Qui trouve le cers perd la tramontane... (II)
par Jean-François Dedieu
mardi 26 novembre 2013
Un temple et des cérémonies pour calmer les ardeurs destructrices du Cers et surtout le remercier de chasser les miasmes portés par les vents de la mer. Un respect analogue me fit écrire, 2500 ans après le Kirkios des Grecs (1) :
« Mon pays est un océan de vignes au bord de la mer, couru par des vents dont les noms s’écrivent avec la majuscule. Je le vois en été quand une houle de pampres se donne à la caresse du Marin ou résiste aux rafales du Cers . » (3 premières lignes Le Carignan, 2008).
Malgré cet ancrage formel dans l’antiquité, le Cers ne bénéficie pas du label des Appellations d’Origine Protégées (AOP), alors que la tramontane, vent générique "d’origine européenne" est promue de fait... La faute aux Languedociens trop français, la faute aussi à une amylase "républicaniste" trop franco-française, nordiste et accessoirement orientée sinon dévoyée ! Vous remarquerez qu’il suffit de remplacer "vent" par "vin" pour obtenir une argumentation inversée bien que toujours dans le même sens, toujours à notre détriment, fût-ce de la part des imbéciles, des crapauds baveurs...
Qu’on dise à tous les panurgistes nomenklaturistes (2) et aux Languedociens qui n’y entendent pas malice que depuis les Romains sinon les Grecs, « Cersius » désigne le Mistral et le Cers, seuls, sur les bords du Golfe du Lion, à avoir la particularité d’emprunter un couloir entre les montagnes : la vallée du Rhône pour l’un, le Lauragais et la vallée de l’Aude pour le second. Ajoutons que le Cers est mentionné sur nombre de roses des vents, notamment en Arles (3), à Toulouse (vent d’ouest humide). En Espagne (4), c’est le "Cierzo", jumeau du Cers et du Mistral.
En ce qui nous concerne, que le Cers soit rétabli dans l’estime et la connaissance de tous les peuples de France, depuis le Lauragais (5) et son aire évasée, en embut (terme occitan, entonnoir en français) avec pour limites Agde au Nord (6) et Salses au Sud, frontière historiquement protéiforme (militaire, administrative, linguistique... gastéropodique, si, si... ). Et si cette limite joue aussi pour lui, le mystère demeure concernant son emprise sur ce piémont magique des Pyrénées que sont les Corbières. Dans quelle mesure, en effet, appartiendraient-elles au Cers ? Après des recherches aussi longues que vaines, c’est en anglais (6), sur Tripadvisor, qu’une piste s’est enfin ouverte : « The dry vent Cers brings cold weather from the Northwest while the vent Marin brings warm, humid air from the Mediterranean Sea (7). »
En attendant de poursuivre cette passionnante quête, terminons en précisant que si le mot cers (ou çers) existe en Roussillon, les Catalans tant du Nord que du Sud parlent de tramontane jusqu’aux environs de Tarragone où le cierzo reprend ses droits. Soit, mais en Roussillon, une fois passé le Fenouillèdes occitan, la tramontane, contrairement à celle qui descend de la bordure du Massif Central, souffle-t-elle de manière autonome ou n’est-elle pas seulement héritière du Cers des Corbières ?
Soyez gentils d’excuser une agressivité à mettre sur le compte vivifiant du Cers ; n’allez pas penser que « Le vent qui vient à travers la montagne m'a rendu fou (8) ! », chez nous c’est le vent d’autan, tout le contraire du Cers qui est qualifié de "vent du diable" et de "vent fou", lorsqu’il se renforce vers l’intérieur. Et si, malgré la prudence dont il ne faut pas se départir sur l'Internet pour séparer le bon grain de l'ivraie (pour le vannier, bien sûr...), mon propos demeure partial, que quelqu’un me prouve que la tramontane, cette montagnère, mérite sa majuscule.
(1) La référence au passage des Grecs (env. –) fait dire à André Bonnery, docteur en Histoire, président, entre autres, de la Société d'Etudes Historiques de Trèbes, dans une étude non publiée : « Le Cers : le plus ancien nom de vent de France » !
(2) L’ouvrage collectif « La langue de Rabelais » met le mot "Cyerce" dans la bouche de François Rabelais (1483 ou 1495-1553), écrivain humaniste de la Renaissance : « Ce bon vent de Languegoth que l’on nomme Cyerce ». L’ouvrage précise que dans le Languedoc occidental, "cers" désigne le vent de nord-ouest déjà relevé par Pline en Gaule Narbonnaise et défini par Jean Doujat (1609-1688) dans son dictionnaire de la langue toulousaine, en tant que « vent d’occident, contraire à l’antan sud-est » (sic). L’article cite aussi le dicton "nautique" « Labech tardié, cers marinié » très contradictoireet auquel nous préférons « Labech tardièr, cers matinièr » (labech de fin de journée, cers au matin).
(3) Au rang des "aurassos", les vents forts d’hiver exactement à 303,75 degrés, ce qui correspond à 20h15 au cadran sur 24 heures de l’horloge de la mairie de Salles-d’Aude).
(4) Le long de la vallée de l’Èbre de l’Aragon et la Navarre jusqu’au delta.
(5) Tréziers (Aude / entre 300 et 530 m. d’altitude) aux confins de l’Ariège, non loin de Mirepoix. Sur le site robert.faure.pagesperso-orange « Ainsi le logement du desservant appelé « la capélanie » contre toute logique était adossé à la façade ouest, à l'opposé du village. C'est l'endroit le plus exposé aux vents de Cers et aux averses de l'hiver ». Plutôt que de limiter le passage du Cers au seuil de Naurouze, il faut considérer le Lauragais au sens large, entre la montagne Noire au Nord, le Plantaurel et les Corbières au Sud...
(6) Le site Hérault-tribune mentionne la tramontane et le cers pour l’aéroport de Béziers, aux abords de Cers, le village dont l’origine est partagée entre la forme en circulade et notre vent / J’ai cherché aussi « Alignan-du-vent », à côté de Pézenas mais l'appellation ne désigne qu’une zone favorable à l’implantation d’un moulin...
(7) Il faut que ce soit les Anglais, un peu comme pour la connaissance de l’occitan avec des spécialistes allemands qui ont une longueur d’avance... Peut-être encore une conséquence du jacobinisme à la française !
(8) (Victor Hugo. Guitare / poème repris par Brassens Gastibelza).