Scoop : censure aux « César » !
par Vincent Delaury
mardi 26 février 2008
Tout s’annonçait très bien sur le papier et sur mon écran plasma. Bonne cérémonie des César (2007) vendredi 22 février 2008 au superbe théâtre du Châtelet, récompensant dans l’ensemble de bons films français.
Alain Delon le guépard a rendu un hommage poignant à l’inoubliable Romy. Le beau Melvil Poupaud, très sobrement et avec talent, a rendu hommage, comme il se doit, aux soixante ans de carrière de la grande Jeanne Moreau. L’histrion Roberto Benigni, face à son César d’Honneur, s’est montré (Fanny) ardent comme toujours, et il a rendu un bel hommage au cinéma français, à son Histoire (les Lumière), ainsi qu’à deux grands cinéastes disparus l’an passé : Antonioni et Bergman - sa minute de silence était très forte après ses clowneries festives, bien joué l’artiste. Antoine de Caunes était drôle et punchy, j’ai bien aimé ses petites piques happy few, notamment contre les Jaoui-Bacri (!), et son bestiaire animalier foutraque était, euh... comment dire, poilant - c’était dogville à un moment, ça faisait très Tintin et Milou (vous savez, les fameuses planches 45 et 46 de Tintin en Amérique (1947) lorsqu’un détective privé, mou du bulbe, ramène plein de chiens à notre petit reporter qui vient de perdre Milou, mais c’est jamais le bon !). Au Châtelet, l’autre soir, on a récompensé deux films qui le valaient vraiment : j’ai été ravi pour les César attribués à Persepolis, le très beau film sensible itou itou signé Marjane Satrapi, et les César d’importance (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario original), attribués au puissant La Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche, m’ont littéralement enchanté. Claude Berri, très affaibli, a parlé de Pialat à l’égard de Kechiche et il a mille et une fois raison. Merci Claude Berri donc, selon le sacro-saint usage de cette formule-sésame ! La sublime Hafsia Herzi (César du meilleur espoir féminin) était au rendez-vous, irradiante de beauté brune orientalisante - une graine de star, indéniablement. L’intello Mathieu Amalric (pour son César pour le film émouvant mais quelque peu tire-larmes Le Scaphandre et le Papillon de Julian Schnabel) avait laissé un beau texte (éclairant) à lire à l’animateur Antoine de Caunes, l’acteur ayant fait faux... Bond du fait d’un tournage à Panama. Chapeau à lui !
Le César de la meilleure musique attribué à Alex Beaupain pour Les Chansons d’amour de Christophe Honoré (film, selon moi, trop absent de cette cérémonie) était mérité, on a encore tous et toutes, je pense, ses chansons entêtantes en tête, telles des ritournelles libertaires, et le compositeur, agacé, a eu raison de reprendre le banal Gilles Lellouche qui avait écorché son nom en le nommant Alex Beaupoint, ou Beaucoin, et pourquoi pas Bonpoint tant qu’on y est ! Bref, un mauvais point pour cet acteur lambda n’ayant pas assez préparé sa remise d’un César, c’est dommage. Seule ombre au tableau, le César pour La Môme, celui de la meilleure actrice, attribué à Marion Cotillard (oscarisée depuis en grande pompe, tant mieux pour elle et bravo !). Je l’avoue, selon moi, ce sont ses maquilleurs qu’on aurait dû récompenser pour sa prestation dans le biopic sur Piaf du talentueux Dahan ! Et, tout de même, pourquoi tous ces suffrages pour une seule et même actrice ? On le sait, c’est la limite des César et des prix entraînant un effet boule de neige, on la porte aux nues comme si les autres n’existaient pas, on la filme comme une petite princesse, on la bichonne trop, c’est trop lénifiant comme truc, ça faisait limite bonbonnière. Ludivine Sagnier était bien plus présente cette année (La Fille coupée en deux, Les Chansons d’amour, Un secret ), c’est à elle, moi, que j’aurais donné le César de la Meilleure Actrice et, en plus, elle est plus jolie que Marion Cotillard, et toc ! A part cette petite réserve quant au Dahan sentant beaucoup trop le musée Grévin à mon goût, j’ai trouvé que ces César étaient une belle cérémonie et qu’Antoine de Caunes, comme d’hab, s’en est sorti haut la main, peau de lapin. Ave Caesar ! (Ah oui, le César du Meilleur Film étranger, moi, je l’aurais donné à La Nuit nous appartient de James Gray, ça, vous voyez, c’est du grand cinéma, stylé et sobre à la fois, tout ce que j’aime, chapeau !). Mais, bref, tout ça, c’est le joli décor d’apparat, plongeons-nous maintenant dans l’envers du décor, à savoir dans les promesses de l’ombre des coulisses. Pouce, quoi !
