Quand lecture et peinture se mettent en ménage
par C’est Nabum
vendredi 22 mars 2013
Une performance artisitique en direct ...
Une raison de vivre ...
Une grande salle de spectacle, transformée pour l'occasion en salle d'exposition. Toute drapée de noir, elle a conservé ses rampes de lumière et s'est parée de cloisons blanches réparties savamment dans tout l'espace. Des tâches de couleurs, des photographies, des toiles, des sculptures, des poteries, un vaste ensemble hétéroclite sans unité se présente à nous.
Tous les genres ou presque sont exposés ici. De la peinture abstraite à l'art figuratif, du naïf au psychédélique, du pop art au collage incertain, nous allons d'un genre à l'autre sans trop y trouver un fil conducteur. Les curieux vont au gré de leurs préférences quand d'autres attendent l'évènement du jour.
Une performance artistique, puisque c'est ainsi qu'on nomme la chose, nous sera livrée dans quelques instants. La lecture et la peinture vont s'unir pour que naisse sous nos yeux une œuvre originale, conçue en l'espace de quarante minutes. Tel est le défi qu'a relevé Frédérique Clément qui pendant que Philippe, son ancien compagnon, nous lira un texte de Stig Dagerman "Notre besoin de consolation est impossible à rassasier", s'inspirera des mots et du sens pour concevoir sa lecture personnelle sur une grande toile de deux mètres par un mètre cinquante.
Tous deux les cheveux poivre et sel s'avancent. Le silence se fait, l'obscurité gagne la salle. Deux projecteurs seulement, l'un qui mettra en lumière le tableau à naître, l'autre qui suivra les mouvements du lecteur itinérant. Philippe est de noir vêtu, Frédérique porte une grande blouse blanche. Lui lit, à distance, sans un regard pour celle qui peint en lui tournant le dos, indifférente à tous ceux qui sont derrière elle …
Pour les spectateurs le dilemme s'impose. Que faire ? Écouter attentivement ce texte dense, lourd, chargé d'une force créatrice ou bien suivre du regard la main qui couvre la toile de lignes soudaines, de courbes amples, de tâches colorées ? Incapable de choisir, j'ai pris le stylo, pour dans le même temps, commettre ma performance personnelle, ce billet en direct, petite perversité de ma folie scripturale.
Le public est parfaitement silencieux, bercé par la voix suave du lecteur, emporté par ses jaillissements ou ses longs silences, captivé par ce texte étonnant. À moins qu'il ne soit fasciné par le miracle de la main qui va en tous sens, qui porte plusieurs pinceaux, qui ne cesse d'aller et venir en vagues rageuses ou bien en touches délicates.
Contraste saisissant entre ce lecteur tout en pondération, en respiration paisible, en douceur tendre. Sa voix caresse, sa lecture envoûte et son amie le peintre qui s'agite, balaie la toile de grandes zébrures, couvre, recouvre, retouche. On la devine dans l'urgence quand manifestement son compagnon prolonge ses silences, s'inquiète de ce qu'elle engendre. Ses silences se prolongent, il la couve du regard.
Pourtant, il est bien difficile de comprendre le lien entre ce texte obscur et ce tableau lumineux. Ce qui se joue ici est la complexe alchimie de la création. Nous assistons, voyeurs silencieux à l'expression d'un inconscient, à la métamorphose d'une interprétation. C'est étrange et envoûtant, énigmatique et si complexe !
J'ai perdu le fil du lecteur. Mes allers et retours entre la toile et mes notes incertaines m'ont perdu à mon tour. Je saisi des expressions, je retiens des mots, quelques images qui semblent se retrouver sur l'œuvre. Je ne puis rien affirmer. Tout est subjectif. Le feu, la mer, la mort, la création, j'ai le sentiment de les deviner, de les débusquer dans ce tableau qu'elle accouche sous mes yeux.
La toile est désormais un tourment existentiel, une interrogation créative en écho au texte, en réponse à la voix, en symbiose avec le lecteur. La toile est chargée, confuse, diffuse, menaçante, inquiétante, jaillissante. Parfois une correction infléchit une direction incertaine sous notre regard inquisiteur ….
La mort et la vie se répondent en écho dans les interrogations philosophiques de l'auteur et sur le tableau qui s'affirme. L'urgence est de plus en plus prégnante, on devine que le lecteur arrive au terme de son parcours. Les traits sont faits en une ultime précipitation. Des coulures survivront au point final, laissant encore un espace à la création au delà de la limite fixée.
Le texte a fouillé les tréfonds des angoisses de son auteur, La toile nous ouvre la porte d'un inconscient qui laisse filtrer un peu de sa lumière au travers d'une lucarne. Un miracle a eu lieu sous nos yeux ébahis. Est-ce un désir de vivre ? Une envie de survivre ? Une volonté de transcendance ? Il est question de temps, celui qui fixe ou impose une échéance fatale.
Revient alors un des mots de l'auteur. « Ce qui est parfait n’accomplit pas de performance ... : ce qui est parfait œuvre en état de repos." Nous devinons bien que sous nos yeux l'œuvre n'est pas complète, qu'il faudrait lui apporter quelques retouches, des inflexions nécessaires. Pourtant la règle du jeu sera respectée, elle restera telle que la fin du texte lu l'a figée.
La lecture s'est achevée sur ces quatre mots : « Une raison de vivre » Le lecteur et le peintre se sont retrouvés devant cette échéance du point final, de la touche ultime. Le temps s'est contracté, nous aimerions encore profiter de ces instants suspendus à des lèvres et un pinceau.
Performancement leur.