« Silent Hill » (sur Canal+, le 11 déc.), un film-jeu vidéo à réévaluer...

par Vincent Delaury
lundi 10 décembre 2007

Profitant de la diffusion mardi 11 décembre à 16 h 05 sur Canal+ de Silent Hill, j’en profite ici pour vous inviter à une revoyure de ce film mixant intelligemment, selon moi, cinéma et jeu vidéo.

Rappelons que ce film de 2006 signé Christophe Gans (ex-rédacteur de Starfix) est l’adaptation du jeu vidéo homonyme de Konami conçu par le japonais Akira Yamaoka. Sorti en 1999 sur la console Playstation, ce jeu a été suivi de plusieurs suites vendues à des millions d’exemplaires à travers le monde. Avec son ambiance unique mêlant le psychologique et l’action et proposant, dès l’origine, une mise en scène proche du cinéma, ce jeu vidéo se prête idéalement à une adaptation cinématographique - d’autant plus qu’il participe grandement d’une tendance majoritaire du cinéma hollywoodien contemporain, celle du survival-horror ayant donné naissance à des Resident Evil et autres Alone in the Dark.

Voici l’histoire : la petite Sharon (Jodelle Ferland) rêve de plus en plus d’une ville abandonnée, Silent Hill. Sa mère, Rose (Radha Mitchell), s’inquiétant pour les rêves étranges et pénétrants de sa fillette victime de suicidaires crises de somnambulisme, décide de l’accompagner sur place : Welcome to Silent Hill ! Alors qu’elles pénètrent dans cet univers lugubre et poisseux, Sharon disparaît. Sa mère la recherche éperdument dans cette espèce de Triangle des Bermudes urbain nimbé de cendres et peuplé de créatures étranges et ténébreuses phagocytant tout ce qu’elles touchent. Faisant appel à la superbe femme flic Cybil Bennett (Laurie Holden) et à la police locale, Rose cherche coûte que coûte à arracher sa fille au monde perdu et cruel de Silent Hill. Bientôt, d’indices en épreuves de force qui se dressent inéluctablement sur son passage, elle découvrira qu’elles sont les jouets d’une malédiction qui les dépasse grandement...

Bon, j’ai vu ce film il y a quelque temps déjà. Fait-il peur ? Non, il faut bien l’avouer, Silent Hill ne fait pas vraiment peur - le dernier film qui m’ait vraiment mis les chocottes par moments, au ciné, c’est The Descent. A part ça, le film de Gans est une expérience cinématographique intéressante. Comme pour ses autres films, Crying Freeman (1996) et Le Pacte des loups (2001), on y sent une vraie passion et générosité pour le cinéma de genre et c’est déjà pas si mal. En outre, il y a moins un côté bric-à-brac. Gans passant (enfin !) du statut de DJ à celui de cinéaste - certes toujours sous haute inspiration. Et puis, que diable, c’est passionnant ce croisement « interactif » entre le cinéma et le jeu vidéo, d’où l’intérêt à mon sens de Silent Hill. Alors, on parle souvent de « l’ esthétique du jeu vidéo » ( à l’égard de films comme Matrix, eXistenZ ou Elephant), à savoir une certaine froideur, une image « clinique » et désincarnée, mais ce n’est pas particulièrement cela qui fait la spécificité de Silent Hill, indépendamment de ses qualités plastiques indéniables, c’est davantage cette impression que la narration même du film est « contaminée » par les modes de narration (non-)évolutive du jeu vidéo. On avance par paliers, le film d’ailleurs, malgré sa course poursuite effrayante, n’avance pas vraiment. Par moments il « se traîne » même, faisant du sur-place pour laisser place à un terrain de je(u) palpitant. De plus, comme dans un jeu, on a rendez-vous avec certains leitmotive - je trouve par exemple littéralement fantastiques les moments étouffants quand Silent Hill (la ville maudite) plonge dans l’obscurité, on entend la sirène retentir, puis les murs rougeoient, crépitent et, en tant que spectateurs (et/ou joueurs), on plonge alors dans les arcanes d’un univers sombre et apocalyptique, une vraie descente aux enfers pas loin d’un dédale à la Jérôme Bosch ou à la Dali. Cet effet de bascule, tant attendu et redouté aussi (on est dans le registre des pulsions enfantines jouissives !), est la grande réussite du film de Gans.

