Sorciers, elfes, lutins, trolls et fées dans la musique classique

par Fergus
jeudi 8 septembre 2011

Les compositeurs de musique classique, à l’instar des peintres et des auteurs dramatiques, ont très longtemps été inspirés, en marge des incontournables thèmes religieux imposés par la toute-puissante Église, par les sujets mythologiques issus des traditions grecque et romaine. Mais pas seulement par eux : les compositeurs ont aussi très largement puisé leur inspiration depuis le 17e siècle dans de nombreux autres contes et légendes peuplés de lutins, d’elfes, de trolls ou de fées. Sans oublier bien sûr les sorcières et les sorciers, leurs maléfices et leurs sabbats...

 

(Cliquer sur le nom de l’œuvre pour l’écouter) 

 

Tout, ou presque, commence à la période baroque. Certes, ce n’est pas à ce moment que s’est formé le goût pour les personnages fantastiques appartenant aux contes et légendes : ce goût préexistait déjà dans la musique médiévale et celle de la Renaissance, soit sous la forme de chants, soit sous celle de pièces instrumentales, à l’image du magnifique Menuet des vièles (et non des « vieilles » comme on l’écrit parfois) où l’on se laisse prendre au thème obsédant d’une danse de sabbat. Mais si les références au fantastique n’étaient pas nouvelles à l’aube du Baroque, c’est bel et bien à cette époque que sont nées les premières œuvres d’envergure directement inspirées par les contes et légendes.

 

Incontestablement, le grand maître en la matière a été le génial Henry Purcell dont les œuvres de scène profanes sont émaillées d’esprits, de sirènes ou de magiciens, la palme dans le genre revenant au peuple enchanté du Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, mis en scène par Henry Purcell sous le titre La reine des fées. Malgré les qualités de ce semi-opéra (ou masque), il ne s’agit toutefois pas là de l’œuvre maîtresse de Purcell, pas plus que ne le sont La reine indienne et ses esprits des airs ou Le roi Arthur avec ses sirènes et son Génie du Froid. Incontestablement, ce premier rang revient, si l’on en croit les musicologues, aux amours de Didon et Énée que tentent de contrarier de maléfiques sorcières et une magicienne manipulatrice.

 

Les personnages fantastiques de Shakespeare connaissent d’ailleurs un tel succès qu’on les retrouve également dans de nombreuses œuvres de composition dans les décennies suivantes. C’est notamment le cas dans une musique de scène de Félix Mendelssohn, également intitulée Le Songe d’une nuit d’été, comme la pièce du génial dramaturge. Outre Obéron, le roi des fées, et Titania, la reine, on y croise le lutin Puck et une foule de sylphes et autres petits habitants mystérieux des landes et des forêts. Toujours en Allemagne, impossible de passer sous silence les aventures d’Obéron dans le rôle central de l’opéra éponyme le plus célèbre (avec le Freischutz) de Carl Maria von Weber. Sous-titré Le serment du roi des Elfes, ce spectaculaire opus est également tiré de l’œuvre du célèbre auteur dramatique de Stratford. Beaucoup plus contemporain, le Songe d’une nuit d’été de Benjamin Britten s’inscrit dans cette fascination pour l’œuvre shakespearienne.

 

Une nuit de sabbat

 Si, parmi les personnages médiévaux, La belle Mélusine, séduisante fée encore très populaire en Bretagne, s’est invitée dans l’œuvre de Mendelssohn sous la forme d’une ouverture pour orchestre, ce sont les légendes de la Table Ronde qui cristallisent le plus l’intérêt des compositeurs, de Purcell à Britten, encore lui, auteur d’une ouverture pour orchestre intitulée Le Roi Arthur ou Isaac Albeniz dont l’opéra Merlin met en scène, outre le célèbre enchanteur, de nombreux gnomes et une inquiétante sorcière.

 

La musique classique contemporaine est d’ailleurs riche en références au fantastique. Qui ne connaît par exemple Une nuit sur le Mont Chauve ? Inspiré à Modeste Moussorgski par une nouvelle de Nicolas Gogol, ce superbe poème symphonique aux couleurs inquiétantes met en scène un sabbat de sorcières et de revenants. L’un de ses thèmes, repris en 1940 par Walt Disney dans le film d’animation Fantasia, a été largement popularisé par le cinéma.

