Séduire c’est résister ! Bas ou collants, bon choix Mesdames !

par Bernard Dugué
lundi 31 décembre 2007

Voici un billet pour faire des bas en ce jour de réveillon.

Les kamikazes se font exploser et pas qu’eux ; les menaces pèsent sur l’économie ; Sarkozy désespère les classes moyennes et, en plus, il n’est même plus drôle quand il passe à la télé ; et, à la télé, il va falloir se farcir Sébastien, Drucker, Ruquier, Fogiel, Foucault. Finalement, cette existence manque fichtrement (de piment et) de sens, comme a dit notre bon Sarko à Latran. Bon, on peut toujours aller voir les moines qui vont répondre à nos questions. Mais ce n’est pas la solution raisonnable. On ne vit qu’une fois. Soyons fous et posons-nous la vraie question qui importe aux dames qui se préparent pour être sur leur 31.

Mesdames, êtes-vous plutôt bas ou collants ?

Voilà une question des plus fondamentales qui se posent dans notre monde post-moderne, une question tout aussi essentielle que Stone ou Led Zep, Agoravox ou Rue89, Saint-Laurent ou Mugler, Dolce ou Gabana, Sarko ou Royal, Télérama ou Télé 7 jours. Autrement dit, que portent les femmes sous leur jupe ? Ah que voilà une question frivole et pourtant, contrairement à ce qu’on peut penser, il y a quelque élément culturel et subversif en filigrane de ce sujet que les grandes chaînes publiques se refusent à aborder, que ce soit chez JPP ou Drucker, apôtres du socialement correct ; si bien que la chaîne Arte a pris cette délicate affaire en main en nous proposant un regard croisé sous les jupes des femmes, avec force évocations historiques. Pourrait-on philosopher sur un sujet si léger en apparence ? Oui, certainement, car l’Eros et le désir sont l’essence de l’homme, comme le travail. Et que l’évolution de la perception du porte-jarretelles à travers les âges dévoile en quelque sorte des processus de transformation des valeurs. Un thème tout trouvé pour être pensé dans un cadre nietzschéen. S’il y a une généalogie de la morale, il existe aussi une généalogie de l’érotisme, ce qui se comprend aisément car l’érotisme n’est-il pas l’essence de la morale libertine ?

Le porte-jarretelles fut inventé à la fin du XIXe siècle, pas par Gustave Eiffel comme le raconte un canular de L’Echo des savanes, mais par un corsetier qui eut l’idée de fabriquer un système d’attache des bas datant de Louis XIV, pour des raisons exclusivement médicales, les jarretières occasionnant des problèmes de circulation chez certaines femmes. Ce dispositif fut jugé très tôt inesthétique, avant de devenir un objet de séduction. Marx avait introduit la valeur d’utilité ou d’usage et s’il y a une leçon à retenir, c’est que l’usage du porte-jarretelles varie au cours des âges, autant que la signification qu’il véhicule et le désir qu’il provoque. C’est comme l’automobile, jugée en 1900 comme un véhicule hautement dangereux par certains qui n’auraient jamais imaginé que cet objet puisse devenir d’un usage aussi courant que le fut le cheval à leur époque.

Les dessous féminins, et en l’occurrence le porte-jarretelles, participent d’une économie du désir rapprochant deux subjectivités pour autant qu’elles parviennent à leur détermination. Cet objet de séduction pourrait même être utilisé pour expliquer la philosophie de la sollicitude (Ann van Sevenant, Vrin, 2001) et ce passage assez obscur de la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel, dans le chapitre « force et entendement », où il est question de forces sollicitantes qui à leur tour deviennent sollicitées. Ainsi pourrait-on penser du regard sibyllin de l’amant lorgnant d’ordinaires collants sous la jupe de sa maîtresse qui, loin d’être indifférente, choisira avec soin ses dessous pour une prochaine entrevue où cette fois, l’ordre sera inversé et ce sera elle qui prendra le côté sollicitant entraînant son amoureux dans une folle érotisation de ses neurones.

Grâce au porte-jarretelles, nous avons appris que la valeur d’usage (Marx) d’un objet peut varier énormément, que cet objet participe d’une intersubjectivité des désirs (Hegel), entre deux êtres, mais aussi titre social, comme expression d’une culture du désir et de l’Eros, enfin, l’appréciation en terme de valeur (Nietzsche) participe d’une généalogie de la morale libertine à travers les décennies du XXe, ce que nous allons rapidement explorer. Mais c’est sans doute Claude Brasseur qui en parlerait le mieux, lui qui affirme que « ôter un collant à une femme, c’est comme peler une pomme de terre. Le geste est le même. Par contre, le porte-jarretelles m’a toujours fait rêver. »

