Sweeney Todd, le rouge et le noir selon Tim Burton

par Babar
mardi 22 janvier 2008

Sweeney Todd, ce nom fait froid dans le dos. C’est celui du tueur en série le plus célèbre de l’Angleterre victorienne. Aussi célèbre que Jack l’éventreur. A cette différence qu’on ne peut évoquer Sweeney Todd qu’au conditionnel. On ignore s’il a réellement existé. Peut-être ce personnage est-il la somme de plusieurs tueurs sanguinaires (dont Jack l’éventreur lui-même) ? Toujours est-il que, réel ou non, Sweeney Todd est devenu un archétype maintes et maintes fois remis sur le métier littéraire. Stephen Sondheim avait écrit en 1979 la comédie musicale Sweeney Todd, the Demon Barber of Fleet Street sur un livret de Hugh Wheeler. Près de trente ans plus tard Tim Burton la transpose à l’écran avec son acteur fétiche Johnny Depp dans le rôle-titre et Helena Bonham Carter, la compagne de Burton à la ville, dans le premier rôle féminin.

Tim Burton,quinze ans après L’Etrange Noël de M. Jack, son chef-d’œuvre, revient donc à la comédie musicale. Sauf que cette fois le fidèle Danny Elfman ne signe pas la partition.

En dehors de ça, les amateurs de Burton, retrouveront leur univers familier. Avec Sweeney Todd, Tim Burton agrémente sa galerie de monstres d’un bien intéressant personnage : « ... mon truc à moi ce sont les monstres. Déjà, môme, je les aimais. Je me sentais proche d’eux : en marge de la société et incompris, comme eux. De plus, j’ai toujours eu un faible pour les outsiders, ceux que l’on pense méchants alors que, en fait, ils ne le sont pas. Ce sont des personnages, très intéressants à explorer »(Wikipédia).

Benjamin Barker (Johnny Depp) revient à Londres pour se venger du juge Turpin qui l’a envoyé aux travaux forcés sous un fallacieux prétexte, histoire tout bonnement de s’emparer de la femme de Barker et de sa fille. Symboliquement Barker n’existe plus. Son nom, il le renie dès le début de l’histoire pour se baptiser « Sweeney Todd ».

Dès le début de Sweeney Todd, donc, tout le monde semble déjà mort. Mais comme toujours chez Burton, il s’agit d’un faux-semblant. Les morts sont vivants, les laids sont beaux dans ce film dont les références à l’expressionnisme allemand (cernes sous les yeux, visages pâles, regards lourds et inquiets) et au Grand Guignol sont évidentes.

Sweeney Todd n’a plus goût à rien, sinon à la vengeance. Tuer le juge Turpin est la seule chose qui compte pour lui. A peine débarqué sur le quai londonien, ses pas le conduisent à Flet street, dans l’échoppe de la ravissante Mme Lovett (Helena Bonham Carter).

Oublier ce qu’il a vécu quinze ans plus tôt ? Tout effacer ? Refaire sa vie avec Mme Lovett ? Sweeney Todd n’y pense même pas. Et pourtant Miss Lovett rêverait d’une idylle avec ce beau ténébreux qui ne sourit guère, certes, mais qui a de l’allure avec sa chevelure romantique et sombre, juste éclairée d’une mèche immaculée. Cette même lueur qui allume son œil dès que la vengeance apparaît au bout de ses rasoirs étincelants.

L’association entre Sweeney Todd et Miss Lovett se conclura sur les bases d’un partenariat commercial et non sur celles de l’amour : lui égorgera ses victimes, elle les transformera en chair à pâté, celle dont elle garnira les friands qui transformeront sa gargotte en aimable taverne dont la réputation semble soudain dépasser tout le quartier.

L’outrance est de rigueur. Outrance des situations, outrance des sentiments, outrance des grimages. Mais la colère est mauvaise conseillère et la vengeance est un plat qui, même froid, a des relents nauséeux. La vengeance de Sweeney Todd, le spectateur ne s’en offusque pas. Il la trouve à son goût. Il « aurait fait pareil », probablement. Mais finalement, est-ce si sûr ? On dirait bien qu’à un moment, même la vengeance ne passe plus. Trop c’est trop.

Car la vengeance de Sweeney Todd porte un nom : folie meurtrière. Il égorge et le sang gicle d’un bout à l’autre du film apportant la seule note colorée dans cet univers plastique typiquement burtonien. Un univers apparemment hyper-réaliste, mais en fait hyper-iconique qui épuise toutes les notions de gris, du noir au blanc. On est presque dans un film d’animation dans lequel évoluerait des acteurs. Du Burton au sommet de son (grand) art.

Le rouge est la seule couleur qui a droit de cité (à l’exception du costume bleu de son concurrent et du passage où Miss Lovett rêve d’une autre vie avec cet homme qu’elle aime, mais qui restera à jamais distant).

Le rouge, le sang, est le personnage central du film.

Sweeney Todd n’est pas le héros ici. C’est un figurant. Le figurant du destin, de la folie et de la mort. Le héros, c’est le sang qui coule en cascade, qui trace une voie, fait tourner le mécanisme. Rouge sang ? Non, pas vraiment. Plutôt rouge carmin. Le sang est plus sombre. Celui-ci est éclatant. Trop rouge pour être honnête.

Mais, paradoxe, c’est la preuve par l’image qu’il y a de la vie tapie quelque part. Ce sang de la vie qui asperge le spectateur.

Sans temps mort.

Crédit photo : MelWeb

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