« Tintin » par Spielberg ? La cata !

par Vincent Delaury
samedi 29 octobre 2011

Spielberg est de retour ! Alléluia ? Pas vraiment, son « Tine-tine », comme disent les Américains, fait peine à voir tant il est un pot-pourri, bien plus pourri que pot d’ailleurs, des Admirables Aventures de Tintin du maître de la bande dessinée franco-belge Hergé (1907-1983). Du 1 sur 5 pour moi. Le meilleur de cette grosse tambouille numérique qui fait mal aux yeux ? Certainement, son générique, or il n’est pas signé Spielberg : un comble ! Ce générique ravissant, tout en aplats de couleurs, en contrastes marqués, en ombres chinoises et en gags visuels (cf. Tintin qui vient mettre le point sur le « i » du nom du réalisateur), est une bonne transposition au cinéma (image animée) de l’univers graphique (image fixe) de la série légendaire labellisée Casterman et constituée de 22 albums, ni plus ni moins ; au passage, on se souviendra également du superbe chromatisme pop du générique de l’excellent Spielberg, Arrête-moi si tu peux (2002), conçu par les graphistes français Florence Deygas et Olivier Kuntzel. L’ensemble du film sinon qu’est… Tine-tine, avec sa soi-disant méthode révolutionnaire qu’est la « Performance Capture »*, est selon moi pas loin d’être un ratage complet.

Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne est laid visuellement : il y a une clarté de l’image qui abîme la rétine du spectateur (cf. les images rutilantes style pub SFR de la Castafiore dans le désert d’une laideur sans nom !). Au fond, dans la machinerie mi-spielbergienne, mi-jacksonienne, où est la bande dessinée là-dedans, ce merveilleux art ? Et même, où est le cinéma tout court ? Croyez-moi bien, je n’ai absolument rien contre Spielberg. Il peut-être un très bon réalisateur basique jouant malicieusement avec les peurs primales (Duel, Les Dents de la mer, Jurassic Park, A.I., Minority Report, La Guerre des mondes) mais, on le sait, c’est un créateur inégal capable du meilleur (Arrête-moi si tu peux) comme du pire ; le Spielberg guimauve d’Always et de Hook, pour ne citer que ces deux titres-là, est selon moi à fuir à toute berzingue ! Avec la dernière cuvée Spielberg, on est plongé, bien malgré nous (quelques spectateurs sont sortis de la salle UGC Danton, Paris, on les comprend), dans un parc d’attractions pour gamins : les 7 ans sont invités, pas les 77 - navrant. On a l’impression de voir les figurines estampillées Tintin, celles qu’on vend au Carrefour du coin, en train de s’agiter dans des décorums toc, ressemblant fort aux emballages lisses des boîtes standardisées de Playmobil. On n’est pas dans une « BD en mouvement », on n’est pas dans un film. Mais on est dans un jeu vidéo qui avance tout seul, en pilotage automatique. En plus, saperlipopette, on n’y joue même pas ! La scène des grues qui combattent, à la fin du film, est aberrante. D’où cela sort-il ? Du grand n’importe quoi ! Tonnerre de Brest, on se croirait dans Transformers ou dans un pop corn movie réalisé par un simple tâcheron, obéissant aux diktats de la surenchère pyrotechnique. Spielberg avance dans le plan comme s’il maniait un joystick-voyeur qu’il pouvait introduire partout, ce qu’il fait. Hergé, ce n’est pas du tout ça, ce maître s’arrête souvent au seuil de l’image, par pudeur, par classe, par intelligence de la main et de l’œil ; aucune ostentation putassière chez le père de Tintin, jamais. Il y a une sorte de « jansénisme » de l’image d’ailleurs chez lui.

