Un film de Lioret, encore une réussite. Interview personnelle
par Nicolas Colle
jeudi 1er septembre 2016
Mathieu, trente cinq ans, apprend que son père, Jean, qu’il n’a jamais connu, est décédé au Canada. Le jeune homme entreprend alors un long périple afin de rencontrer sa famille qui ignore son existence et de percer enfin tous les mystères et les non-dits qui l’entourent. Mais rien ne le préparait à ce qu’il va découvrir.
Philippe Lioret nous raconte ici, une nouvelle histoire de famille, dans la lignée de son très réussi « Je vais bien, ne t’en fais pas ! ». Il poursuit son œuvre humaine et humaniste (on peut le dire ici) et signe là, peut être, un de ses films les plus émouvants mais, à coup sûr, le plus « heureux ». Rencontre avec un cinéaste étonnant.
Crédit photo : Le Pacte Distribution
NC : Tout d’abord, il faut que je vous fasse une confidence. Je pense que vous êtes un des cinéastes français qui me touchent le plus… Vos films sont toujours forts, sensibles, émouvants, justes et me font pleurer à chaque fois. Je ne peux m’empêcher de vous demander quel est votre secret ?
PL : C’est simplement que, ce que j’aime au cinéma, c’est tout ce que vous venez de dire. Je veux faire des films qui soient suffisamment justes pour qu’ils soient sensibles mais sans utiliser de grosses ficelles et tomber dans le « tire larmes ». Dans mes films et particulièrement dans « Le Fils de Jean », l’émotion est présente parce qu’on est en proximité avec les personnages et l’identification se faisant, on arrive à entrer dans cette histoire par la petite porte. Je tiens aussi à faire des films intimes mais pas intimistes. J’ai envie de filmer des grands espaces ou d’ajouter quelques touches de thriller pour rendre mon histoire encore plus cinématographique. Il faut que je sois captivé par l’histoire et touché par ce qui s’en dégage. Mes goûts personnels étant ceux là, j’écris et je tourne mes films en fonction d’eux.
NC : Avec ce film, vous revenez à des thèmes qui vous sont chers comme la famille et la paternité, tout en les abordant de manière à mener vers davantage de bonheur réparateur que précédemment ?
PL : J’aime aborder le thème de la famille car il s’agit probablement de la plus grande aventure que nous vivons tous… Parfois de façon heureuse et parfois moins. C’est le monde du silence et des secrets. Mes deux films précédents (« Welcome » et « Toutes nos envies ») étaient assez noirs, j’avais donc envie de faire un film plus solaire, avec quelque chose de l’ordre du bonheur tout en conservant une certaine dramaturgie. Je me suis dis qu’il fallait que j’aborde cette histoire comme une sorte de thriller familial avec des pistes, des fausses pistes, des révélations et des personnages auxquels le spectateur puisse s’identifier.
NC : Vos acteurs sont tous plus bouleversants les uns que les autres. Notamment Pierre Deladonchamps et Gabriel Arcand… Que pouvez vous nous dire sur eux ?
PL : Je ne voulais pas des acteurs qui jouent mais qui incarnent… Pour le rôle de Mathieu, j’ai rencontré de nombreux acteurs de l’âge du personnage (30-35 ans) et même si la plupart d’entre eux étaient formidables, il leur manquait à tous cette part d’enfance que Pierre a en lui. Pour le rôle de l’ami de Jean, Gabriel Arcand est probablement un des meilleurs acteurs avec qui j’ai pu travailler. Je me demande même si j’aurais pu faire le film s’il avait refusé de jouer dedans car on ne fait pas un film pour faire un film mais pour le réussir et je savais qu’avec lui, j’avais plus de chances de le réussir. Il a une stature et un charisme absolument déments. Vous pouvez le filmer même quand il ne fait rien, il se passe toujours quelque chose à l’écran. Quelques grands acteurs ont ça. Par exemple, il y a de nombreuses années, lorsque j’étais encore ingénieur du son, j’ai travaillé sur le tournage d’un film avec Gian Maria Volonte (qui jouait le personnage de « l’indien » dans « Et pour quelques dollars de plus »)… Ce gars là, il avait ça en lui… Il était un spectacle à lui tout seul.
NC : Il y a une autre nouveauté, c’est que vous abordez une langue savoureuse et particulière, le Québécois ? Pas facile, délicat, comment avez vous réussi cette prouesse ?
PL : J’ai écrit des dialogues en français de France. Or l’histoire se déroulant au Québec, j’avais besoin d’une majorité de comédiens Québécois. J’ai donc organisé une lecture du scénario avec les acteurs en amont du tournage afin qu’ils puissent s’approprier le texte et le « québéquiser » afin de rendre la musicalité de la langue plus authentique mais tout en veillant à ce qu’elle reste compréhensible. Il était impensable pour moi de sous-titrer le film. Après tout, Mathieu comprend tout ce que les personnages québécois lui disent… Je n’allais pas faire un film avec un personnage principal qui allait dire à tout bout de champ : « Hein… Quoi ??? Qu’est ce que tu dis ??? » (Rires). Je souhaitais que le public français comprenne les dialogues mais je ne voulais pas non plus que les québécois puissent penser que j’avais trop francisé ou trop parisianisé leur langue. Ceci dit, j’ai fait récemment une projection du film là bas et je n’ai eu que des bons retours.
