Une galaxie lointaine, pas si lointaine
par Mmarvinbear
lundi 16 décembre 2019
Sorti en 1977, la Guerre des Etoiles est plus qu’un film car il lance non seulement une saga mais aussi toute une branche de l’industrie cinématographique qui perdure encore aujourd’hui ainsi qu’un imaginaire qui inspire plus ou moins avec bonheur bien des films, séries, bandes dessinées ou jeux vidéos qui inondent nos rayons actuellement.
Pourtant, cela n’allait pas de soi. La Fox n’a accepté de financer le projet qu’avec réticences. Il faut dire que les années 70 ne sont pas propices à la Science-Fiction, qui n’est pas à la mode et surtout écrasée par la puissance narrative de 2001 qui pèse sur les projets en cours et qui se limitent à la télé.
Le jeune George Lucas, pourtant, ne se laisse pas compter. Il a en tête un projet vieux de 10 ans, qui a fait l’objet de réécritures complètes et de changement drastiques dans sa tête. Mais il sent qu’il touche au but et les succès de ses deux films précédents American Graffiti et THX 1138 lui permettent d’avoir une oreille attentive de la FOX.
Il faut dire que le garçon n’est pas le premier venu. Etudiant en cinéma, il a ciré les bancs sous la tutelle d’un certain Francis Ford Coppola avec qui il a été un temps associé en affaires.
Lucas a passé des années à écrire et réécrire ses personnages. Au départ, Yoda était un simple lutin à chapeau pointu à qui il ne manquait que la brouette et le gazon...
La vie du petit Lucas n’a pourtant pas bien débuté étant en bas de la chaine alimentaire sociale à l’école. C’est sans doute le harcèlement scolaire qui le pousse à se créer un imaginaire dans lequel il va puiser une fois devenu adulte. Se destinant en premier lieu à devenir pilote automobile à cause de sa passion pour la mécanique, il frôle la mort dans une course locale et décide sagement de renoncer à mettre sa vie en jeu chaque semaine. Il ne découvre le cinéma qu’après l’accident, ayant préféré la télévision dans son adolescence, mais se lasse vite d’Hollywood, préférant hanter les salles qui passent des films européens et français, découvrant et se passionnant pour la Nouvelle Vague avec Godard, Fellini et Truffaut. Il découvre aussi dans ces mêmes salles le cinéma asiatique, se trouvant une réelle passion pour le cinéma de Kurozawa. Il y a pire comme références et professeurs.
Malgré le désaccord de son père qui voulait le voir reprendre le magasin familial, Lucas intègre l’école de cinéma de l’université. Dès ses premiers devoirs, il montre sa propension à rendre hommage aux grand maîtres en s’inspirant d’Arthur Lipsett pour son premier court métrage, THX 1138 dont il réalisera une version longue par la suite.
A cette époque, il critique aussi dans ses documentaires tournés pour ses cours l’affolante inflation du cout de production des films, ce qui est avec le recul assez ironique estimant pouvoir faire aussi bien avec « un budget de 300 dollars ». Il se fait pourtant bien remarquer et la Warner lui offre un stage de 6 mois ou il fait la connaissance de Coppola qui en fait son assistant à une condition : « qu’il lui trouve une bonne idée par jour. »
Coppola est ravi du jeune élève et lui confie le tournage de ce que l’on nomme aujourd’hui les « bonus DVD », exploités à cette époque dans les salles dévolues aux documentaires. Leur relation se dégrade cependant quand, devenus partenaires, ils voient que leurs vues divergent quand aux méthodes et aux buts, mais ils restent assez proches pour lancer la version longue de THX 1138, bénéficiant d’un financement de la Warner qui se montre intéressée.
Le film dépeint une société ou l'amour et la libre pensée sont interdits, les habitants tous drogués pour soutenir le pouvoir en place. Le film est un four au box-office mais marque la profession.
Malheureusement, les projections test sont un désastre et la Warner exige de revoir son argent. Coppola est contraint pour rembourser le studio de tourner le Parrain, dont il ne voulait pas. Le film est remonté contre la volonté de Lucas et sort en salle. Le succès critique n’apprend qu’une chose à Lucas : il fera désormais tout pour garder le final cut face aux studios. Cela met également un terme à sa relation professionnelle avec Coppola, ce dernier ne l’ayant pas assez soutenu face à la Warner.
Il suit pourtant son conseil pour son film suivant et livre un film plus commercial mais surtout moins froid et plus ouvert.
