Théâtre 2.0.
par Orélien Péréol
mardi 15 juillet 2014
Off d'avignon :
Dom Juan 2.0 mise en scène Luca Franceschi, avec Serge Ayala, Lysiane Clément,Jean-Serge Dunet, Fabio Ezechiele Sforzini, Robert Magurno, Frédéric Tessier, Jennifer Testard Cie du théâtre des asphodèles au Théâtre du Roi René à 11h00
Les irrévérencieux mise en scène Luca Franceschi, avec Samuel Camus, Mathilde Dutreuil, Salla Lintonen, Yannick Louis, Nicolas Moisy, Alexandra Nicolaïdis, Julie Seebacher, Cie du théâtre des asphodèles direction Thierry Auzer au Théâtre Golovine à 22h20
Cette compagnie donne deux spectacles dans une veine commune, de truculence, de jeu jubilatoire avec le texte, les mots, les personnages, dans une vision iconoclaste de l'héritage théâtral. Le patrimoine n'y est pas restitué, au sens strict, propre, de l'exactitude, de la conservation, de la soumission au passé. Il est restitué, parce qu'il est tout de même bien restitué, par le dé-lire joyeux et saltimbanque.
Ils ne font qu'une bouchée de Dom Juan. Le public arrive par la scène, c'est sans doute un hasard, mais c'est un hasard heureux. Les comédiens sont là, s'activent, jouent ou pas. Une comédienne de trouve pas une de ses chaussures. On pourrait être dans une version déglinguée du début des six personnages en quête d'auteur. Bon. Voilà, ça commence. Nous allons assister à une présentation de fin de résidence. Tout n'est pas près. D'ailleurs un comédien vient rajouter un bout de rambarde à l'échafaudage qui est l'essentiel du « décor ». Ils parlent tous à la fois. Un charivari. Puis, un prologue. Interrompu par Dom Juan et Sganarelle. Le comédien à qui on a coupé le parole réclame : « Ça ne se passera pas comme ça. » Il faut lui céder. Retour à Dom Juan et Sganarelle : on entend le texte de Molière. Ah le malheur de servir un seigneur méchant homme... il vaudrait mieux être au diable qu'être à lui... On sent qu'il se plaint, qu'il résiste et qu'il finit toujours par obéir. Il l'aime bien, son maître. De nouveau, tout s'arrête, les comédiens sont coincés. Ils ne sont pas d'accord sur la manière de jouer la suite. On aura cette suite dans le récit de ce que chacun aurait fait pour la jouer.
Les comédiennes et comédiens attrapent plusieurs rôles (sauf le duo d'hommes central). Il y a un grand respect du texte, des personnages, alors que tant de choses viennent de guingois. Toute sorte de manières sont explorées. On est dans un théâtre dans le théâtre, dans un jeu sur le théâtre. Beaucoup de travail du corps, des moments acrobatiques parfois, des combats. Quand Sganarelle et Dom Juan vont dans la forêt en partant dans le public, ils évoquent ces étranges bêtes malodorantes qui peuplent ce lieu. Leur rire fait flèche de tout bois.
Ce qui est très beau c'est que la relation entre le texte patrimonial et le jeu déjanté qui met en scène ce texte est toujours varié et nouveau. Pas de système. Une vraie invention « de plateau », on pourrait dire.
Leur Dom Juan 2.0. est très irrévérencieux et très révérencieux dans le même acte de recréation-récréation. Ce délire ne détruit pas l'original. Tout au contraire, il le porte au public dans des formes actuelles. 2.0, ce serait l'expression de nouveauté, d'extension des formes anciennes, de « parité » (complicité ?) avec le public.
On retrouve des ingrédients similaires dans leur autre spectacle Les irrévérencieux. Là, il n'y a pas de texte originel. Il y a un personnage de la commedia dell'arte, Pantalone et une trame de conte ou de théâtre, revisitée dans notre monde contemporain : Pantalone a un grand projet urbain de cité magnifique, qui a pour nous une allure connue. Il a besoin des capitaux du duc Orlando et doit lui donner une de ses trois filles en mariage. Seulement, aucune de ses filles ne souhaite réaliser ce vœux paternel, chacune a un autre projet pour elle-même. Elles ont des personnalités bien différentes. Elles s'enfuient. Dans la forêt, elles rencontrent un esprit des lieux, immortel, façon Shakespeare. Le spectacle mêle des formes artistiques très différentes, dont les rythmes vocaux, (human beatbox), la danse hip hop, du rap parfois. Ony parle plusieurs langues, on n'a pas toujours besoin de comprendre le détail. Il est fait d'une confrontation des formes anciennes de la commedia dell'arte avec des formes populaires urbaines pas très institutionnalisées. Avec une joie de vivre et de jouer, un mélange étonnant, dans ce même esprit de liberté, de risque, de force et de vitesse, d'énergie, de chamboule-tout qui est au fond la vraie tradition : pas la reproduction à l'identique mais le métissage, l'intégration des dissonances, l'ajout, l'accueil... Pour ces deux spectacles, bravo.