Scoop : censure aux César, j’hallucine ! C’est une affaire qui fait grand bruit dans le landerneau cinématographique (presse et monde du cinéma) et ailleurs. Voici l’affaire, il se trouve qu’une partie de la lettre de Mathieu Amalric a été censurée aux César, ni plus ni moins. Tronquée. Coupée nette. Edulcorée. Ratiboisée. Pas de têtes qui dépassent, paraît-il que c’est tendance en ce moment ! Censure par qui ? Antoine de Caunes ? Les boss de Canal+ (chaîne qu’on a connu plus « rebelle » à une époque) ou des César ? Michel Denisot himself ? L’establishment politique ? Sarkozy ? Que nenni, pas de parano inutile. L’acteur et réalisateur Amalric, en plein tournage au Panama pour Quantum of Solace (le prochain James Bond), n’était pas présent vendredi soir au théâtre du Châtelet où il devait recevoir le César du Meilleur Interprète masculin pour Le Scaphandre et le Papillon. Aussi, il a envoyé par e-mail une lettre qu’il voulait qu’Antoine de Caunes lise à sa place, mais il y a un bug : le message de remerciement de l’acteur n’a pas été lu en entier, ledit texte a été censuré dans toute sa dernière partie. Eh oui, c’est bien connu : les absents ont toujours tort. Voilà la polémique lancée : Amalric, furibard, crie à la censure ! Sur le site des Cahiers*, on peut lire : « De Panama je t’envoie le texte que j’avais envoyé au dernier moment aux Césars au cas où. Et comme le cas où est arrivé, il a été lu, paraît-il très bien par de Caunes mais... pas jusqu’au bout. Je n’en reviens pas. Je ne savais pas que c’était si simple que ça, la censure ». Depuis, de Caunes s’est expliqué, plutôt bien d’ailleurs : « Mathieu Amalric a demandé que ce soit moi qui lise sa lettre. A la dernière minute, on m’a passé quatre fiches et j’ai tout lu de la première à la dernière ligne. Vous pensez bien que je ne me serais pas privé d’une déclaration politique ni de la chute sur "se tripoter la nouille". » Renaud Le Van Kim, le producteur exécutif des César (depuis six ans), explique les conditions de cette coupe : « Nous avons reçu le texte par le biais de l’agent d’Amalric dix minutes avant la remise du prix. Sur autorisation expresse de son agent, nous avons décidé, avec Laurent Chalumeau [auteur des textes d’Antoine de Caunes] de raccourcir la lettre parce que nous avions déjà du retard. On a enlevé la partie sur les multiplexes parce que Jeanne Moreau venait, mot à mot, de dire la même chose. »
Bon, c’est crédible, pour autant, ce n’est pas très malin de « censurer » un tel acteur. Mathieu Amalric est un acteur bankable aux 2 César (2004 : Rois & reine, 2007 : Le Scaphandre et le Papillon) et à la carrière internationale assez impressionnante (Steven Spielberg, Julian Schnabel, Sofia Coppola, James Bond...). Aussi, il a des tribunes de choix - et puissantes - pour s’exprimer. La preuve : ce fils de journalistes - Jacques Amalric, éditorialiste à Libération, et Nicole Zand, critique littéraire au Monde - a envoyé un e-mail de mise au point aux Cahiers du cinéma, entre autres. Ceux-ci, par intégrité par rapport au cinéma comme art et par respect pour l’artiste (Amalric, acteur et cinéaste indé), ont décidé de publier l’e-mail et la lettre intégrale sur leur site. Merci à eux. Et pour vous, lecteurs du média