Rire au moyen âge... et à tous les temps

par jack mandon
samedi 13 avril 2013

Il est complètement erroné de considérer le moyen âge comme une période sombre et inhospitalière. Depuis quelques décennies, des chercheurs ont largement restauré cette vision. Le rire au moyen âge, à travers les fabliaux, les petits contes comiques,aux soties et farces, pièces de théâtre drôles était à l'honneur. On riait de tout et de tous : De la vie, mais aussi de la camarde que l'on illustrait d'une manière ludique, comique et grotesque. Les paysans étaient moqués, mais aussi les bourgeois, les curés, les seigneurs. Tous les sujets et toutes les classes sociales étaient raillés, rien ni personne n'était épargné. Mieux, l'humour fut est restera toujours, l'une des portes qui ouvre sur l'art, les idées, les savoirs...

La première raison de cette méprise est que nous avons des préjugés sur l'essence même de l'humanité. Certes, il existe des modes, les traditions culturelles de surface, les masques de chacune des époques qui dissimulent les insuffisances, les peurs et les failles. Mais la psyché dans son essence est libre et spontanée.

Cette vision comme en amont du sens, elle participe à la vie.


Les hommes dans le moment de leur histoire, font émerger des merveilles, la flexibilité, l’inventivité, la créativité, l’envie de vivre, la foi, l’amour, l'humour « Ce n’était pas mieux hier », selon la formule consacrée...mais «  ce n’est pas mieux aujourd’hui ».

"L’homme au moment de sa propre histoire se construit et invente son univers." Le passage du pèlerin du voyage intérieur (Levi-Strauss ) qui a vécu et qui nous dit (avec Novalis)

« c’est en nous, sinon nulle part, qu’est l’éternité avec ses mondes, le passé et l’avenir ».

L'expression populaire allait par les chemins, les villes et les campagnes, dans les châteaux se concentrait. Ils se nommaient trouvère dans le nord, troubadour dans le sud, ils trouvaient, composaient des histoires, des poésies. Le ménestrel, poète et musicien, allait de château en château. Le ménestrel récitait des vers, les chantait en s'accompagnant d'instruments baroques. Le jongleur exécutait des acrobaties et des tours d'adresse avec des animaux savants.

A partir du XII e siècle se développait, parallèlement à la littérature noble, aristocratique, les exploits des preux chevaliers, une littérature plus populaire, plus réaliste ou le rire s'engouffrait sans retenue. La littérature comique et satirique, jugée plus vulgaire et grossière. Les gens des bourgs, sédentarisés dans le commerce et l'artisanat, les bourgeois, goûtaient les fables et les contes populaires à la moralité pratique. Ils subissaient la pression des nobles puissants et savouraient, juste revanche, la moquerie dans leur dos. Les romans à bestiaire, d'Esope à La Fontaine, traversaient ce temps, illustrant les intrigues et les caractères humains en masquant à peine leurs homonymies originelles.

Le moyen âge peignait des danses macabres ou danses de la mort qui évoluaient entre le comique et le grotesque pour mieux rappeler l'égalité de tous les hommes devant la mort. Le rappel de la mort pour éveiller les consciences.

Danse macabre au moyen âge

Le judéo-christianisme s'était abattu sur le monde comme une hégémonie divine pour les uns, chaînes salvatrices pour les autres...le rire et l'humour naquirent de l'oxymore. De fins politiques veillaient. Les famines, les plaies, les épidémies et les guerres remplissaient en partie l'espace d'ombre médiéval. Il fallut que l'âme exulte pour éviter le chaos et les révoltes.

