« Une puce épargnez-la » éphémère à La Comédie Française

par Theothea.com
lundi 14 mai 2012

A la suite de Marguerite Duras avec « Savannah Bay » en 2002, puis de Marie Ndiaye avec « Papa doit manger » une année plus tard, voici la troisième entrée féminine au répertoire de la Comédie Française en ce début de XXIème siècle, celle de Naomi Wallace, premier auteur américain à y entrer de son vivant.

Dans la genèse fantasmatique de « Une puce… », l’image d’un doigt qui s’introduirait dans une blessure a été l’un des deux éléments déclencheurs de cette création théâtrale relatant la grande peste de 1665 à Londres, en constituant de surcroît l’état de crise nécessaire au psychodrame.

D’un dramaturge l’autre, de Naomi Wallace à Luchino Visconti, l’enfermement contraint par l’épidémie mortelle qui règne en ville pourrait faire continuum artistique de Londres au XVIIème jusqu’à (Mort à) Venise en début XXème siècle.

En effet, dans un contexte similaire où, planant sur les résidents ou hôtes de passage en quarantaine, la grande faucheuse sert de catalyseur à une mise en perspective des libidos en situation de tourments érotiques avivés par une menace globale, celles-ci passent d’un état de frustration sociale à celui d’une gangrène inéluctable.

Si l’espace scénographique s’agrandit progressivement autour des protagonistes, c’est pour mieux contraster avec le confinement de leur perception subjective en butte aux préceptes moraux qui n’en finissent jamais avec leur travail de sape.

Que ce soit les murs qui ne cessent de reculer dans la mise en scène d’Anne-Laure Liégeois ou que ce soit la plage ultime s’ouvrant sur l’infini chez Visconti, c’est l’exaspération des pulsions sexuelles qui fait sens métaphorique contrastant avec l’autre peste, celle qui cerne l’esprit humain au point de le rendre vulnérable à toutes les nuisances idéologiques le désignant comme cible privilégiée.

Si l’interpénétration d’un corps social dans l’autre est flagrante chez Wallace, en poussant la logique du viol jusqu’en ses conséquences extrêmes, chez Thomas Mann/Visconti, cet accaparement sensuel, tout aussi interactif, épouse les subtilités de classes sociales proches mais bel et bien différenciées.

Ce jeu du pouvoir qui, déplaçant ses lignes de force entre des individus pris dans les mailles d’une condition sociale déterminée, formate jusqu’au moindre de leur geste, de leur parole ou même de leur intonation, renvoie pareillement dos à dos l’aristocratie et la plèbe, en des catégories intransgressibles faute de dissoudre l’identité de l’une dans l’hégémonie de l’autre et vice versa.

Dans la salle éphémère de la Comédie Française, voici donc de fait, quatre « puces » constituées en deux duos devenant lubriques à l’insu de leur plein gré, épargnez-les, s’il vous plaît, Monsieur l’arbitre des bonnes mœurs, alors que celles-ci sont ainsi livrées en proie libidinale aux ravages pestiférés de cette contagion chronique !

photo © Christophe Raynaud de Lage

UNE PUCE, EPARGNEZ-LA - ***. Theothea.com - de Naomi Wallace - mise en scène : Anne-Laure Liégeois - avec Catherine Sauval,Guillaume Galienne, Christian Gonon, Julie Sicard & Félicien Juttner- Comédie Française

 


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