Revue de presse jazz : « Singularity » de Michel Bisceglia
par Frédéric Degroote
lundi 14 avril 2014
Le jazz belge est un vivier inépuisable et il est tout naturel de présenter Michel Bisceglia, une figure majeure du paysage musical à l’occasion de la sortie de son nouvel album « Singularity » en trio chez Prova Records.
Après avoir composé 8 bandes-son pendant ces trois dernières années et enregistré 5 disques en trio pour Prova Records, Michel Bisceglia revient avec son trio original existant depuis 20 ans : à la contrebasse Werner Lauscher et à la batterie Marc Léhan. Le temps a eu raison d’eux, c’est un album rempli de maturité et d’une belle dynamique. Michel Bisceglia est dans un fauteuil pour improviser avec intelligence sur les sept compositions personnelles des neuf que composent l’album. Le titre renvoie à la relation entre l’homme et l’intelligence artificielle, et le niveau d'évolution technologique qui deviendra incompréhensible pour l’homme moderne, écrit-il à l’intérieur de l’album. Ce concept l’a toujours fasciné énormément car il il perçoit une interaction similaire entre l’homme et la musique : ils s’influencent se stimulent profondément l’un l’autre, au delà des limites du compréhensible.
Intime et convaincante entrée avec la ballade « Puccini », assisse plus importante dans « Meaning of the blues », c’est cependant lors du thème binaire « Jasmine » que l’on rentre définitivement dans l’album. Côté improvisation, Michel Bisceglia privilégie tantôt un discours plus enlevé comme dans l’entêtant « Choosing », tantôt plus maitrisé et subtil comme le montre le titre éponyme de l’album, doté à l’image du reste du disque d’une excellente interaction entre les trois musiciens. Le tout au service de l’expressivité et avec un son d’ensemble toujours chaud et envoutant. Mention spéciale pour « Don’t explain » au lyrisme incandescent et qui résume si bien le toucher fin du pianiste. Enfin, « Passion Theme », le dernier titre du disque, fait référence à « Marina » de Stijn Coninx, le dernier film pour lequel le pianiste a composé la bande-son. Entre jazz, variétés et musique de film, « Singularity » est véritablement un carrefour de références.
Le plaisir retiré en studio a abouti à un album bonus intitulé « My Ideal ». Cet album contient des réengistrements de nouvelles interprétations de morceaux enregistrés auparavant. Complément intéressant mais certainement de facture plus classique que les pistes de « Singularity », le trio se rejoint cependant souvent pour le meilleur comme en atteste « Paisellu miu ».
Pour ceux qui veulent aller plus loin, un enregistrement de Michel Bisceglia en duo avec le trompettiste Carlo Nardozza, « Eleven », est sorti au printemps 2013 toujours chez Prova. Ayant en commun une filiation avec les immigrés italiens des charbonnages du Limbourg belge et un apprentissage passé par Maastricht & Anvers, ils se risquent ici à un exercice difficile globalement réussi. A l’écoute de ce disque se distinguent d’un côté le lyrisme du pianiste et de l’autre la sonorité assez claire du trompettiste. C’est cependant un tour de force, et la complicité entre les deux interprètes n’est pas à prouver tant leur aisance est remarquable.
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Michel Bisceglia (p), Werner Lauscher (b), Marc Léhan (dm)
2014 Prova Records PR 1401-CD22/23