« True Grit », un western dans les règles de l’art

par Vincent Delaury
mardi 1er mars 2011

En 1870, après la guerre de Sécession, dans l’Ouest américain, une jeune fille de 14 ans, Mattie Ross, cherche à venger son père assassiné par un homme qui a pris la fuite. Elle fait appel à un marshal bourru, borgne et alcoolique, Rooster Cogburn (excellent Jeff Bridges), cowboy à bout de souffle. Se joint bientôt à eux, pour cette chasse à l’homme qui les mènera jusqu’en territoire indien, un Texas Ranger (Matt Damon, très bon également) aux allures de cowboy d’opérette.

True Grit, bon western. Classique et solide. Tout y est pour en faire l’un des fleurons du genre : le thème (la vengeance), des personnages typés, le sens de l’Histoire et de l’espace. Dès son visionnage, le film des Coen a des allures de classique et c’est certainement ce qu’il deviendra avec le temps. On saura gré aux frères Coen de ne pas tomber dans une énième parodie du genre. Pourtant, on aurait pu penser qu’ils iraient dans cette direction-là. D’une part, parce qu’ils font en général un cinéma postmoderne de « revisitation des genres » où la farce bat son plein, que l’on pense à des O’Brother et autres Ladykillers, et d’autre part parce que l’un de leurs amis de jeunesse est Sam Raimi (Evil Dead) et que celui-ci, quand il s’était penché sur le western en 1995 avec son dispensable Mort ou vif, s’en était donné à cœur joie pour cartooniser le western en ayant comme référence visuelle principale le western-spaghetti labellisé Leone. Mais le film citationnel de Raimi avait ses limites car il donnait l’impression d’être stérile : il parodiait le western-spaghetti qui, lui-même, est déjà une déconstruction du western hollywoodien et, en prime, le maître en la matière – Sergio Leone – était déjà passé par là brillamment en dynamitant de l’intérieur son propre style via le western parodique qu’est Mon nom est personne, l’italien l’ayant comme on le sait produit en 1973 et en partie réalisé. Donc, Mort ou vif, ça donnait un exercice de style de seconde main qui ne faisait que confirmer l’adage « rien ne pousse à l’ombre des grands arbres ». Fort heureusement, les Coen ne vont pas dans cette direction-là, sachant certainement que la poignée de westerns signés Leone est un monde en soi, une planète, et qu’il vaut mieux ne pas trop lorgner de ce côté-ci (le maniérisme, la démystification d’un genre) car le maître transalpin, à la façon d’un Kubrick, a fait de ses opus des points de non-retour du genre semblant d’entrée de jeu refuser toute descendance possible. D’ailleurs, les westerns qui s’y sont risqués, genre Trinita et autres, ont donné ce que Leone himself appelle des « films bâtards » et on ne peut que lui donner raison ! 

True Grit donc, avec certainement en ligne de mire l’écueil de Mort ou vif, est un film qui va chercher ailleurs que chez Leone, tant mieux. Ethan et Joel Coen reviennent aux sources, non seulement du western hollywoodien (leur film est moins un remake qu’une nouvelle adaptation de Cent Dollars pour un shérif, 1969), mais également de leur veine plus classique et mortifère qui, à mes yeux, a donné naissance à leurs meilleurs films. Tels Barton fink, Fargo, The Barber et No Country for old men. Si l’on prend la définition courante du western (« film d’aventures ayant pour thème la conquête de l’Ouest des Etats-Unis sur les Indiens au XIXe siècle, et les mœurs de ces régions à l’époque », Robert 1), True Grit, que l’on peut traduire par « avoir du cran », répond haut la main aux cahiers des charges du genre. C’est le vieil Ouest qui nous est présenté, avec des villes poussiéreuses, des vêtements usés et des héros fatigués, imbibés de whiskey, cowboys à la mythologie brinquebalante qui finiront bientôt leur course, après un ultime baroud d’honneur, dans des attractions de foire. La fin des héros, la jeune fille qui tombe plus ou moins amoureuse d’un adulte (Mattie en pince quelque peu pour LaBœuf, le Texas Ranger aux éperons clinquants) : ça ne vous rappelle rien ? Clint Eastwood pardi ! Et pourquoi pas d’ailleurs, il vaut mieux s’inspirer des meilleurs que des tocards. A coup sûr, les Coen ont bien regardé Pale Rider (1985) avec son ado sensuelle et sa ville enneigée ainsi qu’Impitoyable (1992) qui brossait le portrait d’un tueur implacable revenant aux affaires pour éliminer des criminels.