La fin du millénaire prenait dans les consciences la forme apocalyptique de l'espérance. A la censure, à la puissance de Thanatos, le remède devint l'humour, l'amour, l'artisanat et l'art. La force du vivant, de l'instinct, la belle nature, ses promesses architecturales et l'érection étonnante et miraculeuse de ses flèches de cathédrales pointées vers le ciel comme un appel au divin. Les derniers siècles du moyen âge furent inspirés, grandioses et vraiment inégalés en perfection, finesse et abondance créative. Dans la foi et le savoir faire, l'humanité culmina et triompha. Quel sculpteur, responsable de chantier ou ecclésiastique pourraient tolérer que l'on façonna aujourd'hui, accrochés au parois, dans les coursives des sanctuaires, des scènes lubriques et paillardes. Diabolisation certes, mais représentations osées...l'humour de ce temps, sa liberté d'expression. Quand à l'intérieur des colonnes et murailles majestueuses les chants grégoriens faisaient trembler les voûtes, ajoutant à l'enluminure des vitraux. L'ancrage, visuel, les formes , les perspectives et les couleurs éclatantes, les flammes des cierges. L'ancrage sensoriel par les parfums orientaux, les étoffes veloutées, les voilures douces et enveloppantes, la protection monumentale des arcs tendus au-dessus des têtes fragilisées, abandonnées. L'ancrage auditif par les voix, l'écho ouaté, les résonances colportées, les orgues vibrantes et les cloches retentissantes et joyeuses qui égrenaient les heures et rappelaient le moment des offices et des fêtes. La programmation neuro linguistique 1000 ans avant sa découverte. Les gens du moyen âge ne lisaient et n'écrivaient point majoritairement. Leur esprit était capté par la communication sans parole. Aux cœurs célestes et nobles qui répandaient la musique sacrée, répondaient à l'extérieur, les chansons de gestes qui mimaient les épisodes de la bible, les drames liturgiques. Sur le parvis des cathédrales, les places des églises, les fêtes religieuses étaient entrecoupées de spectacles profanes voire même obscènes. A l'époque de Noël, les églises devenaient aussi le théâtre de débordements, le vin aidant, la fête des fous. Le carnaval inscrivait les passages de l'hiver au printemps dans l'extravagance et l'exubérance théâtrale.

« La turbulence et la folie du monde en toute liberté »

L’irrévérence et les images de comédie : Un âne enseignant les écritures aux évêques,

le pape en renard et messire l’abbé en singe.

Comme le péché » (la pensée est d’Aristote et Rabelais l'a formulée : « Mieux est de ris que de larmes escripre, pour ce que rire est le propre de l'homme. »

Il faut attendre le 13ème siècle pour que l'humour et le rire soient mieux perçus. C'est à un chirurgien, Henri de Mondeville, que l'on doit ce changement d'opinion. Il explique : « ...que le corps se fortifie par la joie et s'affaiblit par la tristesse. » Cette reconnaissance positive du rire va perdurer jusqu'à la fin du 16ème siècle, jusqu'à la renaissance.

L'écrivain français Rabelais, 1494, (l'art gaulois) et un médecin anglais Richard Mulcaster (1553) contribuèrent à cette vision positive de l'humour et du rire.

Les siècles qui suivirent réprimèrent à nouveau le rire. Les principes de la religion catholique de l'époque furent clairs. Dans un ouvrage de Robert Barclay,

L’Apologie de la Vraie Divinité chrétienne (1676), on peut lire : « Il n'est pas permis aux chrétiens de pratiquer les jeux, les comédies, les sports de récréation ; ils ne conviennent pas au silence, à la sobriété et à la gravité catholique. Le rire, le sport et la chasse ne sont pas des activités chrétiennes ».

L'humour et le rire furent est resteront toujours, l'une des portes qui ouvre sur l'art, les idées, les savoirs, le bien être partagé. L'expression harmonieuse de la vie. Puissions nous rester attentifs et vigilants aux systèmes religieux qui critiquent, combattent et bannissent ce mode naturel et culturel de communication et d'expression.

Le nom de la rose d'Umberto Eco, le film de jean-jacques Annaut.

La violence de l'histoire, l'inquisition, sont plutôt postérieures au moyen âge, un rappel historique de la renaissance plus culturellement bridée.

 


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