Une soirée au Metropolitan Opera de New York

par Ariane Walter
lundi 15 novembre 2010

Venez ! Je vous amène !

Cela ne coûte que 27 euros (avion compris) puisqu’il suffit d’y aller en voiture.

C’est une nouveauté.

Toute l’année, les grands complexes cinématographiques proposent, en live du Met, les plus grands opéras du répertoire. 27 euros , c’est quand même cher pour une séance de ciné, même chic. Mon amie, cantatrice, est désespérée : « Cela va être la mort des petites productions ! » Je me le demande. Le bien et le mal étant étroitement liés, cela va aussi, peut-être, séduire un nouveau public. Pas dans les banlieues, c’est sûr. Voilà ce qu’ils devraient faire dans les banlieues : amener les gamins gratis au Met. Je suis sûre que des rappeurs y trouveraient de nouvelles harmonies. Il faudrait essayer.

J’aime l’opéra.

Toute petite, mon père, journaliste à Montpellier, avait une loge qui lui était réservée. En fait, pas à lui. Mais comme personne n’en voulait de cette loge, il la récupérait et tous les dimanches, après la messe et le foot, j’allais à l’opéra. C’était la baignoire n°8. La première fois que l’on m’a dit que j’allais assister à un opéra dans une baignoire, j’ai réellement cru que c’était une vraie baignoire et je me demandais comment ils faisaient pour faire entrer quatre chaises là-dedans…

La séance commence à 19H.

Ce soir, c’est « Don Pasquale » de Donizetti.

 Cela ne me dit pas grand-chose, mais ayant vu deux navets récemment (« Les petits mouchoirs » et « Social network »), j’ai envie de me refaire, comme disent les joueurs de poker. Ai-je enfin la bonne carte ?

J’y vais donc tranquillement, me doutant bien, vu le prix, qu’il n’y aura pas une queue de deux cents mètres. J’arrive légèrement en retard, personne dans le hall, on me place, car pour ces séances il y a un certain décorum et là, surprise, la salle est quasiment pleine. Wouahhhh ! Moi qui passe mon temps à parler de la crise !...Le public est constitué de ces infâmes baby-boomers de 68 qui se sont gavés et continuent à le faire, les cochons ! Pendant que le peuple rame, eux ils sont à l’opéra ! Belle mentalité ! Seul avantage, je fais très jeune au milieu de la foule, ce qui n’est jamais à négliger.

Bon. Disons tout de suite que c’est très chouette d’être au Met de New-York.

Je pense à Woody Allen, à une scène de Two lovers où Gwyneth Paltrow avec son riche amant, plantent le malheureux et amoureux (ça rime) Joaquim Phoenix. Puis ils disparaissent dans les brumes de la New-York de Noël…

L’avantage de ces séances de ciné-opéra, c’est qu’on est bien placé. On est sur les genoux du ténor, entre les deux seins de la soprano.

 Tout est sublime. Les voix pour commencer. Le grand art se révèle, même aux ignorants. Quand, aux JO, on voit, sur un cheval d’arçon, quelqu’un faire une pirouette, s’il est brillant, on frissonne. Pourtant on n’y connaît rien. A l’opéra, c’est la même chose. Que c’est puissant, que c’est mélodieux, que c’est profond ! Je n’arrive pas à imaginer qu’un seul être humain puisse écouter cela sans être saisi, gratiné, cuit aux petits oignons du plaisir.

L’intrigue est légère. Une comédie de Molière. Un vieux grognon va se faire rouler par une jolie nana. Dans le rôle de la jolie nana, Norina, la cantatrice Anna Netrebko. Et ça, pour être jolie, chapeau ! Ce qu’elle est pulpeuse, ce qu’elle est à dévorer cette fille ! Dodue mais pas trop, avec des yeux à griller tous les saints même ceux qui l’ont déjà été ! Non seulement elle est belle, mais encore elle a une voix céleste. Même pas laide quand elle chante. A un moment elle nous la joue à la Sharon Stone. Elle écarte les jambes et nous révèle des zones d’ombre auxquelles le cameraman, le coquin, laisse tout leur mystère. Elle fait des cabrioles. Elle lance son contre-ut les jambes en l’air ! C’est chaud ! C’est beau !

