Prendre sans rien donner

par C’est Nabum
samedi 29 juin 2024

Le chapeau las …

Un saltimbanque se produit dans un espace culturel en plein air. L'appellation y est d'importance puisque l'accent est mis tout d'abord sur la dimension culturelle qui devrait prendre le pas sur les agapes et distractions individuelles en se voyant accorder pour le moins un peu de considération, d'écoute et de respect. Pour nombre des adeptes de ce lieu magnifique, il ne fait aucun doute que cette noble et belle exigence soit acquise …

Pourtant, l'auteur des étoiles filantes dut se rendre à l'évidence, la chute de sa chanson ne fit pas écho dans toutes les têtes : « Et quand un jour ça adviendra, à la bonne fortune du pot Saltimbanque leur proposera, de faire offrande à son chapeau ». Si parmi les spectateurs en goguette, certains s'étaient éloignés pour continuer à deviser tranquillement, comment le leur reprocher, il y eut une bruyante troupe qui se plaça non loin de la scène pour se distraire à sa manière.

Leur comportement manquait singulièrement de courtoisie ; il est vrai que cette qualité se fracasse aux impératifs d'une société qui prône l'individualisme à outrance et la seule jouissance individuelle comme moteur de nos manières d'être en public. La prise en compte de l'autre n'est plus au programme d'un vivre ensemble qui devient un peu plus chaque jour le vivre les uns à côté des autres avant que la discorde générale ne supplante la cohabitation indifférente.

Pourtant, dans ce tumulte et cette agitation, deux personnes braquaient de temps à autre leur inquisitrice lucarne numérique pour photographier et surtout filmer l'artiste placé devant elles. La chose peut paraître surprenante compte tenu du peu de cas qu'elles semblaient accorder à la prestation à moins qu'elles veuillent graver dans une mémoire vive des fragments de ce qu'elles n'ont pas écouté en direct.

Il n'est pas rare que ce petit instrument permette ainsi d'offrir une session de rattrapage pour qui fait autre chose alors qu'il est censé filmer. Cependant, pour l'observateur attentif, un doute s’insinue sournoisement. Les dames filment bien trop longtemps, le bras porteur de l'appareil démontrant une indépendance remarquable avec le reste du corps, pour avoir le temps de regarder cela à tête reposée … D'ailleurs, je crains que l'expression elle-même leur soit totalement inconnue.

Puis survient alors le moment tant redouté des noceurs, buveurs et palabreurs : le passage du chapeau. Si dépenser sans guère compter est recevable quand il s'agit de participer à la foire à la consommation en se mettant tout ce qui est possible dans le gosier, donner juste récompense à celui qui n'a pas visé l'estomac mais dans le même temps l'esprit et le cœur, relève d'une difficulté détestable dans cette société du consumérisme imbécile. Le plus souvent, le denier de l'inculte comme autrefois à la messe se résume à une petite pièce lâchée sans enthousiasme.

Cette fois, les reines de l'œilleton s'excusent. Elles sont comme toutes ces nouvelles cohortes d'individus formatés à la nouvelle société, dépourvues de la moindre monnaie. C'est aussi leur prothèse numérique qui permet de payer. Elles ne peuvent donc verser leur obole à ce troubadour qui pourtant ne vit que de son art.

Je m'étonne qu'elles aient pu, jusque-là se servir goulument sur sa prestation, lui volant son image dans un appareil inquisiteur sans même lui avoir demandé son accord et qu'en contrepartie, elles repoussent d'un geste méprisant la juste rétribution de ce qu'elles ont dérobé sans vergogne. Il en va ainsi des étoiles filantes, tandis que le saltimbanque chante une fois encore :

« L’hédonisme des bourgeois, vous contraint à se projeter

Avec une confiance benoîte, dans les vices des « argentés »

Tableaux d'Honoré Daumier

Les artistes de rue


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