Une chanson douce que nous chante la grammaire
par Voris : compte fermé
mardi 28 novembre 2006
On n’entendra peut-être plus dans la bouche des générations à venir ce genre de dialogue :
— « Bon j’veux dire... quelque part ça m’interpelle au niveau du vécu. Et toi comment tu te situes par rapport à ça ?
— J’ai envie de dire, en l’occurrence, je crois que c’est clair : en termes de discours, c’est limite grave.
— Grave de chez grave ?
— Tout à fait ! »
Le linguiste Alain Bentolila doit remettre le 29 novembre prochain, au ministre de l’Education, Gilles de Robien, les propositions de nouvelles formes d’apprentissage de la grammaire que celui-ci l’avait chargé d’élaborer.
C’est l’occasion pour nous de nous amuser un peu de cette rude discipline. L’académicien Erik Orsenna sera notre complice ! Dans son livre La grammaire est une chanson douce (Stock 2002), une inspectrice du nom de Madame Jargonos interrompt la maîtresse d’école : « Pas la peine d’en entendre plus. Mademoiselle, dit-elle, vous ne savez pas enseigner. Vous ne respectez aucune des consignes du ministère. Aucune rigueur, aucune scientificité, aucune distinction entre le narratif, le descriptif et l’argumentatif. » Mais l’histoire se termine bien grâce à la méthode d’un professeur musicien amoureux des mots, Monsieur Henri.
Faisons ici une courte parenthèse sérieuse pour expliquer le projet : remodeler l’enseignement de la grammaire, de l’école primaire au collège, sans revenir "vingt ans en arrière", est l’ambition de M. Bentolila qui annonce une dizaine de principes qui "ne plairont pas à tout le monde". Les partisans des "bonnes vieilles méthodes" seront heurtés par un des tout premiers principes. La leçon de grammaire ne doit pas, selon M. Bentolila, consister à réciter des règles, mais à fabriquer des phrases, en acceptant que l’élève tâtonne, qu’il formule des hypothèses, voire qu’il s’arrête sur des conclusions provisoires. « L ’analyse grammaticale des phrases est la priorité à l’école élémentaire et au début du collège". Le linguiste privilégie ainsi la "grammaire de phrase" - qui analyse la nature et la fonction des mots à l’intérieur de la phrase et qui est la plus proche de ce que la plupart connaissent -, contre la "grammaire de texte" - analyse de la cohérence thématique et sémantique du texte.
Cette parenthèse refermée et en attendant les conclusions, nous pouvons continuer de plaisanter avec Jean-Loup Chiflet, dont le petit ouvrage intitulé J’ai un mot à vous dire (Edition Mots et Cie 2002) conte comment se déroulent les leçons de grammaire avec Mademoiselle Syntaxe, directrice de l’école Grammaire où règne une armada de professeurs très rigides, les « Règles ». Il y a fort heureusement un pédagogue charmant, Monsieur Style, qui a fait ses études à Sciences mots.
Si dure soit-elle, l’école, avec ses règles, l’élève peut aussi être consigné au « bureau des exceptions » (Erik Orsenna)
Dans ce bureau des exceptions, l’on trouve ces accouchés sous x que sont les « chou », « genou », « hibou » et leurs complices, mais aussi les « deuxième » ou « sixième » qui se distinguent du bien réglé « troisième ».
La grammaire n’a pas fini de nous embêter, mais elle ne cessera jamais d’amuser les esprits espiègles et curieux d’insolite. Elle ne découragera pas non plus le poète qui prend plaisir à la malmener : Georges Perec, Raymond Queneau et tant d’autres qui viendront, dans les générations à venir, détourner les méthodes que l’école leur aura inculquées...