Rire de la tragédie
par
samedi 30 décembre 2017
Dans le cinéma italien, il y a la grosse comédie bien lourdaude, bien grotesque qui au moins avait le mérite de n'avoir aucune prétention. Les italiens l'appelaient « italiote ». Et il y a eu des années 60 aux années 80 un âge d'or de la comédie plus grave, plus mature aussi. Il vint après les films « téléphones blancs » des années fascistes, se déroulant tous dans des environnements de rêve le plus irréalistes possibles, après les pitreries des comiques plus traditionnels des années 30 et découle en grande partie du néo-réalisme rose, ces films évoquant la pauvreté mais idéalisée, sans jamais montrer les ravages qu'elle implique.
Dans ces comédies à l'italienne dans ces grandes années on riait de choses sérieuses, du tragique et de l'absurde de l'existence. On y moquait la bêtise du mode de vie née dans ces tristes années consistant à consommer tout ce qui passe à portée de la main, choses et êtres. Certains réalisateurs utilisaient pour cela le genre du film à sketchs, donnant à la nouvelle une gloire cinématographique s'inspirant d'auteurs contemporains tel Dino Buzzati ou Italo Calvino.
Ce genre de films ne prenait pas le spectateur pour un demeuré, on le croyait capable de réfléchir par lui-même. Illusion bien entendu. L'homme moderne adore qu'on réfléchisse à sa place.
La plupart des réalisateurs de cette époque venaient d'horizons divers, du marxisme de stricte obédience à l'anarchisme de droite, et avaient tous cependant en commun un scepticisme très marqué quant à la nature humaine. Ils n'étaient pas pour cela méprisants envers leurs personnages, ou moralisateurs, ils savaient bien qu'au fond ce n'était que des êtres humains bien faibles comme eux. Ils s'appelaient Dino Risi, Ettore Scola, Mario Monicelli ou Mauro Bolognini. Certains parmi eux n'avaient aucune envie de vivre plus longtemps des temps aussi grisâtres et médiocres que les nôtres.
Et de toutes façons le nouveau système de financement de leurs films, tout passant par Berlusconi, impliquait qu'à un moment ou un autre ils s'inclinent devant le pantin grotesque tenant dans ses mains toutes les rênes du pouvoir, à commencer par l'économique...
Leurs œuvres étaient portées par des interprètes de talent : Alberto Sordi, Nino Manfredi, Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni. Ils auraient pu pour la plupart profiter du vedettariat et rejouer indéfiniment le même rôle de film en film. Mais tous acceptait de se mettre en danger, d'incarner qui des salauds, des monstres, des demeurés, des riches, des pauvres, des génies. Le tout réuni donnait au spectateur une idée relativement précise de sa condition particulière et de celle de ses congénères. Ils refusaient tous cet esprit de sérieux qui maintenant a tout envahi. La comédie, l'humour, les lettres, le cinéma se doivent d'avoir une utilité sociale :
Le décervelage par le délassement, la défense d'une cause ou d'une autre, feindre de lutter pour les fameuses heures les plus sombres de notre histoire mais surtout d'éviter cette légèreté apparente de la comédie à l'italienne dans ses plus riches heures. Mes contemporains n'ont aucune envie de la lucidité de ces œuvres. Bientôt elles seront d'ailleurs sans aucun doute possible toutes mises à l'index car si d'aucunes attaquaient l'Église et l'Armée, elles s'en prenaient à tous les donneurs de leçons de morale politiques, aux profiteurs aussi, à ceux qui n'ont pas honte de profiter de la précarisation de notre société pour s'enrichir.
Elles les montraient sous leur vrai jour, pas le plus glorieux, on comprend qu'ils voudront l'envoyer au pilon sous un prétexte ou un autre...
Sic Transit Gloria Mundi, Amen
Amaury – Grandgil
illustration prise ici