Tout est faux
par Orélien Péréol
vendredi 19 septembre 2014
Film autoproduit de Jean-Marie Villeneuve, avec Frédéric Bayer Azem, Mathieu Lagarrigue, Marie Demasi, Elise Andréa, Sébastien Novac, Hugo Malpeyre…
Fred, un trentenaire un rien ermite de centre-ville, un rien enfermé en lui-même, tend, de ce fait, une sorte de miroir à l’excitation de notre société. Partout en ville, le spectacle. La tchatche du dealer, accroché au client potentiel comme une bernique à son rocher. Les lumières évidemment. Les lumières bleues et vertes de la boite de nuit… la fille toujours pendue au téléphone portable, sursollicitée, toujours disponible dans le portable et pas du tout ou si peu en présentiel.
Fred a son monde intérieur, ses forêts qu’il parcourt, dans lesquelles il marche, il lui suffit pour les retrouver de franchir une porte. Son travail est sans sens, sans mots mêmes, avec des téléphones à la Tati auxquels il répond : « oui », « bien sûr », des quasi-onomatopées. Rien ne passe pas ses machines à transporter de la voix. Il regarde la télé. La campagne électorale. Même discours de séduction, de spectacle, rien d’essentiel ne saurait s’y dire. Il croise un type qui hurle au-dessus des voies ferrées une prédication sur la vanité folle de la médiacratie. Tandis que les gens passent sans s’arrêter derrière son dos. A qui s’adresse-t-il ? Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. Ecrivait Guy Debord en 1971.
Nous ne vivons que dans des rapports médiatisés par la technique et le rapport direct nous échappe. Fred achète un mégaphone pour le crieur de philosophie critique des trains. Lui-même n’arrive pas à s’en servir. Il l’achète sans l’essayer. Comment tenir un discours en dehors de tous ces amplificateurs, transporteurs de sons et d’images ?
Une jeune femme va proposer à Fred tout autre chose : pas de mots, pas de décibels, ni de clignotants… mais une ballade, une ballade à Vélib dans un Paris de monuments historiques, un Paris de carte postale touristique, Paris éloigné en spectacle. En échange, la fois d’après, Fred l’emmènera dans ses forêts et la relation pourra se créer…
Tout est faux est filmé sans autorisation. Pas de plan d’ensemble. Jamais (sauf peut-être dans la balade à vélo). On est au plus proche des visages et des visions subjectives. C’est un choix, c’est un choix contraint, un vrai choix esthétique ; c’est la transformation de la difficulté en force. Comme beaucoup de choses dans ce film.
Car, le parcours de Jean-Marie Villeneuve est en soi une rareté et une interrogation. Il prouve le mouvement par la marche : il fait projeter en salle un film fait avec quatre sous. Il effrite toute l’économie du cinéma. Ce n’est pas son but. Peut-être est-il le premier, sans doute restera-t-il longtemps le seul… Un chemin s’ouvre, lié à la modernité et à la diminution considérable du prix du matériel. Le cinéma rejoint le théâtre, on peut débuter dans la rue.
Jean-Marie Villeneuve a démarré son film sur le chemin de sa création, son parcours personnel qui l’a fait passer de spectacles d’humoristes à ce film. Il ne voulait plus jouer. Il a été très pédagogique avec lui-même, a tourné des courts métrages avec son téléphone portable… et s’est formé ainsi. La technique cinématographique prend un prix abordable. Mille films naissent partout et il nous appartient sans doute de leur donner des réseaux de distribution adéquats, spécifiques et poreux aussi.
En attendant, Jean-Marie Villeneuve cherche un producteur pour les salles… telles qu’elles existent. Il a déjà une série à 13h00 au Saint-André-des-Arts, ce qui est un bon début. (Le Saint-André-des-arts a une politique de découverte). Il propose un vrai regard cinématographique sur la société actuelle et l’état du monde. Sans autorisation.