« Premier de cordée » : une formidable aventure humaine

par Fergus
lundi 2 août 2021

L’usage imagé de l’expression « Premier de cordée » par Emmanuel Macron a donné lieu à de vifs débats dans la classe politique et la population. Ce n’est toutefois pas des patrons de la finance, de l’industrie ou des médias qu’il est question ici, mais du livre éponyme de Roger Frison-Roche. Dès sa publication, il y a 80 ans, ce roman de genre a connu un succès planétaire…

Premier de Cordée (édition Arthaud)

Bien qu’il soit né à Paris le 10 février 1906 de parents savoyards « montés » dans la capitale pour gérer une brasserie et qu’il y ait fait ses études – il fut élève du lycée Chaptal –, Roger Frison-Roche développe très vite une irrésistible attirance pour la montagne où sont ancrées ses racines. Ses nombreuses vacances dans la propriété familiale de Beaufort (Savoie) n’y sont évidemment pas étrangères. Mais le jeune Frison-Roche voit plus loin que les alpages du Beaufortain, et surtout plus haut. Fasciné par les sommets du massif du Mont-Blanc et les épopées des chevaliers des cimes que sont les alpinistes, il part en 1923 pour Chamonix où, malgré son jeune âge, il réussit à se faire embaucher comme secrétaire, non seulement du Syndicat d’Initiative, mais également du Comité d’organisation des Premiers Jeux Olympiques d’hiver qui auront lieu l’année suivante.

Très vite, Roger Frison-Roche s’accroche à un rêve : conquérir sa place dans la très fermée communauté des alpinistes et intégrer la prestigieuse Compagnie des guides de Chamonix. Un pari a priori chimérique : jamais, depuis sa création en 1821, un « étranger » à la vallée n’a été admis dans ses rangs ! Dès 1924, le jeune Roger effectue en montagne des courses qui forcent le respect. En 1925, il peut même s’enorgueillir, lui le non-Chamoniard, d’avoir été choisi comme porteur pour l’ascension du Mont-Blanc par l’une des figures majeures de la vallée : le guide Joseph Ravanel « le Rouge » qui apparaîtra ultérieurement dans son œuvre sous le nom de Ravanat, un guide retraité devenu gardien de refuge comme le modèle. En 1930, Frison-Roche voit son ambition récompensée : à 24 ans, il reçoit l’insigne qui fait de lui, l’« étranger », l’un des membres de la fameuse Compagnie des Guides.

Entretemps, après avoir effectué son service militaire à Grenoble, Roger Frison-Roche est revenu à Chamonix où il a pris les fonctions de directeur de l’Office du Tourisme et du Comité des Sports tout en débutant une carrière de journaliste. Celle-ci va le mener à différentes reprises en Algérie où il s’établit en 1938 avec son épouse Marguerite et leurs enfants pour collaborer à La dépêche algérienne. L’année précédente, marqué par la culture et les fascinants paysages du désert, il a publié son premier grand roman : L’appel du Hoggar. Pour être éloigné des cimes alpines, Roger Frison-Roche n’en garde pas moins à l’esprit les courses en haute-montagne et les dures conditions de la vie des guides chamoniards. C’est donc paradoxalement en Algérie qu’il écrit le roman qui va lui valoir une notoriété internationale. Ce livre est initialement publié en 1941 sous la forme d’un feuilleton dans les colonnes de La dépêche algérienne avant d’être publié la même année par l’éditeur grenoblois Arthaud

Premier de cordée nous raconte l’histoire d’un jeune chamoniard que son père, guide de haute-montagne, veut écarter de la profession périlleuse qu’il exerce. Pierre Servettaz, le héros du roman, sera hôtelier. Dès lors, il doit se contenter d’ascensions de loisirs. Jusqu’au jour où, par la faute d’un client présomptueux, son père Georges est foudroyé dans la descente du Petit Dru. Fou de douleur, Pierre entend faire partie de la cordée qui part chercher la dépouille. Eu égard au péril, les guides refusent. Qu’à cela ne tienne, Pierre tente avec des amis de rejoindre cette cordée. Mal lui en prend : il fait une grave chute et subit un lourd traumatisme crânien. Lentement, il se remet de ses blessures mais découvre avec horreur qu’il est désormais sujet au vertige, lui qui gardait secrètement l’espoir de tourner le dos à l’hôtellerie pour intégrer la Compagnie des guides. Dévasté par cette révélation, Pierre sombre dans la dépression et l’alcoolisme…

« L’homme se découvre quand il se mesure à l’obstacle ». Le parcours de Pierre Servettaz illustre parfaitement ce célèbre aphorisme de Saint-Exupéry. Par chance pour lui, il n’est pas seul dans son combat contre le vertige : il est soutenu de manière indéfectible par son ami Georges, le porteur de son père, présent aux Drus le jour du drame et amputé de ses orteils gelés, ainsi que par Aline, la jeune Chamoniarde qui l’aime sans réserve depuis si longtemps. Premier de cordée est une histoire d’alpinisme qui met en scène des défis à la montagne, des ascensions périlleuses, des accidents et des cordées de secours, sans oublier les anecdotes que l’on se raconte dans les refuges avant de partir très tôt le lendemain matin à l’assaut des cimes.

Premier de cordée est également un récit d’amitié et d’amour, tissé sur le contraste entre : D’une part, la paisible vallée en mutation où se développe l’hôtellerie, en concomitance avec l’émergence des sports d’hiver et le tropisme croissant pour la randonnée et l’alpinisme. D’autre part, les alpages où se décline au fil des saisons la vie pastorale, avec en point d’orgue dans le roman l’épique combat des « reines », les meneuses de ces puissantes vaches aux redoutables cornes. Enfin, dominant ce théâtre alpin, naguère domaine de modestes paysans et de cristalliers, ces aiguilles acérées et ces dômes majestueux – si flamboyants dans le soleil couchant – que rêvent de conquérir les « monchus », ces messieurs fortunés passionnés d’alpinisme, souvent venus de fort loin, à l’image des clients britanniques, pour affronter les difficultés du plus haut massif européen.

« Il y a des livres qui restent de vrais mystères et que les lectures successives, à des âges divers, ne dissipent pas mais rendent au contraire plus profonds. “Premier de cordée” est de ceux-là. » Ainsi s’exprime l’écrivain Philippe Claudel dans sa préface de la réédition du roman en 2009 par les éditions Guérin. Outre des dizaines de traduction sur la planète (jusqu’en Corée et au Japon), Premier de cordée a en outre été porté à l’écran par le réalisateur Louis Daquin en 1944. Le jeu des acteurs est, il faut bien le reconnaître, plutôt quelconque. En outre, le film souffre de quelques longueurs. En revanche, les images – tournées pour la plupart en décor naturel dans des conditions souvent difficiles – sont de toute beauté.

Décédé le 17 décembre 1999 à Chamonix, Roger Frison-Roche est enterré dans le cimetière du Biolley. Il y côtoie, au pied des montagnes, d’autres guides de renom et le plus célèbre des monchus, Edward Whymper, vainqueur de sommets prestigieux comme la Barre-des-Écrins, l’Aiguille verte et le mythique Cervin (Matterhorn). 

 

Premier de cordée (affiche du film)
Roger Frison-Roche
Le Mont-Blanc
Les Drus vus du Montenvers
La glacier d’Argentière
Premier de cordée en feuilleton

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