Retour sur un suicidé

par Jules Elysard
samedi 29 juin 2013

Retour sur un suicidé (de la société du spectacle)

J’avais prévu de revenir sur l’exposition Guy Debord après l’avoir vue. J’en ai rapporté un document imprimé et quelques impressions que je livrerai tout à l’heure.

 Ce document, c’est le N° 66 de Chroniques, le bulletin de la BNF qui fait 26 pages. Pas moins de 4 sont consacrées à Guy Ernest : la carte en couleurs de ses lectures studieuses ; un texte intitulé Guy Debord, un art de la guerre, signé Laurence Le Bras et Emmanuel Guy ; un entretien avec Patrick Marcolini intitulé Les héritiers de Guy Debord ; et Trois questions à Bruno Racine, l’organisateur de l’événement.

La 3ème question est fort malicieuse : « Quels sont les aspects de l’œuvre de Guy Debord qui vous intéressent particulièrement ? ». Le responsable du mausolée répond du tac au tac :

« Je citerai sans hésiter la passion que je partage pour l’analyse des rapports de force et la stratégie, la lecture de Clausewitz, l’inventeur d’un « jeu de la guerre ».

Carrément. Et le site de la BNF n’hésite pas non plus :

« À la fois poète, artiste, marxiste révolutionnaire, directeur de revue, cinéaste, Guy Debord fut avant tout le stratège d’une guerre de mouvement contre les faux-semblants de notre société, dont il démontra très tôt et très précisément le mécanisme pervers (La Société du spectacle, Éditions Buchet-Chastel, 1967). C’est sous cet angle de la stratégie que sera abordé le parcours de Guy Debord et de ses compagnons d’armes dans l’exposition que lui consacre la BnF. »[1]

http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/calendrier_expositions/f.debord.html

L’exposition est un exercice d’admiration. Ceux qui ne connaissent l’IS et Debord que par leur réputation sulfureuse pourront en tirer profit s’ils ne s’arrêtent pas là. Les autres, celles et ceux qui sont venus là parce qu’ils ont fréquenté l’IS après sa dissolution, trouveront matière à réflexion et matière à sourire.


Exposition Guy Debord, un art de la guerre par BNF

http://org-videos.arte.tv/fr/videos/exposition-guy-debord-un-art-de-la-guerre—7423286.html

 

On est d’abord frappé par les notes de lecture de Guy Ernest. Ces passages recopiés à fin de détournement dans des auteurs auxquels ils s’identifient toujours plus ou moins. Une écriture de bénédictin. Plus que comme un stratège, il apparaît comme un moine-soldat. Mais, assez cohérent, il a utilisé un fusil pour mettre fin à ses jours et à se ennuis de santé.

L’exercice d’admiration peut se poursuivre avec quelques images (mais on sait que « le spectacle n’est pas un ensemble d’images » : reproduction d’affiches, de couvertures de revue, portraits de tous les situationnistes dans un pelle mêle). Puis quelques images animées. Un entretien de la première Madame Debord, Michèle Bernstein, avec Pierre Dumayet en septembre 1960 pour la sortie de son roman Tous les chevaux du roi.

 

Bon, celles et ceux qui étaient né n’avaient l’âge requis pour proposer à leurs parents de regarder une telle émission.

Dans la dernière partie de l’exposition, c’est une série de vidéos qui retient le visiteur pendant plus d’une heure. On enfile un casque et on déguste 13 petits témoignages.

Trois entretiens avec Marc’O : lettriste né 1927

Trois entretiens avec Daniel Blanchard : membre de Socialisme ou Barbarie né en 1934 ; il y a introduit Debord et a commis un texte avec lui.

Deux avec Jean Michel Mension : lettriste né 1934, exclu comme décoratif, puis connu à la Ligue Communiste sous le nom d’Alexis Violet. Il évoque « la dérive alcoolique » et la « fondation de l’IS ». Il est connu aussi pour contester à Guy Ernest la paternité du postulat : NE T RAVAILLEZ JAMAIS !