Ce sera American Graffiti, où Lucas livre sa vision rêvée d’une Amérique des 50’s loin du cauchemar vietnamien. Il s’y moule à merveille et accepte de renouer avec Coppola qui devient producteur délégué. Lucas se rend compte alors de ses lacunes en terme de direction artistique et prend des cours de théâtre pour apprendre à gérer les acteurs. Le film est un succès et Coppola lui offre même de réaliser son projet Apocalypse Now avant de retirer son offre, constatant leurs grandes divergences artistiques pour ce projet.
Lucas a beaucoup appris en terme de techniques mais surtout sur lui-même. Il laisse au placard l’étudiant obsédé par la froideur, la névrose de l’époque et l’expérimentation sans but pour se concentrer sur ce qui peut apporter du bonheur et des valeurs plus positives. Il constate alors que le cinéma n’offre que peu de films pouvant vraiment inculquer ces valeurs à des jeunes : la mode est aux films catastrophes et le Viet-Nam est omniprésent dans les têtes et sous-jacent à Hollywood.
Il se souvient alors de ses séries télés favorites et tente d’obtenir les droits de Flash Gordon pour en faire une adaptation au cinéma. Las, les droits demandés sont stratosphériques et Lucas décide de renoncer, préférant créer un nouvel univers de lui-même.
Flash est finalement adapté dans les années 80 et devient un mètre étalon de la nanarditude, seule la BO de Queen échappant au désastre.
Il faut quand même savoir une chose fondamentale : personne ne peut créer à partir de rien. Lucas s’en rend vite compte et pour alimenter son imaginaire adolescent fait de pirates, d’aventuriers de de héros, il comprend qu’il doit parfaire ses connaissances et multiplier les sources d’inspiration. Dès son inscription en fac, il suit ainsi des cours d’anthropologie afin d’étudier la mythologie ainsi que le fait religieux. Il fait alors le même constat que Joseph Campbell à savoir que quelle que soit la civilisation étudiée, la narration héroïque reste la même, ce qui en fait une constance humaine universelle. Il lit le « Héros aux mille et un visages » qui synthétise les études faites à ce sujet et en ressort très marqué.
Ce livre de 1949 est la pierre angulaire de son oeuvre et par la suite, de presque tout le cinéma hollywoodien d’action.
Retournant dans les salles, il avale les oeuvres de Kurozawa dont il finance par la suite les films et contribue à leur plus large distribution dans les salles américaines. Il connait aussi les travaux de Métal Hurlant qui se diffusent à cette époque sur les campus américains, et certainement la série Valérian dont il s’inspire de certains concepts.
Le succès critique et commercial d’American Graffiti lui permet de négocier un financement avec la Fox, qui se montre rétive quand à son nouveau projet. La SF n’a plus bonne presse et le studio craint les dépassements de budgets inhérents au genre. Lucas se montre persuasif quant à une saga de neufs films qui commencent qui plus est par le quatrième épisode. Pour ne pas perdre le public, Lucas accepte de ne pas le numéroter et pour finir de convaincre le studio, il renonce à son salaire en échange des droits exclusifs du merchandising.
L'univers et le mauvais gout sont sans limites. Il manque juste les capotes, là...
Il faut dire qu’à l’époque, les droits dérivés sont balbutiants et ne concernent que les diffusion télé et parfois la novélisation en librairie, aussi la Fox ne fait pas obstacle à cette demande incongrue pour l’époque. Lucas lui-même est-il conscient de la révolution en marche ?
Impossible de le dire mais il y croit assez pour mettre sa réputation en jeu et il accepte un premier film isolé à l’histoire complète pour limiter les pertes potentielles. Lucas s’entoure alors des meilleurs spécialistes des effets spéciaux de l’époque mais découvre atterré que la moitié du budget est englouti pour une seule scène. Il a eu la prudence de fonder sa propre société d’effets spéciaux pour garder la confiance du studio mais il doit remettre constamment au pot pour garder le projet en vie.
Il est plus à l’aise avec son choix d’acteurs qu’il a voulu en grande partie jeunes et peu expérimentés : Mark Hamill a alors juste joué à la télé, Carrie Fisher est issue du théâtre. Il ne pense pas prendre Harrison Ford au départ mais il est convaincu de l’engager en constatant l’excellente alchimie qui se dégage du trio d’acteurs lors des répétitions. Pour attirer le public, il prend Alec Guinness qui ne va pas garder un bon souvenir du tournage. Il faut dire que le scénario subit de constants changements. Des scènes doivent être retournées car le nom du personnage principal change : à l’origine, Luke s’appelait Starkiller, et non Skywalker.
