« Red Rose » : Pour la liberté de penser et... d’aimer

par Menegh
samedi 12 septembre 2015

« Red Rose » lève le voile sur la violence des répressions. Avec cette passion amoureuse sur fond de révolte politique, Sepideh Farsi prouve qu’on peut faire une féroce critique du régime des ayatollahs sans renoncer au romanesque. Un film coup de poing qui fera date dans l’histoire du cinéma iranien. 

Téhéran est en proie au chaos. De façon fortuite, une passion naît entre Sara, une jeune activiste, et Ali, un intellectuel désabusé d’âge mûr, dont on ne sait pas grand chose de son passé. De cette rencontre, naît une passion interdite entre des personnages que tout semble opposer, à commencer par leur génération.

Réalisé deux ans après les événements de 2009, ce film revient sur les conséquences de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad et l’échec de la « vague verte » où l’on a pu voir entre 3 et 5 millions de personnes descendre dans les rues de Téhéran pour contester les fraudes électorales, malgré la violence de la répression. Les journalistes internationaux n’avaient pas pu rester sur place pour couvrir les événements et les réseaux sociaux avaient alors pris le relais.

L’échec du processus de démocratisation a été un contrecoup très rude. C’est pourquoi Sepideh Farsi, qui vit en France depuis les années 80, a souhaité en faire un film. Il y a 30 ans, elle s’est exilée après avoir été emprisonnée et avoir perdu des amis, des proches, un frère, dans le combat contre le régime de l’époque. Alors, en 2009, comme beaucoup d’autres portés par l’espoir, elle se rallie au mouvement vert. Elle est même allée voter.

Depuis, elle a embarqué dans son aventure cinématographique des acteurs qui défendent, comme elle, la liberté de penser et d’aimer, des artistes qui ont pris le risque de ne jamais pouvoir remettre les pieds dans leur pays. Malgré l’urgence de témoigner, le film a mis du temps à voir le jour. Les images ont été tournées à Athènes et le film, bien sûr censuré en Iran, est enfin diffusé dans une dizaine de salles en France et dans plusieurs festivals internationaux.

Peut-on faire un film militant sans renoncer au romanesque ?

D’abord, ce n’est pas l’objectif premier : faire acte de militantisme. Red Rose traite plutôt de deux expériences politiques différentes séparées par une faille historique, la période qui sépare la révolution de 1979 de la vague verte. En fait, cette fiction livre une regard sur la dictature – toutes les dictatures – en posant un dilemme : renoncer en s’exilant ou rester pour continuer le combat (de l’intérieur ou de l’extérieur). Une problématique qui fait écho au parcours de la réalisatrice avec l’évocation, en filigrane, de la ferveur et de son lot de souffrances. Un propos universel.

En plus de la question de l’engagement, ce film parle de la naissance du citizen journalism, le journalisme citoyen qui s’est épanoui peu après avec les printemps arabes. En effet, Sepideh Farsi s’est inspirée d’un personnage réel, qui s’appelle « Persian Kiwi » sur la timeline, une personne qui a été suivie par beaucoup de journalistes et d’Iraniens. Celle-ci a twitté pendant dix jours avant de totalement disparaître. D’ailleurs, son dernier tweet apparaît comme tel dans le film : « L’un de nous a été arrêté. Priez pour nous ».

Alors, oui, propos militants et romanesque sont compatibles. En tout cas, ici, la petite histoire s’imbrique habilement avec la grande Histoire. Red Rose est un drame sentimental qui renvoie à la fois à une réalité politique et à l’évolution des mœurs (rapport à la laïcité, émancipation féminine). La Révolution est en quelque sorte filmée de l’intérieur. Les clameurs parviennent de l’extérieur par la fenêtre, les images via les réseaux sociaux et les événements sont relatés par les protagonistes, mais les caméras ne sont posées que dans ce grand appartement, là où se trame cette histoire d’amour. Une des forces de Red Rose réside justement dans le choix de ce huis clos, havre de paix et lieu d’enfermement où tout peut être possible, tandis que dehors, l’espace public devient finalement une prison à ciel ouvert. Entre intime et collectif, tout le film est construit sur les antagonismes et les contrastes. Sans didactisme, ni simplisme.