Deux avec Jacqueline de Jong : situationniste née en 1939. Un temps compagne d’Asger Jorn. Elle raconte la genèse des « thèses de Hambourg » et fleurit ses deux récit de ce néologisme  : « blasphémique »

Un avec Piero Simondo membre fondateur de l’IS : né en 1928

Un avec Jacques Villeglé : lettriste né 1926 qui décrit Guy Ernest comme un « opportuniste soulographe »

Un avec Maurice Rajfus : né en 1928. Il raconte la première de Hurlements en faveur de Sade.

On voit ainsi que Debord, comme stratège, s’est surtout employé à « s’imposer dans le monde »[2] des avant-gardes artistiques et politiques. Il a poursuivi cette stratégie dans la mouvance lettriste d’abord (comme le racontent Jacques Villeglé et Maurice Rajfus) ; dans celle de Socialisme ou Barbarie (comme le narre Daniel Blanchard) ; dans la direction occulte[3] de l’Internationale Situationniste (Jacqueline de Jong en fait un récit assez cocasse) ; puis dans la direction encore plus occulte des Editions Champ Libre ; jusqu’à la programmation de sa mort et de la diffusion du premier film de télévision consacré à son œuvre et à sa personne.

 http://www.premiere.fr/film/Guy-Debord-son-art-et-son-temps-3521192

 

Ce n’est pas ce Debord là qui me touche le plus. Je reviendrai une autre fois sur celui qui continue de me hanter et de m’enchanter parfois, et de me désenchanter.

Je conclurai provisoirement ici en disant que cette exposition m’a permis d’entendre et de voir Jean Michel Mension (dont j’avais lu les entretiens réunis dans le livre La tribu) ; et de découvrir des personnages remarquables comme Daniel Blanchard, Jacques Villeglé et surtout Maurice Rajfus 



[1] « Paris, 1953, au fond de la rue de Seine, un jeune homme écrit sur un mur en hautes lettres : NE T RAVAILLEZ JAMAIS !
Guy Debord n’a jamais travaillé. Il a beaucoup marché dans les rues de Paris, bu certainement plus que d’autres et a surtout développé dans ses œuvres, écrites ou filmées, les armes théoriques d’une critique sans concession de la société moderne. Les mouvements d’avant-garde dont il fut l’initiateur, l’Internationale lettriste (1952-1957) puis l’Internationale situationniste (1957-1972), furent les points d’appui de cette lutte organisée pour combattre tout ce qui fait entrave à la vie véritablement vécue. À la fois poète, artiste, marxiste révolutionnaire, directeur de revue, cinéaste, Guy Debord fut avant tout le stratège d’une guerre de mouvement contre les faux-semblants de notre société, dont il démontra très tôt et très précisément le mécanisme pervers (
La Société du spectacle, Éditions Buchet-Chastel, 1967). C’est sous cet angle de la stratégie que sera abordé le parcours de Guy Debord et de ses compagnons d’armes dans l’exposition que lui consacre la BnF. Son œuvre, son regard et sa pratique seront constamment au centre d’un dispositif qui présentera, époque après époque, les travaux collectifs et individuels de ceux qui unirent leurs efforts pour concevoir une société à leurs yeux moins absurde que le système d’une économie capitaliste marchande, alors en plein essor.
Les archives de Guy Debord ont été acquises en 2011 grâce au mécénat. »

http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/calendrier_expositions/f.debord.html

[2] Pour reprendre le mot d’un de ses adorateurs aujourd’hui oublié : André Migeot, De la Manière de s'imposer dans le monde (1978)

[3] Puisque cette organisation se prétendait antit-hiérarchique et égalitaire.

 

Carte des lectures
Expo Debord
Communiqué JDD
Communiqué L’Huma
Communiqué Debord et Delors
Communiqué Wolman
Communiqué Guy Debord

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