Précisons tout de même que l’ombre du styliste David Cronenberg plane quelque peu sur le film. Et pour cause, le chef-décorateur de Silent Hill n’est autre que Carol Spier, un fidèle collaborateur du cinéaste culte de Toronto, c’est par exemple lui qui a signé les superbes décors à l’inquiétante étrangeté de La Mouche ou d’eXistenZ. Bref, grâce aux soins mis notamment dans le décorum maniériste à souhait (dédales crapoteux, cauchemar graphique, giclements de peinture rouge sang, etc.), on arrive à être dedans, à ressentir ce que vit l’héroïne Rose, on rencontre des obstacles sur notre chemin (de croix) et, comme dans un jeu, la frontière entre réalité et rêve est ténue - on se demande sans cesse si les monstres croisés, voire même la femme flic ultra-sexy (la motarde de la police, Cybil), sont des chimères (d’ailleurs, très souvent, ils se consument et finissent en flocons de cendres) ou bien des êtres hybrides tangibles, on s’ identifie très facilement à cette mère Courage qu’est Rose et qui cherche obstinément à extraire sa fille de ce village des damnés, à la fois irréel et concret. On appréciera aussi que Gans donne le beau rôle aux figures de femmes. Où sont les hommes ? a-t-on envie de chanter en voyant ce film-gouffre ! Gans, qu’on associe ordinairement à un cinéma de garçon (kung-fu, action, horreur...), a volontairement noyé son film dans les parfums troubles et troublants de la féminité évanescente, le cinéaste déclarant à la sortie de son film en salles : «  Par exemple, il nous est apparu clairement que le personnage central du jeu, un homme nommé Harry Mason, se comportait avec l’instinct maternel et la vulnérabilité d’une femme. Plutôt que de trahir ce personnage en le durcissant, nous avons préféré en faire une femme. Akira Yamaoka a beaucoup ri quand je lui ai fait part de mon point de vue, mais il a été d’accord. Je pense que si son personnage était un homme, c’était d’abord pour une question d’identification et parce que seul un homme peut décemment affronter les épreuves du jeu. Mais il lui avait en fait donné une nature totalement féminine !  »

Voilà, c’est ça ce que j’ai aimé dans ce film : son hybridité. Ce n’est pas un film comme Doom qui représenterait et illustrerait paresseusement les grandes figures et l’esthétique du jeu éponyme, non, Silent Hill (le film) tire sa force graphique et narrative du fait même que Gans, tout en restant fidèle à la noirceur de la vision désenchantée de Yamaoka et à l’imagerie glauque et mortifère de son jeu, fait un film qui est « habité » par la structure narrative flottante et répétitive du jeu vidéo (jusqu’au shoot ultime - le game over !). Ce n’est pas une adaptation plate, illustrative, mais incarnée, « physique », travaillée par la matière même du jeu, entre le virtuel et le « vivant » (un monde horrifique bouillonnant semblant grouiller sous nos yeux). En outre, Gans n’est pas non plus un « Ayatollah » du jeu originel, il se permet de faire certaines entorses quant au modèle - Harry, par exemple, on l’a vu, étant remplacé par Rose. Il ne s’agit pas d’un film pour happy few, loin de là, on peut rentrer dans cette aventure filmique sans rien connaître aux jeux vidéo. Petite réserve cependant, le final grandiloquent, lorgnant du côté d’un John Carpenter dans sa volonté de critiquer, par la métaphore politique, l’Amérique puritaine pas piquée des hannetons, est d’un kitsch assez gênant, comme si Gans s’était essoufflé sur la fin, nous laissant quelque peu sur notre faim. Oui, on se serait aisément passé de cette ex-croissance ampoulée du jeu, loin d’être profitable au film. Bref, ce film, Silent Hill, qui est à cheval entre différentes modalités de narration (le cinéma, le jeu vidéo, certaines connexions avec les arts plastiques), est un film-greffe imparfait, mais ça reste un film-fantôme, un film-labyrinthe où il est assez agréable de s’y perdre puis (peut-être) de se retrouver, au détour de certains chemins de traverse. Bienvenue en enfer donc ! Play it again ?

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