Pas une bluette !

Somme toute, ce drame est une tragédie théâtrale, avec son unité de lieu, de temps (l’histoire se déroule sur une dizaine de jours) et d’action (quête de liberté et d’amour). On en retrouve les principaux ingrédients : le pouvoir et l’amour, des conflits passionnels, des enjeux qui dépassent les personnages, ainsi que... le fatum. Toutefois, la facture de l’œuvre n’est pas classique et ce sont bien des moyens cinématographiques qui sont mis au service du propos.

Dans le cinéma iranien les réalisateurs rusent avec des métaphores. Sepideh Farsi ne déroge pas à la règle, à commencer par cette rose rouge, tout à la fois une arme pacifique (un emblème dans les mains de Zahra Rahnavard et des manifestantes véhiculé dans des images qui ont fait le tour du monde), un message d’espoir (même si la fleur fane) et un symbole romantique. Néanmoins, plutôt que de biaiser, Sepideh Farsi choisit d’aborder les problèmes de la société iranienne et les interdits de manière frontale, histoire de bousculer les tabous dans cette société où tout doit être voilé. Exilée en France, la réalisatrice peut se le permettre.

Enfin, celle-ci ne craint pas d’aborder la condition féminine. Dans Red Rose, c’est bien Sarah qui mène la danse. Sa rébellion se vit jusque dans sa chair. De façon débridée. Enragée même ! La confrontation est davantage physique que verbale. L’intensité des rapports sexuels répond aux images crues de la révolte. Pourtant, Red Rose est un film à fleur de peau : qualité de la lumière, sens du cadre rigoureux, remarquable travail sur les images et le son, avec une magnifique partition du musicien Ibrahim Maalouf.

Une œuvre puissante et audacieuse

Le scénario et le découpage sont efficaces. Ces images d’archives (ces terrifiantes scènes d’émeutes et de terreur ont été prises à la volée avec des smartphones et diffusées sur YouTube) et ces tweets compulsifs sont autant de pulsations qui donnent du rythme. Les dialogues sont ciselés. Pas de blabla inutile.

Quant à la direction d'acteurs, elle est subtile et précise. C’est Mina Kavani, jeune comédienne iranienne à la beauté sauvage et au talent fou, qui incarne avec justesse toute la fougue de cette jeunesse et porte loin la voix protestataire. Âme de la lutte, elle illumine le film. La rencontre de Sara avec Ali est un choc, même si cet homme, à l’identité trouble, met du temps à laisser percer son mystère. De la passivité au vertige des sens, Vassilis Koukalani est également un excellent interprète, toujours sur le fil du rasoir, jusqu’à la séquence finale, glaçante.

Lors de l’avant-première, ces cœurs battants, formidables ambassadeurs d’une œuvre puissante et audacieuse, ont beaucoup touché les spectateurs. Puisse ce film rester longtemps à l’affiche afin de rendre hommage à ceux qui résistent et luttent pour la liberté, de penser, d’aimer, de créer.

RED ROSE, drame de Sepideh Farsi sorti en salle le 9 septembre 2015 (1h27min)

Avec Mina Kavani, Vassilis Koukalani, Shabnam Tolouei, Babak Farahani, Javad Djavahery, Rezvan Zandieh, Shirin Maanian.

FESTIVALS

Toronto Film Festival 2014 - Contemporary World Cinema

Haifa Film Festival 2014

Chicago Film Festival 2014

Warsaw Film Festival 2014

Sao Paulo Film Festival 2014

Kolkata Film Festival 2014

Tallinn Black NightsFilm Festival 2014

Goa Film Festival 2014

Marrakech Film Festival 2014 – Competition

Palm Springs Film Festival 2015

Goteborg Film Festival 2015

Febiofest Film Festival 2015

BANDE-ANNONCE : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19554149&cfilm=231262.html

 

Mina Kavani et Vassilis Koukalani

 


Lire l'article complet, et les commentaires