Pont-Aven : 30 ans de Hangar’t

par Fergus
mercredi 8 septembre 2021

Mamm-Gozh, la « Marylin de Nizon »

L’évènement a été peu relayé dans les médias, excepté au niveau régional : créé au début des années 90 dans le bourg finistérien de Nizon, le Hangar’t – une étonnante transposition rurale du Pop’Art d’Andy Warhol – a donné lieu, durant les mois de juillet et août, à une exposition à Pont-Aven, la célèbre « Cité des peintres » popularisée par Gauguin et Sérusier. Retour sur une étonnante expérience…

En réalité, les organisateurs de la rétrospective ont un peu triché : l’idée de peindre la vie locale à la manière d’Andy Warhol date en effet de février 1992. Elle est née d’une interrogation du journaliste et écrivain Yves Quentel, alias Pop’s : pourquoi, en s’inspirant de la technique du peintre américain, ne pas réaliser des tableaux peints à partir de photos anciennes précieusement gardées dans des albums et des boîtes à chaussures par les habitants de la petite localité ?

Pourquoi pas en effet ? Surtout que les habitants de Nizon étaient, disait-on, quelque peu jaloux de la notoriété de leur prestigieuse voisine Pont-Aven, mondialement réputée pour son École de peinture. Certains évoquaient même une certaine suffisance des Pontavenistes à leur égard. Les deux communes avaient pourtant fusionné en 1954, mais cette union administrative n’avait pas réussi à apaiser totalement les critiques des « paysans d’en haut » à l’encontre des « mercantis d’en bas », et vice-versa. En réalité, pur folklore que cette rivalité picrocholine. 

Sous l’impulsion d’Yves Quentel, les Nizonnais, majoritairement des agriculteurs, se sont mis au travail dans une conserverie de poissons désaffectée qu’ils ont baptisé Hangar’t, en un clin d’œil amusé à la Factory de Warhol. Un nom qui s’est rapidement imposé comme celui de cette nouvelle École de peinture étonnante à bien des égards. Si la technique utilisée est inspirée de celle de Warhol – peindre sur un support photographique agrandi –, les sujets ne sont pas les mêmes : pas de personnalités connues, mais des Nizonnais du passé et du présent, ainsi que des chevaux, des vaches et des cochons, sans oublier les tracteurs et les chars à foin !

La vedette incontestée des modèles de Nizon n’est autre que la pionnière du genre : Mamm-Kozh (grand-mère en breton), autrement dit Marie Cariou, surnommée en souriant « la Marylin de Nizon » par référence à « la Marylin de Warhol ». Trois décennies plus tard, ce sont plus de 300 tableaux qui ont été réalisés par les membres du collectif Hangar’t, principalement à partir de photographies anciennes dans un premier temps, puis au fil des années de clichés récents mettant en scène habitants et animaux du bourg. Tout cela dans le plus pur style de Warhol, à grands coups de brosses et de pinceaux trempés dans les couleurs les plus vives de la palette.

Le résultat est spectaculaire. Et point n’est besoin d’attendre une nouvelle exposition, ni, comme en 2012, d’aller à New York pour admirer les œuvres sorties du hangar où officient nos artistes ruraux : il suffit de franchir le seuil des commerces locaux dont la plupart des patrons ont accroché des toiles sur leurs murs. Et cela pour la plus grande fierté des « artistes », tous anonymes, qui participent depuis si longtemps à cette aventure « agri-culturelle », comme se plait à dire le fondateur Yves Quentel. 

Si vos pas vous mènent un jour dans ce coin magnifique du sud-Finistère, ne vous contentez pas d’aller visiter les galeries de Pont-Aven ou de déjeuner, si vos moyens vous le permettent, au prestigieux Moulin de Rosmadec, montez donc à Nizon, vous ne serez pas déçu de la visite, et les habitants se feront une joie de commenter leur aventure picturale. De vous raconter par exemple comment est née, en 1994, la série de portraits intitulée « les Chiffonniers du Bon-Dieu » en hommage à l’abbé-Pierre. Et pour peu que vous vous fendiez d’une petite pique sur le mercantilisme des gens de Pont-Aven, vous pourrez même être convié à admirer chez les Nizonnais, ici l’aïeul aux cheveux verts, là le cheval bleu du cousin, ailleurs le pain de seigle violet.

Laissons le mot de la fin à l’un des pionniers, présent à la première réunion tenue à l’épicerie-boucherie-charcuterie Le Noc. Sourire en coin, cet artiste-agriculteur nizonnais a livré ce constat qui résume si bien l’état d’esprit agri-culturel : « Si j’ai bien compris, il ne faut pas être artiste pour faire de l’art, mais il faut être paysan pour faire du cochon ! »

Cette année-là, des œuvres réalisées par le collectif Hangar’t ont été exposées à la « Grosse pomme » en marge d’un événement consacré à Andy Warhol et à ceux qu’il a inspirés.

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