Rutabaga Swing, comédie tragique avec chansons

par Pelletier Jean
mercredi 6 septembre 2006

Quel exploit ! Dénoncer la collaboration, le nazisme ; la lâcheté, tout en saluant la résistance, le doute, avec la légèreté des chansons de l’époque. Il fallait le faire, c’est le pari réussi par Philippe Ogouz et toute sa troupe.

Le spectacle devait s’intituler « Chantons sous l’occupation », et c’est finalement « Rutabaga Swing » qui claque et fonctionne sur le même moteur que « Le Père Noël est une ordure ». Le comique de situation est mis au service d’une véritable réflexion sur des thèmes aussi tragiques : que celui du bourreau qui doute, du collabo qui se dissimule, de la victime qui aime le bras armé, du résistant travesti en l’immonde pétainiste, du cafetier lâche et dénonciateur, et de la fille légère qui, par son regard finalement innocent, donne au spectacle une profondeur inattendue.

C’est un vertige éblouissant tant la réussite est au rendez-vous : un texte magnifique servi par des comédiens qui « installent » leur histoire en quelques secondes, une mise en scène qui ne laisse aucun répit pendant cette heure cinquante, et des chansons qui parlent au public.

On pourrait dire : encore un spectacle qui dénonce les méfaits de l’occupation... mais le théâtre raconte depuis la nuit des temps la même histoire, celle des hommes qui se débattent avec des sentiments contradictoires, où le bien est le mal ne sont jamais nettement tranchés, un monde gris, terriblement gris.

Mais l’angle retenu par Philippe Ogouz (metteur en scène) et Didier Schwartz (l’auteur), dire la tragédie humaine en chansons légères, est audacieux, la volonté de faire rire aux éclats tout en rappelant le génocide juif, la France qui collabore et celle qui ne dit rien par lâcheté et confort était risqué.

Philippe Ogouz dit de son spectacle : « C’est une pièce grave et drôle en même temps, j’avais envie de faire rire et pleurer les spectateurs, de les faire chanter avec nous. Pour moi, le théâtre, c’est avant tout l’émotion. ».

Eh bien l’émotion est au rendez-vous, car le café de Mme Barray est authentique, chaque personnage est crédible pas la tendresse qu’il donne, la cruauté qu’il crache, par la faiblesse qu’il nous renvoie dans le miroir de notre histoire.

Le café de Mme Barray, veuve centenaire, que l’on ne verra jamais mais qui domine la scène de sa figure tutélaire, référent de la frontière entre ce fameux bien et ce non moins célèbre mal, donne au décor, avec en fond sonore les publicités désuètes de Radio Paris, une gravité empreinte de doutes et peuplée de rires, un de ces rires qui vous donnent tout de même froid dans le dos, quand on y réfléchit après coup.

Et c’est bien là l’intérêt de ce spectacle qui nous fait réfléchir longtemps après, et que l’on porte en soi comme une chambre d’échos à nos propres incertitudes.

Et si le monde s’appelait Rutabag swing ?


Rutabaga Swing, comédie tragique avec chansons

Au théâtre 13 (103 A Bd Auguste Blanqui 75013 Paris, Métro Glacière

Du 5 septembre au 15 octobreoctobre

Un spectacle caustique, drôle et profond.

Jean Pelletier


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