Lucas est contraint de changer le nom à cause de Charles Manson, qui a défrayé la chronique avec le massacre de Bel Air, commanditant l’assassinat entre autre de Sharon Tate. Starkiller était son pseudonyme et Lucas en a rapidement assez de devoir préciser qu’il ne tourne pas une biographie de Manson. Ce changement est vu a posteriori comme très heureux.
Les soucis de Lucas ne s’arrêtent pas avec la fin du tournage car il constate avec dépit que le film monté est mauvais, sans rythme et sans intérêt. En conflit avec son chef monteur, Lucas le vire et décide de finir le travail avec une nouvelle équipe, obtenant de la Fox un report d’un an de la sortie. Le travail avance rapidement et la Fox, qui croit de moins en moins au projet, décide finalement de sortir le film en mai 77 au lieu de Noel.
A cette époque en effet, les meilleurs sorties ont lieu pendant les fêtes de fin d’année et l’été est considéré comme étant une morte saison ou ne passent que des séries B ou des navets sur les écrans. Qui plus est, la Fox ne retient que 32 salles sur tout les USA, et s’attend à un échec épique.
Pourtant, le film est un triomphe dès les premières séances et le studio rajoute des dizaines de salles en catastrophe.
Il faut dire qu’en plus de la bande annonce, Lucas avait tout misé sur l’attente en mettant en vente à l’avance des jouets destinés avant tout aux enfants, présentant les personnages principaux et les principaux vaisseaux spatiaux qui tous sont des réussites visuelles. Les fabriquant ayant du mal à fournir les premiers jouets avant la sortie du film, Lucas fait imprimer des coupons d’échange en carton qu’il vend à l’avance, les acheteurs pouvant les échanger en magasin une fois les jouets disponibles. Ces cartons valent aujourd’hui une fortune s’ils sont intacts.
Le succès du film convainc la Fox à signer pour distribuer les deux suites initialement prévues, Lucas se réservant le financement avec ses propres deniers et un emprunt bancaire, ce qui lui permet de garder le final cut. Lucas est heureux mais aussi au bord de la dépression nerveuse. Producteur, réalisateur, scénariste, il a presque tout fait et il voit qu’il est passé près de la folie. Aussi il décide de laisser le fauteuil de réalisateur pour se ménager. Il ne reprendra place derrière la caméra qu’en 1999 pour l’épisode I avec un résultat plus que mitigé.
La suite, tout le monde la connait ou presque. Inventant une nouvelle mythologie, Lucas a le plaisir de la voir déferler sur la planète. Il voit aussi que l’industrie évolue, sortant désormais aussi pendant l’été les films à gros budget et si les réalisateurs sacrifient parfois une part de leurs salaires en échange de parts sur les droits d’exploitations, c’est à Lucas qu’on le doit.
On lui doit aussi hélas un usage abusif de sa pierre de Rosette. Le « Héros aux mille et un visages » est sur les étagères de presque tous les réalisateurs, de presque tous les producteurs et a imprimé une façon de filmer et de raconter dont il est difficile de se détacher. Même si le romancier Neil Gaiman a déclaré ne pas vouloir le lire pour éviter de se faire formater l’esprit, il ne peut pas ne pas le voir en filigrane des films, des séries ou des livres réalisés sous son empreinte. Nous non plus d’ailleurs.
On lui doit aussi un merchandising qui envahit tout, de façon parfois anarchique et délirante, comme des filets de mandarines estampillées « Star Wars » au moment des fêtes. Sans parler des yaourts, des burgers, ce qui conduit à un mélange de lassitude, d’ignorance et de consternation.
On pourrait presque se rêver à penser qu’avec la sortie de l’épisode IX, le calvaire de certains va prendre fin.
C’était sans compter avec le rachat de Lucasfilms par Disney, qui entend bien profiter de la marque et la développer encore plus dans les médias.
Après tout, ils auraient tort de s’en priver. La saga jouit d’une très bonne réputation et le foisonnement de personnages secondaires fournit une mine presque inépuisable de sujets encore à défricher, sans parler des « scènes manquantes », ces moments de la saga qui ne sont pas développés faute de temps et qui offrent matière à des spin-off ou des mini-séries. Disney a commencé à en exploiter le filon avec le Mandalorien, une série qui se déroule entre les épisodes III et IV, ou son dernier projet sur Obi-Wan Kenobi qui doit parler des années d’exil de l’ancien maître d’ Anakin.
La série bénéficie de très bonnes critiques tant professionnelles que publiques et la saison 2 est déjà commandée.
