmilblick, Placebo sort avec Meds un album qui d’emblée emballe, avant d’ennuyer un peu. Les coutures commencent à beaucoup se voir, et à s’entendre, chez la bande à Molko.
C’est chaque fois avec la même réserve qu’on attend la sortie d’un nouveau Placebo. Est-ce que, cette fois-ci, le trio emmené par Brian Molko parviendra à changer son fusil d’épaule sans tomber dans le vulgaire ? Dans le passé déjà, notamment avec Black Market Music, le groupe avait accouché d’un disque vaniteux et pompier, qui le couvrit pourtant d’or, les voies du succès étant très pénétrables. Mais ce sombre disque et triste souvenir à part, le trio s’en était jusque-là pourtant bien tiré, avec des disques pas très originaux, pas très différents les uns des autres, mais qui assuraient à mort, avec des hits crâneurs et emballeurs, sur lesquels on pouvait emballer toutes les filles de la terre, en prétendant aimer le rock sans dénigrer la pop, adorer les riffs sauvages sans renier les refrains pour stade. Placebo a toujours été ce mélange de succès planétaire et de bon goût, d’efficacité jamais putassière, et il le doit notamment à la voix assez unique, profondément agaçante pour certains, mais reconnaissable entre mille de Brian Molko, l’homme qui aurait voulu être noir si Bowie l’avait été, Molko et son timbre nasillard, tellement particulier, qui dès le premier -et sans doute meilleur- album du groupe avait marqué les esprits. Aujourd’hui, quelques millions d’albums plus loin, Placebo sort donc Meds, qui commence par un chef d’œuvre, un duo Molko/VV (alias Alison Moshart, chanteuse des Kills), duo qui a plus de sex-appeal que toute la carrière de Tom Jones, vu que ladite VV est plus bandante que tous les déhanchements de Beyonce. Meds, ça s’appelle justement, et c’est un authentique moment de grâce, jamais atteint, on peut le dire, jusque-là par le trio noir et gris. L’album se déroule avec Infra Red, moins convaincant, mais passable, puis Drag, bien torché, bien essoré, du Placebo formel mais pas formaliste. Ensuite Space Monkey fait s’écrouler l’édifice, trop lent, trop geignard, trop soporifique, le style de fausse note qui parsème assez régulièrement quand même la discographie du groupe. On ne remet pas tout de suite la gomme avec l’étrange Follow the cops back home, que la batterie sauve du ridicule, de justesse. On se morfond un peu là, alors on jette un œil sur les photos du livret, une jeune fille les seins à l’air dans des poses vaguement suggestives, plutôt maladives... Puis Post Blue accélère la cadence, on laisse les petits seins à leur corps ferme, on revient à l’essentiel, le timbre qu’on connaît par cœur du beau Brian, enfin beau, faut pas exagérer, disons androgyne, et sympa surtout, disponible et gentil dans toutes les interviews, ce qui n’est pas rien. Because I want you nous réconcilie avec le gros son, avant que Blind ne nous aveugle un peu plus, quoique, le temps semble long, là, d’un coup, et c’est pas Pierrot le clown, au titre effrayant, qui va nous réveiller, c’est fou cette manie qu’a prise le groupe dès le deuxième album en fait, dès Without you I’m nothing, de ralentir le rythme, de calmer les pur-sang, peur de l’emballement, qui sait... Broken Promise confirme la limitation de vitesse, limitation de l’ivresse aussi, mais ce piano, cette voix de Michael Stipe, de REM, quand même, emporte le tout et nous emmène assez loin, finalement, assez loin, jusqu’à la déflagration salvatrice, le slow trompe son monde, c’est bien du Placebo sous des allures de velours mal taillé...One of a kind confirme le retour au passage en force, on insiste sur la batterie, on hausse le ton, les voisins pourront enfin se plaindre... avant que In the cold light of morning ne calme à nouveau le jeu, avec un Molko très juste, la voix bien posée sur une rythmique très peu Placebo, pour une fois, un brin inquiétante, par moments... L’album se clôt ensuite sur un de ces singles dont le groupe a le secret depuis ses débuts, un grand groupe pop rock capable de pondre des hits inoubliables, ou que l’on retient instantanément, ce qui revient au même... Song to say goodbye, ça s’appelle, et toutes les radios le connaissent déjà par cœur... Voilà, le nouveau Placebo est arrivé, et reparti, sans surprise, sans étonnement, sans révolution, comme d’habitude, un disque de rock taillé pour la course à la première place, et qui n’en sera pas loin, même si la non évolution perpétuelle de ce trio corbeau finira sans doute un jour ou l’autre par lasser. Ce jour-là, pas encore venu, ne semble plus très loin.
Lilian Massoulier