Tintin n’ira plus au Congo

par Ironheart
vendredi 5 octobre 2007

Qui, ici, ne connaît pas Tintin, et ses aventures ? Accompagné de Milou, du capitaine Haddock, du Pr Tournesol, le reporter en a vu des vertes et des pas mûres, a traversé maintes péripéties, a voyagé, bourlingué.

Pérou, Tibet, Népal, Chine, États-Unis, France, Colombie, Egypte, le pigiste bruxellois sera allé partout, jusqu’au pays des Soviets, jusqu’au Congo. Mais parce que ses premières aventures paraissent teintées d’une idéologie colonialiste, anti-communiste, voire raciste, certains veulent interdire un album cultissime, bien que critiquable : Tintin au Congo.

Je me souviens encore de ce cours, en histoire-géographie. J’étais alors en classe de première, et le professeur nous avait distribué à tous un extrait de l’album maudit, montrant Tintin réprimandant les « braves sauvages », les Africains.

Nous demandant ce que nous y voyions, je répondis qu’on y voyait le reflet d’une époque, une époque où les colonies, c’était bien. Vu ainsi, on pourrait dire que j’étais jeune et naïf, mais j’avais pourtant visé juste. Car qu’est-ce que Tintin au Congo, sinon le reflet d’une époque ? Nous le savons tous en ayant lu les albums d’Hergé : le dessinateur a changé d’avis au gré de l’histoire. On le voit défendre les colonies quand il envoie Tintin au Congo, et plus tard, après la Seconde Guerre mondiale, Tintin défend le droit des peuples à l’indépendance, marche sur la Lune, est devenu le symbole de la tolérance.

Mais le Cran, le Conseil représentatif des associations noires, ne s’est apparemment pas posé la question, puisqu’il réclame l’interdiction de l’album, ou sa disparition des rayons enfants, afin de protéger les enfants d’une terrible, vraiment terrible propagande. "C’est un livre offensant pour les Noirs qui a sa place au musée, pas dans les bibliothèques ou les vitrines des librairies", déclarait ainsi le président du Cran, Patrick Lozès. "Dans cette BD, les stéréotypes à l’égard des Noirs sont particulièrement nombreux. Les Noirs s’y expriment comme des imbéciles et même les chiens y parlent un meilleur français".

L’album véhiculerait une image fausse, arriérée, de ces autochtones vivant dans l’ancien Congo devenu Zaïre, puis République démocratique du Congo. La question se pose : doit-on interdire une oeuvre sous prétexte qu’elle montre des Noirs paresseux, ne devant leur salut qu’à Tintin, le « brave missié blanc » ? Ou ne doit-on que passer outre et voir cette BD comme ce qu’elle est, en fin de compte : une histoire, qui nous permet de nous évader, de partir le temps de la lecture loin, très loin, en Afrique ? Un album qui nous divertit et qui n’alertera que les plus âgés.

Je ne me souviens pas avoir été choqué ou influencé par cette bande dessinée lorsqu’à l’âge de 7 ans, je tournais fébrilement les pages pour savoir si Tintin sortirait vainqueur du méchant barbu à la recherche d’une mine de diamant. Si Hergé se fait le miroir des clichés paternalistes et xénophobes de son époque (1931), c’est avant tout parce qu’il observe, capte les moeurs, les coutumes et les idées de la société qui l’entoure. Hergé, photographe de l’instant, se contente de faire un compte rendu d’une époque.

Mais, en ces temps où le moindre mot de travers suffit à enflammer les banlieues, un album datant de 1931 montrant les vertus du colonialisme est inacceptable, du moins aux yeux du Cran. On pourra se poser la question, se triturer l’esprit, la machine est d’ores et déjà en marche : Etats-Unis et Angleterre ont déplacé leurs exemplaires de l’album des rayons enfants à la section des BD pour adultes. Comme si Tintin était soudain devenu trop "violent"...

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