NC : Oui, vous l’avez dit : « authentique ».
Vous évoquiez un film solaire… Cela se ressent également à travers la musique superbement adaptée et donc sensible… Quelle place lui donnez vous dans l’œuvre ?
PL : D’une manière générale, je ne veux pas que l’on entende ou que l’on écoute la musique mais je tiens à ce qu’elle soit là quand il y en a. Sans qu’il y en ait trop pour autant. C’est un travail de longue haleine qui commence dès l’écriture du scénario où je cherche déjà une couleur musicale à donner au film. Flemming Nordkrog, mon compositeur, a beaucoup de talent musicalement. Il a aussi le talent de me supporter parce que pour ce qui est de la musique, je suis vraiment un emmerdeur patenté (Rires). C’est un travail qui demande beaucoup de temps et de réflexion mais il ne faut pas que ce travail soit trop visible… C’est vrai aussi bien pour la photographie, la direction d’acteur, l’écriture ou la musique car un film, c’est un cadeau que l’on offre au spectateur et si notre travail se voit trop, c’est comme si on affichait le prix sur le cadeau.
Je crois savoir que pour créer ce film, vous êtes parti du livre de Jean-Paul Dubois, « Si ce livre pouvait me rapprocher de toi ! » mais que vous vous en êtes fortement démarqué ?
PL : La première image qui me soit venue à l’esprit, c’est celle des deux frères qui cherchent le corps de leur père sur un lac, en étant accompagné par un homme qui s’avère être leur frère mais ils ne le savent pas. Je me suis dit, c’est cette histoire là que je veux raconter. Je suis reparti du livre de Jean-Paul Dubois qui m’avait inspiré cette image mais je n’en ai gardé que quelques mots clés comme « frère, père, lac et Canada ». A tel point qu’aujourd’hui, le film ne raconte plus la même histoire et que lorsque Jean-Paul a lu le scénario, il ma dit : « Super, fais le film et j’écrirai le livre après ! » (Rires). Mais s’il n’avait pas écrit ce livre là, je n’aurai pas fais ce film là. Je pense que les grands livres peuvent inspirer de nouvelles histoires car faire un simple décalque ne présente, à mes yeux, aucun intérêt.
Vous dites que c’est une image inspirée par un livre qui est à l’origine de ce film. Du coup, pour conclure, j’aimerais revenir sur votre filmographie et vous demander quels ont été les éléments déclencheurs et inspirants de vos quelques films précédents comme « Je vais bien, ne t’en fais pas ! », « Welcome » et « Toutes nos envies » ?
PL : Concernant « Welcome », on m’a raconté l’histoire d’une jeune fille qui a hébergé un migrant chez elle et qui, suite à cela, a été très emmerdé par la police et la justice. J’ai aussitôt voulu traiter cet événement tout en racontant une histoire intime, avec ce maitre nageur interprété par Vincent Lindon, qui entraine ce gamin pour montrer à sa femme qu’il l’aime encore et qu’il essaie de la reconquérir. C’est une histoire humaine avec des résonnances sociales importantes qui a dépassé tout ce que j’avais pu imaginer. Le film a été diffusé à l’Assemblée Nationale et il a permis à ce que la loi soit changée. J’avoue que je n’avais vraiment pas vu le truc arriver.
Pour « Je vais bien ne t’en fais pas… », le livre éponyme d’Olivier Adam m’avait plu mais je ne voyais pas quel film je pouvais en tirer jusqu’à ce que j’ai l’idée de raconter l’histoire à l’envers. Et en proposant cette méthode à Adam, il m’a dit que c’était une idée formidable car il s’agissait de son premier livre et il pensait que s’il pouvait le réécrire aujourd’hui, il procéderait également de cette façon. On a donc écrit le scénario ensemble.
Quant à « Toutes nos envies », j’ai été conquis par le livre d’Emmanuel Carrère, « D’autres vies que la mienne » où une juge d’instance souhaite régler le problème du surendettement en France car sachant sa mort imminente. Mais dans le livre, le problème était trop général, je me suis dit qu’il fallait que ces surendettés soit incarnés par un personnage précis, à savoir cette jeune femme et ses enfants. Ce qui me ramenait à quelque chose de plus personnel puisqu’une de mes amies, se sachant malade et sentant sa mort prochaine, avait fait en sorte de trouver une maman de substitution pour ces enfants. Je trouvais que ces deux histoires indépendantes l’une de l’autre, se mariaient bien ensemble.
Une bien belle manière de raconter de nouvelles histoires… Avec vous, ça marche à tous les coups, en toute simplicité ? Vous savez y faire.
Lien youtube de la bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=a8gN1yP62dI