Un rappel de nos années récentes. Dans les années 1930, le porte-jarretelles, associé au bas nylon, deviendra le symbole de la féminité et de la provocation, notamment grâce à l’affiche de L’Ange bleu où Marlène Dietrich prend une pose plus que suggestive. Après la guerre, cet objet devient ou bien utilitaire et alors il est caché, comme une vulgaire culotte, alors que lorsqu’il s’affiche ostentatoirement, il évoque la vulgarité de la prostituée. Les années 1960 et l’avènement du collant sont perçus comme un instrument de libération par les femmes qui osent la minijupe. Les références du désir ont changé. Adieu les bas nylons d’antan et les élastiques qui claquent. Puis les années 1980 annoncent le retour du porte-jarretelles, notamment à l’initiative de Chantal Thomas et voilà que cet objet s’embourgeoise, devient un symbole de séduction allié à l’esprit hédoniste des classes issues de Mai-68. Et la télé de diffuser des émissions coquines en fin de soirée pour égayer les neurones en mal d’émotions érotiques. Les significations changent. Ce fut le cas de la morue, longtemps considérée comme un plat de prolétaire et qui, en l’espace de quelques années, est devenu un mets fort apprécié par les classes moyennes et bourgeoises, et d’ailleurs fêté à Bègles sous la bienveillance de Noël Mamère et ses services municipaux qui orchestrent ces agapes goûteuses où il faut débourser au moins 20 euros par tête de pipe pour participer dans les restaurants assermentés auprès du maire. Et pas question de se pointer avec sa morue en porte-jarretelles en quête de pipe.

Après l’insouciant hédonisme des années 80, la reprise en main de l’ordre moral par les médias est en route et les émissions affriolantes en déroute. Le porte-jarretelles ne s’affiche plus, sauf dans quelques brèves d’info à l’occasion du salon de la lingerie. L’érotisme, c’est comme la religion, c’est du domaine privé, dira-t-on. Alors que les goûts sont inversés. Rien de plus vulgaire qu’une minijupe portée avec des collants et une paire de bottes à talon aiguille. Par contre, le bas nylon, avec couture, devient une marque d’élégance et de classe, lorsqu’il est porté sous une robe Lacroix ou un tailleur Saint-Laurent ou n’importe quelle tenue accessible pour pas cher dans les boutiques branchées ; détail qui a son importance, attestant que la séduction n’exige pas tant une grande fortune qu’une richesse de l’esprit doublée d’une générosité de l’âme, Mesdames ! Ne serait-ce pas aussi une marque de résistance, de remède à la morosité, d’invitation à prendre quelque distance avec le monde pour un voyage clandestin dans le pays de la séduction lorsque les dames affirment leur divinité d’Eros déclinée avec un porte-jarretelles ou une guêpière tissée dans de la soie ou dans ces nouvelles matières synthétiques aux reflets scintillants. Et pour prendre un peu de hauteur en ce monde pénétré de bassesses politiques et médiatiques, ces dames chausseront une paire d’escarpins à talons, et si nécessaire une bride pour débrider le suggestif d’un bas vintage au talon délicatement renforcé par un motif géométrique.

Alors que Sarkozy, de plus en plus collant, nous envoie vers les nonnes pour satisfaire nos aspirations spirituelles, provoquons-le des bas, en affirmant la séduction féminine comme acte de résistance et mode de subversion face à ce monde voué au matériel tristement prosaïque et bêtement festif. L’Eros comme le beau renvoie à la dimension esthétique de l’esprit, à un art et si, comme le dit Deleuze, créer c’est résister, alors osons clamer que séduire c’est résister. Si on révolutionne la séduction, la révolution se fera désirer. Et pour finir, quelques citations extraites d’un savant livre sur ce sujet.

Baudelaire : désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d’engrais.

Jacques Laurent : c’est un ornement fantastique. Si mes femmes y sont si sensibles, c’est qu’il y a un rapport de leurs corps et de leurs formes avec cette lingerie.

Geneviève Dormann : il y a des soirs à porte-jarretelles et des soirs à culotte en coton. Les femmes s’habillent en fonction des hommes. Quand je sors, j’aime la soie, le noir, mes fines jarretelles.

Claude Brasseur : ôter un collant à une femme, c’est comme peler une pomme de terre. Le geste est le même. Par contre, le porte-jarretelles m’a toujours fait rêver.

Luis Féraud : toutes les conditions sont réunies pour que l’on assiste au retour du porte-jarretelles après l’éclipse qu’il a subie sous le règne du collant.

Dominique Lavanant : il m’arrive de porter des guêpières le soir, pour le monsieur qui partage ma vie, même si le jour, le jean est plus pratique. Ca m’amuse de jouer à la femme-objet parce que c’est pour moi complètement un rôle de composition.

Jeanne : rien de plus doux qu’un bas qui remonte sur la peau, c’est une caresse inimitable. J’aime aussi savourer la surprise des hommes. Quand sa main franchit la frontière de la soie, découvre la cuisse tiède. Il m’emmène au restaurant. Il sait mais ne peut pas me toucher ni le voir. Il imagine.

Régine Desforges : je ne porte que des dessous noirs, des bas et des porte-jarretelles en soie.

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