Symphony X ou l’apocalypse prog
par Bernard Dugué
lundi 9 juillet 2007
On ne présente plus les musiciens de Symphony X, sauf pour ceux qui ne les connaissent pas. Symphony X est un groupe de métal prog fondé en 1994 par le guitariste virtuose Michael Romeo. Pour les béotiens, le prog désigne, dans le jargon des initiés, le rock progressif, genre musical issu d’une hybridation entre le rock standard et la musique classique. Cette vision est cependant erronée. Le progressif désigne en fait une forme de rock plus élaborée, plus travaillée au niveau des compositions et de la structure, avec un usage intensif des claviers. Le métal progressif désigne un genre musical dont la fixation dans le paysage musical peut être considérée comme récente, datant des années 1990. Son principe est simple. Reprendre la virtuosité et la richesse du progressif tout en jouant plus fort, plus vite, plus musclé. Le métal prog requiert une rythmique au top, mais aussi des virtuoses, aux claviers et surtout à la guitare. La norme en la matière, ce serait Ritchie Blackmore, guitariste de Deep Purple. Robert Smith, guitariste et chanteur des Cure, est aux antipodes du métal prog ; pendant qu’il a gratté trois accords sur Pornography, le métalleux a égrainé une centaine de notes.
Symphony X vient de sortir son septième album, soit presque cinq ans après le dernier en date mis sur le marché, le prodigieux Odyssey. Un mot sur les six premiers albums de ce groupe. Tous témoignent d’une indéniable classe. Les musiciens font preuve de virtuosité, les compositions sont raffinées, complexes, aux mélodies subtiles et imprévisibles. On dirait vraiment un quartet des temps modernes jouant la musique classique de son temps, avec des instruments d’époque, des technologies de production éprouvées. Le chanteur est à la hauteur de l’ensemble, avec une voix frisant le guttural. Incontestablement, les morceaux évoquent l’Antiquité par on ne sait quel subterfuge produit par la magie musicale ; qui en fait de même pour la fameuse trilogie de Respighi donnant l’impression d’être plongé dans une épopée romaine. Il y a-t-il une correspondance universelle entre les musiques et les périodes de l’Histoire ou bien est-ce par association de sons et d’images, produites notamment par le spectacle cinématographique, que tel style mélodique évoquera un style d’images représentant les temps révolus ? Quoi qu’il en soit, Symphony X, avec ses six albums, est la référence du métal prog. Difficile de faire mieux. Seuls les Shadow Gallery (qui n’ont aucun lien avec le cabinet de l’ombre des socialistes) peuvent rivaliser avec leurs trois derniers albums résolument inspirées (le premier étant plutôt prog) ; ou alors Therion avec leur dernier album, sublime.
Comment situer cette septième œuvre de la formation de Romeo ? J’avoue que les quelques critiques disponibles donnent un avis contrasté. On peut être déçu après cinq ans d’attente si on est un adepte de ce groupe et que l’on constate le tournant plus heavy affiché par l’ensemble. Les précédents albums étaient très métal, avec des passages forçant le mur du son mais aussi des ambiances tendance orchestre de chambre diffusant des atmosphères mythiques et symphoniques, avec quelques morceaux longs, dont le fameux Odyssey, œuvre éponyme de 24 minutes. Mais les amateurs de métal pourraient quant à eux y trouver leur compte tant Symphony X cogne fort avec Paradise Lost. Un véritable ouragan sonore, qu’on n’a jamais entendu exécuté dans le genre progressif, mais que parfois on peut écouter chez les lointains cousins du death metal ; où la machine à battre les cymbales, les fûts, les caisses, et le chant guttural accompagné par des mouvements de basse musclés mais sans virtuosité impressionnent mais, comme dirait un Hermann Broch, ces œuvres sacrifient aux canons du tape-à-l’œil ; alors plutôt que le death, on se réfugiera chez Marylin Manson pour une bonne cure de démence.
Alors quel est le verdict ? Eh bien on peut penser que Symphony X était face un choix après Odyssey, un choix entre deux options musicales. Ou bien travailler les arrangements, faire plus symphonique, ample, tout en superpositions harmoniques et mélodiques, ou bien jouer plus vite et plus fort, pour révéler toute la fougue et cette farouche énergie animant ces quadras affirmés du métal prog. L’option métal a été choisie, au risque de désorienter les habitués mais avec un peu de tolérance dans l’écoute, si on se laisse transporter sans rechigner, sans mettre ses oreilles en forme d’œillères, alors on jugera le résultat plus qu’honorable et on trouvera dans cet album matière à frissonner du tympan et s’émerveiller de tant de virtuosité. Les passages plus symphoniques sont tout simplement interprétés à la vitesse du métal. On dirait parfois du Vivaldi exécuté par un Metallica deux fois plus rapide qu’à l’ordinaire ou du Wagner joué en death métal.
Une tournée est prévue. Symphony X en première partie de Dream Theater. Je crains pour ces derniers, fort honnêtes, bons élèves, appliqués, techniques, mais incapables de se mettre à la hauteur de leurs cousins américains qui cette fois risquent de frapper fort, en jouant d’un métal européen, avec ambiances médiévales et scandinaves. Cela rappellera King Crimson en première partie de Roxy Music lors d’un mémorable concert dans les arènes de Fréjus en 1982.