Une BD impossible à ignorer

par olivier cabanel
jeudi 9 août 2012

L’été est un moment propice pour ne pas bronzer idiot, ce que l’on pourrait faire en découvrant une bd étonnante, originale et passionnante, celle d’Etienne Davodeau, « les Ignorants ».

Originale car, dans sa dernière production Davodeau a réalisé un petit bijou insolite, en racontant sa rencontre avec un vigneron de ses amis.

Dit comme ça, on ne comprend pas d’entrée l’originalité de la démarche, mais au fil des pages, on s’enthousiasme devant ce concept.

Le dessinateur avait proposé un étrange marché à son ami vigneron, un certain Richard Leroy : une initiation croisée, réelle, sur le terrain, par laquelle les deux créateurs découvraient l’un pour l’autre, les arcanes de leurs métiers respectifs. lien

Pendant plus d’un an, les deux compères ne vont pas se quitter, Richard emmenant Etienne dans ses vignes, son « Montbenault » et son vin le « Chenin », appelé aussi pinot de la Loire (le plus grand cépage du monde d’après Richard) de la taille dans un froid glacial, à la dégustation, et la vente, en passant par toutes les phases de la fabrication du vin, allant jusqu’à découvrir la fabrication des barriques que Richard choisit avec soin.

Ce grand cépage blanc peut participer aussi bien à l’élaboration de vins blancs secs, qu’à des vins liquoreux, voire effervescents et il est présent sur environ 10 000 hectares dans notre pays, mais aussi sur 26 000 hectares en Afrique du Sud. lien

Richard Leroy a une coutume originale : au printemps il rase sa barbe, et taille ses cheveux, qu’il va laisser pousser ensuite jusqu’au printemps prochain…

Ensemble ils vont écumer les salons de vins, et les salons de BD, avec au programme des rencontres hautes en couleur.

Celles de grands dessinateurs de BD, et de beaux producteurs de vin : fanfan Ganevat, dans son Jura, un géant débonnaire fier du sol moelleux de son vignoble, (lien) Antoine-Marie et jean-Baptiste Arena, (lien) amoureux de leurs vignes de Patrimonio, en Corse,plantées de Muscat, Nielluciu, Vermentinu et Bianco Gentile, devenus vignerons après des études de droit, d’histoire et d’économie, Robert Saléon-Terras, et Régis Lansade, (lien) passés du statut de médecins sans frontières à celui de vignerons du coté de Bergerac, et leur fameux domaine des « chemins d’orient », permettant de faire rejoindre la BD et le Vin, puisqu’ils ont été les vedettes du livre « le photographe ».

Richard Leroy, ce n’est pas n’importe qui, et il se refuse à demander le label « bio », label qu’il obtiendrait les doigts dans le nez, expliquant : «  je refuse que le bio soit un critère commercial pour mes vins…je veux que les gens viennent à mes vins uniquement parce qu’ils les aiment  ».

Le ton est donné.

Se refusant au désherbage chimique, après le décavaillonnage, son outil, c’est l’humble pioche qu’il va manier avec Etienne, autour des milliers de ceps des 6 hectares de son vignoble, et s’il s’autorise la bouillie bordelaise, il ne met plus de soufre dans ses barriques ; Quand à la mise en bouteille il en est à 34 mg par litre, alors que le bio en autorise 120.

Le 30 juin 2010, à 5 h du matin, il faut assister à cette quasi mystique aspersion en dynamisation que le dessinateur de BD va partager avec le vigneron. Il s’agit de « dynamiser le feuillage » en projetant sur celui-ci un mélange subtil de silice, de bouse de vache et d’eau : 3 gr de silice dispersés sur un hectare de vigne.