citoyen Agoravox, le voici dans son intégralité : "Antoine, tu le lis avec hésitation et bafouillements. Oui bon ben... euh... alors là on frôle le n’importe quoi : Lindon ; trois fois nommé, zéro compression Darroussin ; deux fois... nada Michel ; quatre fois comme acteur... résultat blanc. Et le pompon, Jean-Pierre Marielle. Sept fois nommé !!! Et jamais la fève, même pas pour les Galettes. Chapeau ! ... De Panama, d’où je vous fais un vrai faux-Bon...D. L’autre vilain de Lonsdale aussi il paraît. Enfin, mouais, mais... non ce qui fait plaisir, c’est que Le Scaphandre, c’est bien la preuve qu’un acteur n’existe qu’à travers, qu’en regard de ses partenaires. Parce que qui voit-on à l’image, qui fait prendre vie au Jean-Do de fiction ? C’est Chesnais, c’est Ecoffey, Arestrup, Watkins. Ce sont Marie-José, Olatz, Consigny penchées vers lui, vers moi, vers vous, tendres, drôles et attentives. C’est Marina en Vierge Marie, c’est Emmanuelle Seigner qui joue pas la Sainte et qui du coup donne corps, chair et souffrance à Bauby. Ta fille aussi, Emma qui carrément provoque le miracle. Et c’était Jean-Pierre Cassel, doublement. Le Papillon c’est la preuve que, quand il y a un réalisateur, les techniciens sont des roseaux pensants. Que tout se mélange, que sur un plateau tout est dans tout, qu’on peut être, (ce joli mot), une équipe PAS technique... parce que franchement qui c’est l’Acteur quand c’est Berto, le caméraman qui fait, qui EST le regard. C’est LUI qui, par les mouvements de sa caméra crée les mouvements de la pensée de Jean-Do. Oui, quand il y a un réalisateur... Julian. Je pense fort à une autre équipe. Celle, médicale, de l’Hôpital Maritime de Berck-sur-Mer où on a tourné et où Bauby a passé un an et demi. Le vrai et le faux, la réalité et la fiction... on ne savait plus. D’ailleurs c’est drôle, je me souviens. Le décor de la chambre, pour avoir plus d’espace, était reconstitué dans une grande salle au rez-de-chaussée de l’Hôpital, la salle des fêtes. Avec au-dessus de la porte, une enseigne en grosses lettres rouges : CINEMA. Ça ne s’invente pas. » Et là, de Caunes s’arrête, il n’avait que ça sous les yeux, semble-t-il, pourtant le texte continuait : « Mais la salle de cinéma. Oui, la SALLE de cinéma, elle, doit pouvoir continuer à s’inventer. "A lire à la lumière. Et à diriger sur notre nuit". Notre musique. Insupportable "trompe-l’œil" des multiplexes. Les chiffres comme seule ligne d’horizon. Aveuglement, brouillage, gavage, lavage. Et quelle solitude. Vous avez déjà parlé à quelqu’un dans un multiplexe ? Pas moi. D’ailleurs c’est impossible, ce qui compte c’est le flux. "Circulez s’il vous plaît, y a rien à voir" . Au suivant ! bande de Brel. Alors que le travail souterrain, patient, divers, dédié au public, aux écoles, aux rencontres que font et ont envie de faire tellement d’exploitants de salle se voit de plus en plus nié aujourd’hui. La Question humaine n’aurait par exemple jamais fait autant d’entrées sans le travail de curiosité des exploitants de province et de l’ACRIF. Ce tissu de salles, que le monde entier nous envie, est notre cœur, nos poumons. Sinon... Sinon on va tous finir devant nos "home cinéma" à se tripoter la nouille... Bons baisers de Panama... Mathieu ».