Je voudrais tout de suite préciser que je n’ai strictement aucune attirance pour le sexe féminin en tant que sexe. Mais la beauté des femmes, c’est quelque chose quand même. Je plains les hommes. Les pauvres choux. Dès la naissance ils glissent entre les cuisses des femmes, ils passent leurs premiers mois leurs menottes serrées sur leurs seins. Ils vont pendant des années se faire cajoler, bécoter par ces douces chaudes. On comprend qu’ils soient intoxiqués pour la vie. Que c’est tentant une femme. De vraies gueuses avec leurs décolletés, leurs ceintures qui n’ont rien de chaste mais font exploser la ligne de leurs hanches. Ce qu’elle chante bien cette fille. C’est un rôle de coquine. Elle a la langue rose, les dents blanches, les lèvres appétissantes…On ne regarde même pas les sous-titres quand elle vocalise. Ce qu’elle dit c’est : «  Je suis belle, je suis belle, oublie tout, regarde-moi, tu es au paradis !  »

Et les hommes ? Ils sont trois. Ils chantent bien. Un vieux. Un gros. Un maigre. Mais question voix, encore une fois, ce sont des Maserati, que dis-je des Rolls, que dis-je des Ferrari !

Les décors sont splendides. Classiques. De ces décors qui font faire « Ohhh ! » au public quand le rideau se lève.

La mise en scène aussi est classique. Ouf !

Pas besoin de supporter les fantaisies de ces metteurs en scène qui veulent que les cantatrices soient enfermées dans des cages et les ténors, dans « la Walkyrie », habillés en kilt, à cheval sur un sexe qui se balance des cintres.

Lors de l’entracte, un peu de pédagogie. On nous montre comment les décors glissent et se mettent en place. C’est un bain d’autrefois. Un bain de ces anciens temps où même les pauvres étaient heureux puisqu’ils savaient, grâce à la religion, qu’ils finiraient premiers au paradis.

Parfois, je m’échappe de cette beauté. Des idées me traversent la cervelle. (Je préfère cervelle à cerveau, pour faire plaisir aux féministes, puisque c’est féminin.) A un moment les valets chantent et cancanent. Ils critiquent leurs maîtres. Cela me fait penser à nous tous, sur internet, déblatérant sur ces chiens de banquiers, de puissants qui se roulent dans le luxe et la volupté ! On peut bien critiquer tant qu’on veut ! Ce qu’ils s’en fichent, les autres, avec leurs nouveaux jouets, leurs avions, leurs nouveaux ordinateurs qui donnent des ordres en une ombre de nano-seconde.

 Mais que c’est beau un chœur. Que c’est beau des gens ensemble avec des voix différentes mais harmonisées.

Je pense aussi à cette fameuse idée : Faut-il que l’Etat se mêle de tout ? Il n’y a pas de grande harmonie sans chef d’orchestre. Si chacun part dans son coin avec son violon et son piano, si chacun joue sa partition, quand pourrons-nous entendre cette musique à l’unisson qui invente la beauté et l’offre à tous ?

A la fin du cinquième acte, notre belle Norina chante dans une petite chemise blanche du plus bel effet et lance son dernier refrain. Très moral. Elle dit : « Aussi, quand un vieux veut épouser une jeune, cela ne peut que finir en enfer !  » Et elle le répète plusieurs fois, comme à l’opéra : « Un vieux qui veut épouser une jeune… »

Je pense à tous les vieux qui, au Met, doivent être accompagnées de jeunes… Cela doit les mettre, peut-être, un peu mal à l’aise…

Une seule chose est triste dans ce genre de représentation. On ne peut pas applaudir. C’est là qu’on sait qu’on n’est pas au Met. Certes, certains tentent quelques « clap clap », mais c’est misérable. Dans la salle, la vraie, avec ses murs dorés d’un autre monde, ils sont debout, serrés les uns contre les autres, applaudissant et rugissant quand paraît la belle Norina.

Bientôt ils se retrouveront dans les rues de New-York. Time square. Où iront-ils manger ?

New-York, la ville des rêves...

America, America, où es-tu ?


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