Son nom c’est la « 500 P »

La bouse de vache à passé l’hiver enterrée dans des cornes et pour un hectare, il a mélangé 100 de bouse séchée et 30 litres d’eau : c’est la fameuse « biodynamie » chère à Rudolf Steiner, ce philosophe autrichien, pratique décrite dans ses célèbres « conférences aux agriculteurs » en 1924. lien

Etrange parcours pour cet homme passionné dont l’aventure a commencé lors d’un salon de l’agriculture, en 1991, duquel il était reparti avec une bouteille d’un « Coteau du Layon », celui de Jean Louis Robin. lien

De fil en aiguille, l’employé de banque qu’il était alors, découvre « le domaine des sablonnettes  » d’un certain Joël Ménard, à Rablay. lien

Celui-ci va lui trouver son futur domaine, « Montbennault  », lui prêtera son matériel et l’aidera pendant 3 ans, avant que Richard ne vole de ses propres ailes.

Aujourd’hui, il est comblé.

Il n’a pas besoin de campagne de pub, le bouche a oreille fonctionnant bien, son vin part dans tous les coins du monde : du Danemark à l’Allemagne, en passant par le Brésil, les USA, le Québec, l’Angleterre, la Suisse, mais aussi le Calvados, ou Montpellier.

Son seul problème, c’est qu’il n’a pas assez de bouteilles pour tout le monde, et qu’il n’est pas rare qu’il appelle un client pour lui demander « s’il pourrait se contenter de 60 bouteilles au lieu de 80 »…

Etienne Davodeau réalise là une bd de grande qualité, drôle, pédagogique, méticuleuse, passionnante, malgré l’exigence du thème, la précision des explications données, et le lecteur lira d’un seul jet les 267 pages de ce magnifique livre intelligent, honnête, plein d’humanité, d’amour et d’humour.

Dans cette courte vidéo les deux racontent brièvement l’aventure qui a permis la réalisation de cette BD, et sur ce lien, on peut découvrir une éclairante interview de l’auteur de l’ouvrage.

Etienne aura passé plus d’une année en compagnie du vigneron, et aura gagné son pari prouvant qu’il existe autant de façons de réaliser un livre qu’il en existe de produire du vin.

Sauf que Richard et lui ont choisi la bonne voie : celle de la recherche du meilleur, de la qualité, de la précision.

Le livre se déguste comme un grand cru, et procure l’ivresse qui mènera le lecteur au paradis du 9ème art, celui de la bande dessinée.

Les dernières planches de l’album en donnent la clef : c’est l’histoire d’un homme dont la vie a basculé et qui a décidé de vivre la vie qui l’intéressait, même si le challenge ne semblait pas gagné d’avance.

J’ai connu aussi cette expérience, quittant un jour l’architecture pour la chanson, et je me souviens même avoir contribué à faire changer le destin d’un copain, un certain Gabor Kristof.

Celui-ci était à la tête d’une entreprise, et, suite à une discussion que nous avions eu, quelques temps après, il mettait la clef sous la porte, et empruntait le chemin de la musique, devenant quelques années après un guitariste réputé, (lien) jouant même avec l’un des plus grands, John Mac Laughlin. lien

On peut écouter Gabor jouer un thème de Coltrane sur ce lien, et il fut l’un de mes accompagnateurs sur scène tout comme dans mon premier 33 t.

Mais revenons à Richard et Etienne.

On ne sait pas si un jour, après avoir rencontré tous ces dessinateurs, ces éditeurs, ces producteurs, ces salons de BD, et même l’imprimerie ou se fabriquent les BD, Richard Leroy se mettra un jour à dessiner, mais ce qui est certain, c’est que l’amitié qui existait entre ces deux créateurs sera pérenne.

En effet, le vignoble de Leroy est dans le pays de Davodeau et ces deux là étaient déjà en pays de connaissance.

Quand à Etienne Davodeau, s‘il a maintenant en main toutes les cartes pour devenir un jour vigneron, il vient de confirmer que dans le monde de la BD, il avait plus d'une corde à son arc, celles de l’authenticité et de la sincérité.

Car comme dit mon vieil ami africain : « un seul doigt ne peut prendre un caillou ».

L’image illustrant l’article provient de « les dégustateurs.fr »

Olivier Cabanel

Le lecteur peut suivre l’actualité de cette bd sur ce lien et partager sur la page FB de l’auteur.

A la fin de la BD, Davodeau fait la liste des BD qu’il avait proposées à la curiosité de son ami vigneron.


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