Dans ce Spielberg, l’un des pires de sa filmographie selon moi, il y a une rapidité de l’enchaînement des plans qui ressemble plus à un montage épileptique genre Formule 1 en roue libre qu’à une véritable mise en scène de cinéma ou de BD. Au fond, Hergé est un metteur en scène minimaliste. Si l’on y regarde de près, il est graphiquement économe, il varie peu l’échelle des plans, et distribue au compte-gouttes, dans l’aventure de la page, les cases de vaste dimension. Or Spielberg, dans le but certainement de ne pas ennuyer les spectateurs d’aujourd’hui, croit bon de multiplier angles de prises de vue et récits gigognes. Il fusionne, accrochez-vous bien chers lecteurs, et le tout pour le prix d’un (à 10€ la place, mazette, les ménagères de 50 ans seront ravies !), Le Secret de la Licorne + Le Crabe aux pinces d’or + Le Trésor de Rackham le Rouge et, me semble-t-il, une pincée des Bijoux de la Castafiore. Hergé n’en rajoute pas, lui. Il fonctionne par ellipse saisissante, par retrait : ses figures réalistes, aux silhouettes simplifiées à l’extrême, confinent à l’abstraction : ce sont des logotypes, quasi des pictogrammes. En ce sens il est proche plastiquement d’un Charlot ou d’un Hulot/Tati, dont les personnages sont de véritables signatures visuelles. Or Spielberg voudrait faire d’Hergé un Peter Jackson bis - au secours ! Les planches épurées de Georges Rémi, jouant subtilement avec ce qui échappe à l’image (ellipses, hors cadres, blancs entre les vignettes), forment un tout métonymique qui fait que la saga fonctionne en miroir, en constante mise en abyme. Dans le monde de la BD, on l’admire (y compris ceux qui s’en prennent au fond catholique quelquefois un peu rance) notamment pour ça : son œuvre fonctionne en boucle, c’est un objet rond, un monde en soi qui fait qu’on y revient sans cesse. Il y a un univers Hergé comme il y a un monde Hugo. On ne se lasse pas de relire une planche signée Hergé, de revenir en arrière, de revenir à la case départ, de s’arrêter sur une vignette parce qu’un détail nous absorbe complètement. Spielberg ne fait rien de tout ça, ou si peu (on reconnaîtra à son film quelques ellipses et flashbacks réussis). Il construit un récit linéaire, qui file droit, complètement obsédé par le « robinet à images » contemporain. Il « dysneylandise » Hergé, le « pixarise », croyant maximiser Tintin en le saturant. Comme si la BD était un art handicapé qui avait besoin du son et de la vitesse pour être au top, ridicule ! D’après moi, il fallait faire tout le contraire ! Quantité n’est pas qualité. Hergé ne cesse d’épurer son trait, de fuir le trop-plein. Il suffit de voir ces crayonnés originaux bardés de traits compulsifs à la Giacometti pour finir par être simplifiés à l’extrême. Il s’agit pour lui d’affiner le trait et le tir, d’aller à l’essentiel : créer une image dont le lecteur se souviendra à jamais. Qui par exemple, après l’avoir vue (lue ?), peut oublier la vignette surréaliste d’un Haddock, alcoolique patenté, confondant notre cher Tintin avec une bouteille de Bourgogne (Le Crabe aux pinces d’or) ? Par contre, qui pour se souvenir d’une seule image du dernier Spielberg ? Hum, j’en doute. Il paraît même que Daniel Craig et Gad Elmaleh sont de la partie – ah bon, même pas vu passer ! 

On dirait que Spielberg voit encore la BD, ou 9e art, comme l’art des petits Mickeys et des gros nez, aïe ! Et, au fait, c’est quoi dans ce grand barnum by Spielberg tous ces gros nez affreux qui semblent collés, telles des rustines, sur les visages botoxés du capitaine Haddock et des Dupondt ? Où est l’admirable économie de moyens de la fameuse ligne claire du maître ? On dirait que Spielberg n’a rien compris à Hergé. Il n’en garde que les Aventures, son film avance à toute vitesse, il réduit les personnages de cette BD, bien plus complexes qu’ils n’en ont l’air, à des jouets. Ca fait non seulement mal aux yeux, mais aussi au cœur. Le pire dans tout ça ? Certainement le traitement infligé aux personnages. Tintin, si sympathique dans la BD, ne l’est pas dans le film. Quant à Milou, il est quasiment aux abonnés absents. Le chien culte fait ici de la figuration. Il en est réduit – pauvre Milou ! – à être le toon de service alors que chez Hergé, il parle et est même un narrateur commentant le récit en train de se faire. Les personnages en jet-lag ou bug permanent que sont les Dupond & Dupont sont vus chez Steven comme de simples benêts, Spielberg oubliant leur idiotie notoire pouvant pourtant confiner au génie ! Il y a chez Hergé une belgitude (Haddock en est l’un des parangons : derrière le soûlard invétéré, il y a de la fulgurance, de la création verbale hallucinante !) et un je-ne-sais-quoi d’ubuesque (le fameux humour belge si cher à Noël Godin !) que ne capte pas l’Américain, dommage. Enfin, il y a mille fois plus l’empreinte de Tintin chez Tati bien sûr, dans les Indiana Jones et chez le talentueux Bruno Podalydès (Le Mystère de la chambre jaune, Liberté-Oléron) que dans le dernier pudding high-tech de Spielberg. Et si le papa d’E.T., producteur ayant du flair, confiait la réalisation du n°2 de sa désormais franchise (qui devrait s’appuyer sur Les Sept boules de Cristal + Le Temple du soleil) aux frères Podalydès ? On peut toujours rêver !

* Le tournage est en studio, les acteurs, équipés de combinaisons recouvertes de capteurs numériques permettant aux logiciels informatiques de les reproduire à l’identique en images de synthèse, jouent sur des fonds verts. Ensuite, plus besoin de décors extérieurs, on peut les incruster où l’on veut.


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