La vraie force de ces personnages vient du fait qu’ils n’en sont pas. Comme dans les « Misérables », Lucas n’a pas créé des personnages mais mis en lumière des archétypes : Valjean symbolisait ainsi le peuple opprimé, Marius le révolutionnaire au grand coeur, Javert la sévérité aveugle de la loi et Cosette l’innocence romantique.
Dans l’univers de Lucas, Luke représente le jeune orphelin combattant, Leia la princesse à sauver et Han l’aventurier au grand coeur et à la caboche de bois.
De façon plus poussée, Lucas a aussi fait de l’Empereur le symbole du pouvoir dans sa grande corruption : « L’empereur, c’est Nixon. », n’hésite-t-il pas à le dire. Et Vador représente entre autre le peuple qui se soumet au mal par pur intérêt particulier et immédiat.
Cette lecture politique est encore plus visible dans la controversée Prélogie. Malgré ses défauts, on peut voir que Lucas montre avec quelle facilité la démocratie peut basculer du jour au lendemain dans la dictature sans que personne ou presque ne s’en scandalise.
« C’est ainsi que meurt la liberté. Sous un tonnerre d’applaudissements. » Les mots froids d’Amidala résonnent fortement dans cette décennie qui a vu les USA basculer dans l’ultra-conservatisme et le Patriot Act.
Le plus emblématique de ces archétypes reste le Noir Seigneur. Darth Vader est devenu en une apparition un symbole absolu de pouvoir et de maléfice. Encore aujourd’hui, celui ou celle qui visionne pour la première fois l’épisode IV ne peut pas ne pas ressentir de frisson à l’apparition du seigneur Sith, magnifiquement mise en scène dans un écrin de murs et de personnages d’une blancheur qui souligne la noirceur du personnage, au propre comme au figuré.
Lucas a joué de façon magnifique sur sa puissance visuelle, s’inspirant des tenues d’apparat des samouraïs pour concevoir son casque, sa cape rappelant celle des SS qui ont aussi inspiré les tenues d’officiers impériaux. Lucas choisit David Prowse pour incarner Vader à cause de sa grande taille. Mais sa voix ne convient pas au rôle aussi est-il doublé par un autre acteur en post-production. Prowse et Lucas ne sont plus en très bon terme depuis qu’il s’est vu aussi remplacé par Shaw lors de sa dernière apparition à visage découvert peu avant sa mort.
La passion que Lucas a du cinéma japonais se lit aussi dans l’épisode IV et son choix audacieux de consacrer toute la première partie du film au deux robots, qui sont somme toutes des personnages secondaires en fait. Ce choix est inspiré de la Forteresse cachée, un des premiers films de Kurosawa, qui raconte l’histoire selon le point de vue de simples paysans, les personnages les plus faibles et fragiles, une idée que Lucas reprend. Dans sa phase de préparation, Lucas avait eu l’espoir de faire jouer le grand acteur japonais Toshiro Mifune pour incarner Obi-Wan Kenobi. Las, l’acteur avait décliné la proposition, estimant le film trop peu sérieux pour lui. Une décision qu’il regretta amèrement par la suite.
Une oeuvre emblématique d'Akira Kurozawa.
Le choix de Lucas pour le nom est emblématique de son autre obsession : le rapport au père. Lucas n’a cessé de vouloir impressionner son père qui a eu du mal à accepter son choix de carrière : Vader signifie « père » en néerlandais et la saga Star Wars tourne autour de la relation plus que conflictuelle entre un père et son fils. La fin qui voit Luke permettre à son père de se racheter de ses crimes souligne sa foi en la famille et en la capacité des nouvelles générations à racheter les fautes de l’ancienne, une obsession pour une Amérique marquée au fer rouge par la Viet-Nam et désormais par les attentats du 11 septembre.
Cette relation duale d’affection et de rivalité entre générations se retrouve dans les trois trilogies : entre Anakin et un père par procuration, Kenobi, puis bien entendu entre Luke et Vader et enfin la relation courte mais intense entre Han Solo et son fils Kylo Ren, puis dans la relation entre Luke et Rey, ce qui montre que malgré la « trahison » de Disney envers Lucas, le studio a su garder la base et l’essence de la saga.
En sera-t-il de même pour l’avenir ? Qui peut le savoir ?
En tout cas la saga termine un chapitre mais le livre n’est pas terminé. Il y a tant encore à raconter, et tant d’argent à se faire aussi. Le relatif échec de Solo a poussé Disney à revoir ses plans mais tant que l’envie et l’argent seront au rendez-vous, nous entendrons toujours ce son si emblématique du sabre laser qui fend les airs.
Whom. Whom.