Quand une sensorialité inadéquate induit en erreur

par JC_Lavau
samedi 22 décembre 2018

Quand une sensorialité inadéquate induit en erreur.

 

Sur Usenet ce questionneur demandait un document, de préférence une vidéo présentant toutes les échelles de la matière : « Un document ressemblant à ceci :

x10 scène réelle de près

x100 tête d'épingle

x1000 cellule humaine

x2000 chromosome

x10000 électron d'un atome

etc... »

Il en existe plusieurs, dont Powers of Ten :
<URL:https://fr.wikipedia.org/wiki/Powers_of_Ten>
qui contient le lien toitube :


<URL:https://www.youtube.com/watch?v=0fKBhvDjuy0>

Ou :

https://www.youtube.com/watch?v=PLhuZEosRRw
 

 

Le présupposé implicite est un mensonge grossier, qu’il a gobé tel quel : que notre géométrie macroscopique familière soit valide sous l'échelle des atomes. Un présupposé corpusculariste et planétaire, qui ne vaut pas un clou (rouillé, depuis 1911).
"Voir" aussi est colossalement faux sous la longueur d'onde de la lumière.

 

Ces infographistes sont spécialisés dans la sensorialité visuelle, et "aveugles" ou sourds dans les autres. Aussi s'imaginent-ils que leur sensorialité visuelle est encore un bon guide à l'échelle atomique voire en dessous.

On a vu un dessinateur surdoué, Franquin, faire des gags de sourds. Dans son dernier album, "Bravo les Brothers", il suffit que Spirou soit tourné vers le tableau de planification pour qu'il n'entende pas un chimpanzé déguisé en fillette (avec une jolie queue de cheval en coiffure) passer en trombe en patins à roulettes à travers le bureau de Fantasio. Des patins à roulettes silencieux, je n'ai jamais rencontré cela.

A l'échelle atomique, il y a certitude de déconner grave à vouloir plaquer le modèle visuel planétaire, avec un électron-corpuscule orbitant ou divaguant dans un vaste vide. Autrement dit j’accuse Jean Bricmont, ex-professeur de physique théorique, de déconner grave quand il se moque du grand public, ironisant que le grand public devrait voir l’atome comme tout du trou, parcouru par un ou plusieurs électrons-corpuscules. Sa vision corpusculariste est incompatible avec les propriétés des atomes et plus encore des cristaux.

La sensorialité secourable ici est acoustique et musicienne. Vous avez exploré les harmoniques sur une corde de guitare. Vous avez exploré les canards d'une flûte, et les avez comparé aux canards d'une clarinette, qui quintoie, elle (uniquement des harmoniques impairs). Vous avez chanté sous la douche, pour le plaisir que cette petite salle réverbérante vous colle à la bouche. Vous avez été dérouté quand il a fallu donner le concert dans une église pleine de monde, quand plus un choriste ne s'entend, et qu'il n’entend les autres qu’avec difficulté : « Dans cette église, on est tout seul ». Au contraire de Silvacane (abbaye cistercienne, en Provence) qui vide de monde, réverbère fortement sous sa coupole. Grâce à ce genre d'expériences vous parvenez à assimiler qu'un atome d'hydrogène est une onde stationnaire, et un atome plus lourd un jeu d'ondes stationnaires. Un jeu de 92 ondes stationnaires pour un atome d’uranium isolé, en vapeur, et un jeu colossal dans un cristal de quoi que ce soit.
Ondes de quoi ? D'électron. Électron ou onde électronique, c'est bonnet blanc et blanc bonnet, ou chou vert et vert chou si vous préférez. Et ces ondes stationnaires à bords flous sont quasi-impossibles à dessiner. Les chimistes ont bien une sténographie pour symboliser les liaisons chimiques. Ils ne s’en sortent qu’en simplifiant brutalement.

Et en dessous, dans le noyau, je ne sais pas si une sensorialité peut encore nous guider, mais la visuelle certainement pas.

Voilà, la limite absolue des infographies.

 

A la scène, Henrik Ibsen précise que Peer Gynt ne lutte contre le Grand Courbe (storejgen1) que dans les ténèbres : sensorialité tactile et musculaire, impossible à rendre en visuel à la scène. La magie qui délivre Peer de cet obstacle est acoustique : sa mère Åse et sa jeune amoureuse Solveig actionnent la cloche de l’église du village, en bas dans la vallée. « Il est trop fort, il a des femmes avec lui ! » murmure storejgen en s’évanouissant comme un souffle.

 

Je n’ai fait cette digression théâtrale que pour rappeler que nous disposons d’autres sensorialités que la seule visuelle, et qu’il est préférable de s’en souvenir, aussi bien en enseignement qu’en sciences. En règle générale, aucune ne suffira, et en sciences nul ne pourra économiser sur l’effort d’imagination et d’abstraction, précédé d’un solide enracinement dans le concret. En revanche, vous pouvez laisser tomber le débat standardisé "intuitif ou contre-intuitif", débat vicié et stérile dès le départ. Il s’agit en fait de la référence à des acquisitions expériencielles déjà faites, ou encore absentes. Le didacticien doit s’assurer que ces appuis expérienciels aient été acquis préalablement, sinon le pédagogue tentera de bâtir sur du sable mouvant.

 

 

1Et prononciation pour nous les français ? StoBeuil-guénn, avec l’accent tonique sur la première syllabe Sto et Beuil, et descente du ton sur la seconde syllabe. Le norvégien et le suédois sont des langues chantées, et cela surprend nos oreilles de français.


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