Un champ de pommiers en fleurs... Proust

par rosemar
mardi 10 avril 2018

Pour fêter le début du printemps...

 

Dans un extrait de son roman Sodome et Gomorrhe, Proust décrit un champ de pommiers en fleurs... A la manière d'un peintre, il compose un véritable tableau empli de charme et de séduction.

Le champ de pommiers est évoqué à travers un réseau d'images qui font songer à une rencontre amoureuse : la première phrase est révélatrice : "Dès que je fus arrivé à la route, ce fut un éblouissement..."

Proust semble suggérer un coup de foudre, une séduction brutale, inattendue qui le saisit : cette soudaineté se traduit par la brièveté de la phrase, par l'emploi du passé simple à valeur ponctuelle et du mot "éblouissement".

Les pommiers sont présentés à travers des personnifications, des métaphores qui transfigurent le paysage : ils sont "d'un luxe inouï", "en toilette de bal", "ne prenant pas de précautions pour ne pas gâter le plus merveilleux satin rose qu'on eût jamais vu..."

Toutes ces évocations font songer à une beauté féminine, parée pour aller au bal... Le style hyperbolique restitue un émerveillement : "luxe inouï, le plus merveilleux satin rose."

Plus loin, la personnification se poursuit et fait penser encore à une séduction amoureuse : "une brise légère mais timide faisait trembler légèrement les bouquets rougissants". Le verbe "trembler", le terme "rougissant" évoquent des émois amoureux.

Enfin, la description s'achève sur la vision d'une "beauté fleurie et rose."

Le narrateur semble ébloui par le spectacle qu'il a sous les yeux, comme on pourrait l'être au cours d'une rencontre amoureuse. Ce procédé restitue toute l'émotion qu'il éprouve devant ce tableau...

De fait, cette description nous fait songer à un tableau, d'abord grâce à la composition de cet extrait : au premier plan, le champ de pommiers, en arrière plan, le fond du tableau, avec "l'horizon lointain de la mer".

On perçoit aussi des éléments du tableau : "des bouquets, des mésanges, des branches" qui se juxtaposent selon la technique impressionniste, avec des touches de couleurs successives.

Proust fait aussi référence, au cours de la description, à "une estampe japonaise", certains détails correspondent bien à un tableau oriental : "les mésanges, les bouquets de fleurs" étant des thèmes récurrents souvent reproduits dans les estampes japonaises.

Le tableau est coloré dans des tons assez doux : "satin rose, le bleu du ciel, les bouquets rougissants, des mésanges bleues, le gris de la pluie".

La dernière phrase de l'extrait, dans sa brièveté pourrait constituer le titre du tableau : "C'était une journée de printemps..."

Les références artistiques sont bien présentes dans le texte : "estampe japonaise, amateur d'exotisme et de couleurs, artificiellement, effets d'art.."

On perçoit le grand sens artistique de Proust et sa sensibilité : la musique, la peinture occupent une place essentielle dans son oeuvre, ici, la beauté du champ de pommiers a des effets extraordinaires sur le narrateur qui en est ému jusqu'aux larmes, l'impression artistique se traduisant par un effet physique.

La nature devient une véritable oeuvre d'art.

Le champ lexical de la nature est particulièrement développé : "feuilles, pommiers, boue, soleil, mer, ciel, azur, brise, bouquets, mésanges, pluie"... et les 4 éléments y sont représentés : la terre, l'eau, l'air, le feu...

Et cette nature semble elle-même participer à la création du tableau, grâce à l'emploi réitéré du verbe "faire" : "satin rose que faisait briller le soleil, les fleurs qui faisaient paraître son bleu rasséréné.. une brise légère faisait trembler les bouquets rougissants..."

La nature semble vouloir embellir le tableau, par la lumière, par le contraste des couleurs, par le mouvement.

Ainsi, la nature se fait art, elle semble imiter l'art.

La réalité est tellement belle qu'elle semble presque composée artificiellement, tout en restant naturelle....

 

Le texte :

"Mais, dès que je fus arrivé à la route, ce fut un éblouissement. Là où je n’avais vu, avec ma grand’mère, au mois d’août, que les feuilles et comme l’emplacement des pommiers, à perte de vue ils étaient en pleine floraison, d’un luxe inouï, les pieds dans la boue et en toilette de bal, ne prenant pas de précautions pour ne pas gâter le plus merveilleux satin rose qu’on eût jamais vu et que faisait briller le soleil ; l’horizon lointain de la mer fournissait aux pommiers comme un arrière-plan d’estampe japonaise ; si je levais la tête pour regarder le ciel entre les fleurs, qui faisaient paraître son bleu rasséréné, presque violent, elles semblaient s’écarter pour montrer la profondeur de ce paradis. Sous cet azur, une brise légère mais froide faisait trembler légèrement les bouquets rougissants. Des mésanges bleues venaient se poser sur les branches et sautaient entre les fleurs, indulgentes, comme si c’eût été un amateur d’exotisme et de couleurs qui avait artificiellement créé cette beauté vivante. Mais elle touchait jusqu’aux larmes parce que, si loin qu’on allait dans ses effets d’art raffiné, on sentait qu’elle était naturelle, que ces pommiers étaient là en pleine campagne comme des paysans, sur une grande route de France. Puis aux rayons du soleil succédèrent subitement ceux de la pluie ; ils zébrèrent tout l’horizon, enserrèrent la file des pommiers dans leur réseau gris. Mais ceux-ci continuaient à dresser leur beauté, fleurie et rose, dans le vent devenu glacial sous l’averse qui tombait : c’était une journée de printemps."

 

Le blog :

http://rosemar.over-blog.com/2018/03/pour-feter-le-debut-du-printemps-un-champ-de-pommiers-en-fleurs.html

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