Serge Merlin exacerbe « Extinction » de Thomas Bernhard au summum
par Theothea.com
vendredi 9 avril 2010
Sur les planches du Théâtre de La Madeleine, imprégné de pénombre prémonitoire, trois projecteurs sur pied cernent une table de travail à laquelle, dans quelques instants, Serge Merlin viendra s’asseoir en feignant d’ignorer la présence du public.
Et pourtant, c’est, feuillets entre les mains, qu’il commence à psalmodier son anti-requiem, au micro d’une perche tendue depuis l’obscurité avoisinante :
« Parents et Johannes morts dans un accident. »
Ainsi, en prélude à une ultime profession de foi, reniant, tout d’un bloc, famille, cerisaie ou autres legs proustien, voilà le comédien emporté dans l’élan de l’aigreur absolue, ne se surprenant point à décliner le fardeau Bernhardien :
« Je suis en train de décomposer et de désagréger Wolfsegg et les miens, de les anéantir, de les éteindre, et en même temps je me décompose moi-même, je me désagrège, je m’anéantis, je m’éteins. En réalité, je ne fais rien d’autre que me désagréger et m’éteindre, lorsque je me réveille le matin, ma première pensée est de faire cela, de travailler résolument à ma désintégration et à mon extinction. »
Et pourtant, comme si un ersatz de conscience venait faire écran, la voix gutturale peut se reprendre dramatique quoique presque goguenarde :
« Mais je ne puis tout de même pas supprimer les miens parce que çà me chante »
Cependant, l’impasse métaphysique étant désormais franchie avec l’accident fort opportun, voilà que résonne l’instant de s’affranchir, avec pertes et fracas, des souvenirs rédhibitoires de complaisance familiale avec le national socialisme.
Ceux-ci, ayant définitivement gangrené le superbe lieu de villégiature que l’enfance avait eu tout le loisir de magnifier, la tentation d’une survie à l’horreur doit se résoudre définitivement dans l’extinction radicale.
Se jouant d’un spectre sonore étendu jusqu’aux limites du spectacle vivant, la puissance vocale de Serge Merlin fait trembler l’acoustique interne, non sans évoquer une potentielle issue de secours, induite par Thomas Bernhard lui-même :
« J’ai poussé mon art de l’exagération jusqu’à d’incroyables sommets… L’art d’exagérer est à mon sens l’art de surmonter l’existence… Seule l’exagération rend les choses vivantes, même le risque d’être déclaré fou ne nous gêne plus quand on a pris de l’âge… ».
Dont acte !… à la hauteur de l’enjeu théâtral.
visuel affiche
EXTINCTION - ** Theothea.com - de Thomas Bernhard - mise en scène : Alain Françon & Blandine Masson - avec Serge Merlin - Théâtre de La Madeleine