Texte certes fort, mais un peu facile, venant d’ailleurs d’un acteur qui ne boude pas les billets verts des blockbusters (Munich, James Bond...). On serait un peu caustique, on serait tenté de dire que l’auteur du film Mange ta soupe crache un tantinet dans la soupe ! D’ailleurs, de même qu’il est bon qu’il y ait plusieurs types de cinémas - Amalric en est un très bon exemple, il tourne aussi bien des films d’auteurs français et autres (Richet, Bonello, Desplechin, Odoul, Klotz, Dieutre, Giannoli, Moullet, Jacquot, Biette, Iosseliani, Téchiné...) que dans des grosses machines cinématographiques américaines -, il est bon qu’il y ait en France un tissu large de distributions des films dits « d’auteurs », « du milieu » (selon le mot de la cinéaste engagée Pascale Ferran) et « populaires » : multiplexes comme salles indépendantes, mais en faisant très attention à ce qu’il n’y ait pas de concurrence déloyale, avec un gros Goliath bling-bling qui écraserait systématiquement un David « arte povera ». Il faut aussi souligner que les cartes d’abonnement (UGC, Pathé, MK2) permettent au cinéma sortant en salles de tenir, et ça, c’est essentiellement le fait des multiplexes-bulldozers ayant pignon sur rue. Oui, il faut garder notre tissu de salles dans toute sa diversité. Cependant, ne soyons pas naïfs, le cinéma est un art ET une industrie. Derrière les gros producteurs à cigares et les bankable Amalric et autres Jeanne Moreau, il y aussi les distributeurs, les caissiers, les exploitants, y compris dans les multiplexes tant décriés. Bref, évitons l’angélisme élitiste facile, la diversité culturelle gagnerait-elle à la disparition des multiplexes ? Je ne pense pas, loin s’en faut, même. Certes, il faut se méfier de la planche à billets qui uniformise tout, il faut aussi trouver la juste mesure entre un public de flux (cartes d’abonnement) et un rapport singulier entre le spectateur et le film et, bien sûr, il faut également préserver notre parc de petites salles indépendantes de quartier et de caractère, endroits où l’on évite les odeurs de frites et de pop corn, pour autant ne diabolisons pas à l’extrême les multiplexes.
Ah oui, quand même un dernier truc. Petite cerise sur le gâteau : ça se passe comme ça chez UGC et ses gros multiplexes sans complexes : l’autre jour, je me décide à aller au cinéma, direction l’UGC-Ciné-Cité-les-Halles (Paris), et m’apprêtant à prendre une place pour un film « du milieu », voilà qu’il n’y a plus ni caisses ni caissiers ni caissières ! Bon sang, me voilà donc dans un film, ça y est, du genre Minority Report ou I, robot. Mazette, je suis plongé ad libitum dans la Matrice des frères Wachowski ou quoi ? Je suis peut-être un robot après tout, passé de l’autre côté du miroir aux alouettes qu’est le cinéma, c’est ça !? Incroyable, on a devant nous des gens taiseux (spectateurs ?) courbés sur des machines et des bornes métalliques froides pour prendre des places de ciné, comme dans un aéroport, on glisse alors sa carte 5 - la moins chère ! - et zou les mouches, nos tickets imprimés sortent comme dans un parking payant en sous-sol et, en plus, pour... la salle 13, manquait plus que ça ! Après la projection du film, la froideur des espaces sans fin UGC me donne un peu l’impression qu’on est - nous, les braves spectateurs - comme des clones, des fourmis, des oies à gaver, coûte que coûte. Bonjour la déshumanisation ! Avant, et même dans un UGC pardi (!), on avait le plaisir de demander 2 places, par exemple, pour « le dernier Kubrick » ou « le Bruce Willis », on avait aussi une certaine appréhension quand il s’agissait de demander une place pour un film au titre imprononçable du genre Eternal Sunshine of the Spotless Mind (bafouillage total, on disait alors, histoire de faire bonne figure : 1 place pour la 13 !), voire on prenait même quelque peu plaisir à répondre au sourire commercial et disneylandisé d’une jolie caissière sexy en tailleur serré bleu de cobalt. Mais maintenant, que nenni, rien de tout ça : plus de caissières, plus de paroles, plus de regards, juste des machines bornées, des bornes illimitées et des films qu’on consomme comme si l’on faisait un plein d’essence d’entertainment abrutissant. On n’a pas à parler. Chut, on consomme, on est lobotomisés, on se tait surtout et au suivant, vite ! Ouais, c’est vraiment inquiétant tout de même cette course frénétique au profit qui en oublie l’humain et le tissu social. Et, tenez-vous bien, en soirée, mon cauchemar n’est pas fini. Après le ciné, je me rends dans une grande surface style Auchan, et cette fois-ci, il n’y a plus de caissier pour la caisse moins de 10 articles, on passe froidement ses pâtes et ses corn flakes dans un truc métallique laser pour identifier les codes-barres, sans rien dire, tels des... oranges mécaniques. Ubuesque le truc ! Bonjour l’ambiance et l’angoisse - la prochaine fois, c’est promis, direction l’Arlequin, le Panthéon ou le Champo (des petites salles parisiennes à taille humaine) et... mon p’tit fromager du coin tant qu’on y est ! Et l’UGC, eh bien, désolé Mister Luc Besson, mais je vais attendre un peu par Toutatis !