Qui sont les groupes de punk musulman aux Etats-Unis ?

par Isabelle Mayault
mercredi 26 août 2009

Suicide bomb the gap et Wild Nights in Guantanamo Bay ne sont pas extraits de la dernière newsletter des Frères musulmans mais de la playlist des Kominas (« bâtards » en punjab), le groupe de punks musulmans qui monte, qui monte, aux Etats-Unis. A l’instar des comiques arabo-américains de l’Axis of Evil Comedy Tour ou de la série canadienne La petite mosquée dans la prairie, les groupes de punk musulman américains utilisent savamment l’islam pour faire de l’audience. Reste à comprendre s’il s’agit de la naissance d’une nouvelle culture underground contestataire ou d’opportunisme commercial.

 La genèse du mouvement n’est pas banale : aux Etats Unis, les punks musulmans ont commencé à bourgeonner à la suite de la parution d’un roman, The Taqwacores (2004), écrit par l’irlandais d’origine - et converti - Michael Muhammad Knight. Equivalent de l’Attrape-Coeur de Salinger pour les jeunes musulmans des années 2000, Knight y décrit une colocation de musulmans vivant à Buffalo, NY, fans de groupes de punks aux noms évocateurs type Vote Hezbollah. De Seattle à Boston en passant par San Antonio, une petite dizaine de groupes, inspirés par cette lecture, s’est formée. Certains sont allés jusqu’à reprendre les noms des groupes de la fiction !

Le but avoué de The Taqwacores – mélange de Taqwa (la foi, en arabe) et de hard-core – est de faire entendre aux pays occidentaux une voix autre que celle de l’islam traditionnel et conservateur. L’ouvrage montre notamment que les jeunes musulmans se posent autant de questions sur le sexe, la religion, l’identité et la drogue qu’un jeune protestant américain de base. En effet, les colocataires mis en scène utilisent autant leur salon pour prier que pour y organiser des soirées. Le roman est aujourd’hui étudié dans de nombreuses universités américaines.

Le son de cloche est un peu différent du côté des Kominas, groupe le plus médiatique du mouvement à ce jour. Rencontrés le soir de leur première date de tournée, à New York, dans le Lower East Side, Basim, Imran, Shahjehan et Omar ne portent pas hautes les crêtes ni longues les barbes. Proprets dans leur sweat-shirts lavés de frais et bien rasés, c’est avec le plus grand naturel qu’ils avouent que la vague « punk-musulman » les a bien servis pour démarrer mais qu’ils ne se considèrent pas vraiment comme des punks. Bien sûr, ils ont en commun des valeurs avec le mouvement punk – individualisme, anarchisme, antimilitarisme. Bien sûr, islam et politique font partie de leur vie, et ils utilisent le biais de la musique pour dénoncer les travers de la société américaine – leur dernière chanson parle de Waterboarding.

Mais ils insistent sur le fait qu’il ne faut pas réduire leur musique ni à l’angle islamique...ni au punk. Le bassiste est un fan de Jimi Hendrix, le chanteur, de hip-hop. Il y a même un non-musulman dans le groupe – le batteur. C’est donc ouvert à tout le monde. Et s’ils persistent avec des chansons comme Sharia Law in the USA, ce n’est pas par pure rébellion, mais pour montrer que les musulmans peuvent avoir de l’humour, quoiqu’en pensent les bloggeurs conservateurs qui interprètent au premier degré leurs paroles provocatrices.

3 des 4 membres des Kominas sont d’origine pakistanaise. Ils sont pourtant plus américains que pakistanais, et aussi musulmans qu’américains. Rien d’anormal, alors, à ce que pour eux, l’islam soit un élément personnel et culturel avant tout. Détourné du cadre rébarbatif de la pratique orthodoxe, l’islam peut enfin être utilisé à des fins plus rigolotes. A la question : « Etes vous de bons musulmans ? », Shahjehan répond, un peu agacé, que la foi musulmane dépasse de beaucoup les interdictions alimentaires que l’on connaît et les cinq prières par jour. Certains boivent, d’autres, non ; l’un avoue manger du porc de temps en temps « parce c’est meilleur quand c’est interdit » ; un autre se dit athée.

Leur discours illustre parfaitement la thèse du chercheur Patrick Haenni qui voit dans ces « processus de syncrétisme » – islam et punk – la transformation de l’identité musulmane en simple « griffe esthétique ». C’est en tout cas ce qui se dégage des groupes punko-musulmans américains. Ils ont, certes, le mérite de montrer que chez les musulmans aussi, les adolescents traversent des crises identitaires et rejettent en bloc les valeurs de la société dans laquelle ils ont grandi – la société américaine laxiste au même titre que les sociétés conservatrices qui, souvent, leur servent de cadre de référence. Et si la sincérité de ces groupes, lancés tout l’été sur les routes pour des tournées d’un mois ou plus à la conquête des Etats-Unis, n’est pas à mettre en doute, leurs engagements politiques et la profondeur de leur message, en revanche, semblent plus faibles.

 


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