 

Sorciers et sorcières sont également présents dans Le songe d’une nuit de sabbat d’Hector Berlioz. Final de la Symphonie fantastique, cette ronde endiablée transcrit dans la musique les frayeurs du compositeur dont l’œuvre la plus réputée est, dit-on, largement autobiographique. Bien qu’elle ne mette pas en scène des sorcières mais uniquement des revenants, on ne peut, dans un genre proche, passer sous silence la formidable Danse macabre de Camille Saint-Saëns où, sitôt les douze coups de minuit sonnés par la harpe dans la tranquillité nocturne, le violon introduit d’un archet grinçant la macabre sarabande...

 

Retour au film Fantasia dans lequel on découvre également deux autres personnages qui appartiennent eux aussi au monde de la sorcellerie : un maître et son présomptueux apprenti. C’est à Paul Dukas que l’on doit cette œuvre, L’apprenti sorcier, dont le crescendo obsédant connut une notoriété planétaire grâce à aux déboires de l’infortuné Mickey confronté à des balais magiques toujours plus nombreux. Le ballet-pantomime L’amour sorcier de Manuel de Falla met quant à lui en scène non pas un sorcier mais un fantôme, celui d’un ancien amant, qui vient hanter une Gitane ; elle finira par rompre le maléfice en détournant l’attention du revenant vers une autre femme. Le thème le plus célèbre en est La danse du feu.

 

La danse de la fée Dragée

 

De l’ardeur des tempéraments ibériques à la supposée froideur des Scandinaves, petit détour par le grand Nord pour aller à la rencontre de personnages pas si flegmatiques que cela : ceux qui peuplent la forêt scandinave dans le magnifique opéra Peer Gynt, inspiré au Norvégien Edvard Grieg par une pièce d’Henrik Ibsen. Trolls, lutins et gnomes tiennent une place prépondérante dans les aventures de ce présomptueux jeune homme. L’un des moments les plus appréciés de l’opéra en est le fameux thème intitulé Dans la caverne du Roi des montagnes (le roi des Trolls), un thème souvent repris, y compris dans la publicité.

 

Les personnages fantastiques ne manquent évidemment pas dans Casse-Noisette autour de son héroïne, la petite Clara. Inspiré à Piotr Ilitch Tchaïkovski par un conte d’ETA Hoffmann, ce ballet met notamment en scène le Prince Orgeat et la Fée Dragée dont la danse, universellement connue, a également été utilisée dans le film Fantasia ainsi que dans la publicité. D’autres ballets développent des arguments aux aussi puisés dans un univers mythique. C’est notamment le cas de Giselle d’Adolphe Adam. Sous les gracieuses évolutions des danseuses se cachent de jeunes fiancées prématurément décédées, les wilis ; mi nymphes-mi vampires, ces créatures frustrées harcèlent leurs fiancés pour les entraîner dans la mort.

 

Impossible dans cette évocation des œuvres musicales fantastiques de passer sous silence le Singspiel La flûte enchantée créé par le génial Wolfgang Amadeus Mozart à la demande de son ami le directeur de théâtre et librettiste Emanuel Schikaneder, franc-maçon comme lui. Ni gnomes, ni sylphes, ni lutins dans cette œuvre majeure au contenu philosophique doublé d’une symbolique maçonnique omniprésente, mais une inquiétante Reine de la Nuit dont le formidable aria est universellement connu.

 

Impossible également de ne pas citer Richard Wagner dont la majeure partie de l’œuvre d’opéra, outre Les Fées ou Tristan et Yseut, est construite sur le fantastique. C’est notamment le cas de la fameuse tétralogie L’anneau des Nibelungen*. Inspirée de la légende germanique, on y découvre le héros Siegfried et les Walkyries, mais également les Dieux, réunis autour du terrible Wotan, les géants, les ondines, ainsi que les nains des ténèbres, maîtres de convoitées richesses minières...

 

Impossible surtout de citer toutes les partitions faisant référence aux diverses légendes et aux multiples créatures fantastiques : il en existe... des centaines, voire des milliers. Un répertoire impressionnant dont la majorité des œuvres est tombée dans l’oubli. Beaucoup subsistent néanmoins, outre les titres évoqués ci-dessus. Á chacun de les découvrir dans les bacs des médiathèques...

 

* En réalité une ouverture, L’or du Rhin, suivie d’une trilogie : La Walkyrie, Siegfried, Le crépuscule des Dieux

 

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