Que dire de True Grit ? Tout d’abord, le film est de belle facture. Le chef op attitré des Coen, Roger Deakins, signe certaines séquences envoûtantes, notamment les veillées au coin du feu, grand classique du genre, et l’apparition dans une image blanche comme neige d’un homme-ours sur son cheval. Sublime. La bande son ne démérite pas non plus. Le compositeur fétiche des Coen, Carter Burwell, balance quelques accords de guitare bien sentis, donnant au film un rythme un peu saccadé. Ce tempo heurté épouse bien la trajectoire de ce True Grit qui narre l’histoire d’un homme las qui se met en action, après une longue attente, pour tuer des malfrats et, au passage, renouer avec les sentiments humains ; cf. son regard paternel porté sur la petite orpheline intrépide. Enfin, le casting, dans l’ensemble, est remarquable. Jeff Bridges, « le Duc » cultissime de The Big Lebowski (1997), en fait des tonnes et on en redemande. Son faire-valoir, LaBœuf/Matt Damon, est un heureux contrepoint à son aspect taiseux. Même blessé à la bouche, il n’en reste pas moins un fieffé moulin à paroles ! Quant à la jeune fille, Mattie Ross, l'actrice qui l'incarne joue bien l’ado butée fermement décidée à venger son père. Petit bémol cependant, il lui manque peut-être une pointe de nuance dans son je(u), étant un peu trop taillée d'un bloc. Hailee Steinfeld, sur ce plan-là, et en ce qui concerne l’alliance entre une jeune fille et un tueur mutique, est moins sensuelle que la Megan (Sydney Penny) de Pale Rider ou la Mathilda (Natalie Portman) de Léon. Comme si les frères Coen pour viser un public extra large – True Grit est d’ailleurs à ce jour leur plus gros succès aux Etats-Unis - n’osaient pas trop prendre, contrairement au Eastwood de Pale Rider ou au Besson de Léon, certains chemins de traverse. Ils figent d’ailleurs tellement Mattie dans un archétype, voire un stéréotype, qu’ils finissent par en faire une… vieille fille ! Mais, à leur décharge, on peut penser, qu’ambitionnant de réaliser un western classique, les frères Coen font en sorte qu’il réponde en tous points à un classicisme moral inhérent au genre, hollywoodien par excellence. Petit point faible également : le méchant (Tom Chaney) campé par Josh Brolin, pourtant bon acteur d’habitude. Ici, il joue un faible, un lâche. Du coup, on peut comprendre qu’il soit assez insignifiant à l’image. Pour autant, sa composition en demi-teinte ne le rend pas des plus passionnants à regarder. Heureusement, vient à sa rescousse un second couteau (Lucky Ned/Barry Pepper) qui lui, avec sa trogne amochée et son look de dandy de grands chemins, est charismatique et complexe à souhait. C’est un desperado mais il ne touche pas un cheveu de la petite, comme s’il répondait à un certain code d’honneur ou qu’il était profondément épaté par elle et son courage.

Malgré quelques réserves (une scène plastiquement pas très bien négociée, celle du sauvetage final à cheval et à pied de Mattie par Cogburn sur fond de transparences foireuses ; certains acteurs un peu faiblards ; une histoire linéaire trop lisible, manquant de sophistication, voire d’audace), True Grit vaut largement le détour. C’est une belle histoire initiatique, doublée d’un regard nostalgique et respectueux porté sur la chanson de geste westernienne. Les paysages sont superbes, un souffle lyrique est souvent à l’œuvre, moult répliques font mouche et certaines séquences (la traversée épique de la rivière, le pendu dans la forêt, les embuscades pétaradantes) sont remarquablement construites. Du 4 sur 5 pour moi. Bref, à défaut selon moi d’être un grand western, du calibre par exemple du psychologique La Vallée de la peur (1947) ou de l’opératique Il était une fois dans l’Ouest (1968), True Grit est, et c’est déjà pas mal, un bon western de facture classique. Dans la lignée des récents Open Range (2003), Appaloosa (2007) et 3 h 10 pour Yuma (2007). Bref, ne boudons pas notre plaisir, le western n’est pas mort ! 

 


True Grit, de Ethan et Joel Coen (bande annonce HD vostfr) par AgoraVoxFrance 

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