Valérian

par Krokodilo
jeudi 10 août 2017

Critique qui peut être lue sans se voir dévoiler des éléments du scénario.

À l'usage des spectateurs potentiels, des fans, mais aussi de Luc Besson et son équipe, dans l'espoir que quelques remarques remontent jusqu'à eux, puisque le boss s'est dit prêt à réaliser un autre opus, voire deux.

Disons-le tout net : le pari est réussi, l'adaptation fidèle à l'esprit, à l'ambiance, aux décors, aux personnages et thèmes de la série, tout en apportant de nombreux éléments nouveaux. Le budget énorme se voit bien dans la richesse des décors, des détails, la profusion d''extraterrestres, la multiplicité des plans et des effets spéciaux, la qualité de la 3D.

Mais une critique sans critique est-elle encore une critique ? (Je propose au Ministère ce sujet pour le bac philo 2018)

Quelques regrets personnels donc :

- Le tropisme anglophone de la traduction et du doublage (le film a été tourné en anglais) a pour conséquence quelques ridicules anglicismes. Vrais ou faux, peu importe : « exospace » au lieu du bon vieux hyperespace – j'y suis allé récemment et je confirme qu'il est toujours là, je ne vois donc pas la nécessité d'en changer le nom. J'ignore si la version anglophone utilise « exospace » plutôt que « hyperespace », auquel cas on pourrait y voir une volonté d'originalité. Quant à dire « play-list » pour ce qui est en bon français un « tableau de chasse »... ou encore « VIP access », et Laureline qui lance « c'est pas un peu too much ? », une expression déjà abandonnée par nos ados, « c'est trop » ! C'est même trop agaçant. Je passe sur l'inévitable chanson en anglais au début et à la fin, heureusement presque absente du film lui-même.

- Poursuites et bastons : il y en a bien plus que dans la BD – et quelques éléments du scénario on été manifestement introduits pour permettre ces scènes d'action.

Est-ce la crainte de décevoir un public qui s'attend à un Starwars à la française, avec force combats spatiaux et affrontements exotiques, avec ou sans sabres-lasers ? Ce n'est pas indispensable, comme le prouvent Alien I et son préquel Prometheus, ou encore Le jour où la terre s'arrêta, des films où les combats sont intenses mais rares et brefs. Sans oublier le génial Bienvenue à Gattaca qui, lui, n'a qu'un duel nautique entre frères et se place pourtant dans les tout-meilleurs films de SF, ou le récent et excellent Passengers dans lequel le summum de la violence sont les coups assénés par l'héroïne ! Sans aller jusqu'à invoquer les mânes du très lent 2001, Odyssée de l'espace qui paraît interminable aux jeunes fans de SF, de nombreux classiques ont donc connu le succès international en adoptant un dosage d'action plus mesuré - « light », comme dirait Besson !

Néanmoins, Valérian est moins frénétique que Le 5e élément et Lucy. Il offre de nombreuses séquences qui prennent le temps de raconter, comme le début (à ne pas manquer), ou la vie d'un peuple extraterrestre, ou la belle séquence avec Rihanna, et d'autres encore. Au total, même si j'aurais aimé moins de scènes d'action au sens large, je dois reconnaître qu'il y en a pour tous les goûts.

- Quelques précisions pour les fans de la série, sans trop les « spoiler » : le voyage temporel n'intervient pas, à l'instar des deux albums dont le scénario est tiré, dans lesquels son rôle est marginal. Le titre Valérian, la cité des mille planètes est trompeur, car le scénario est globalement celui, remanié, de L'Ambassadeur des ombres. Seuls deux ou trois éléments rappellent vaguement le premier. Mais « mille planètes » dans le titre, c'est tout de suite plus vendeur ! Un regret : le transmuteur grognon de Bluxte est moins grognon et intervient moins souvent, quoique avec un rôle plus important, privant ainsi le film d'un élément de comédie dans son interaction avec Laureline. Mais il est très réussi.

Toujours pour les fans : le numéro spécial de Pilote consacré à Valérian est riche, dont un entretien - pardon, une interview - avec Besson, et les hommages parodiques sont savoureux.

- Une énigme : pour quelle raison les Shingouzs, E.T. récurrents de la série et appréciés des lecteurs, sont-ils devenus des Doghan-Daguis ? Difficulté américaine à prononcer le nom, analogie politiquement incorrecte avec une ethnie ? Pas la moindre idée. Mais je les ai trouvés particulièrement réussis, très fidèles, aussi bien leur aspect que leur comportement, leur façon de s'exprimer. Gageons que pour les fans de la série, ils resteront à jamais les Shingouzs.

La distribution est solide dans les seconds rôles.

- Valérian et Laureline : les avis sont partagés dans les critiques. Ils sont moins connus que les seconds rôles ? J'ai entendu Besson rappeler à la radio que le couple mythique de Titanic n'était que peu connu à l'époque. Ils feraient trop jeunots ? C'est vrai que, comparés aux James Bond, parfois de vieux croulants qui bondissent d'une grue à un camion tout en dézinguant six malfrats... Valérian et Laureline ont l'air de jeunes étudiants ! Bon, faut voir que ce sont des agents spatiotemporels de la capitale mondiale du futur, brillants et surentraînés - en plus, je parie qu'ils ont des traitements anti-viellissement ! Plus sérieuse me semble la critique de dialogues fades ou pauvres, surtout pour Laureline, mais quel spectateur s'attend à entendre du Woody Allen de la part d'agents secrets plongés en pleine crise galactique ? D'autres trouvent Laureline pète-sec, trop agressive avec Valérian qu'elle taquine régulièrement dans le cadre de leur amour naissant – leur façon d'analyser leur propre relation rappelle parfois les séries américaines... À toutes ces critiques Besson répond, en substance (dans Pilote), qu'il est un fan de la série au même titre et depuis aussi longtemps que les autres, qu'il a donc tous les droits d'en produire SON adaptation, n'en déplaise aux gardiens du temple !

Personnellement, je dirais que même si ce n'est pas tout à fait « ma » Laureline, ou que Valérian est plus macho que l'original, le duo correspond globalement bien à celui de la BD. Libre à chacun de réunir jusqu'à 197 millions d'euros pour présenter son propre rêve !

On espère vivement une suite, avec un peu moins d'action mais autant d'exotisme galactique et de somptueux décors, moins d'anglicismes, des chansons dans d'autres langues que l'anglais. Valérian semble avoir fait un flop auprès du public américain, un public qui bouffe tellement de films de super-héros que les aventures de simples agents secrets spatio-temporels totalement dénués de super-pouvoirs ne l'attire pas plus que ça ! En outre, les États-Unis souffrent de xénophobie culturelle (à l'exception d'un infime public branché et cultivé, ils ne vont jamais voir un film étranger, ni doublé ni sous-titré, se contentant d'acheter des scénarios, de tourner le remake puis de nous le revendre – trop forts en bizness, faut reconnaître !) Ou alors il faut que ce film étranger rende hommage à leur pays ou à leur cinéma... comme The Artist.

Malgré la distribution anglophone de Valérian, ils considèrent peut-être que la SF ne peut être qu'américaine. On conçoit que la machine hollywoodienne fascine Luc Besson, probablement seul producteur français à pouvoir réunir un tel budget sur un projet d'adaptation de BD, mais puisqu'il a pour ambition de faire de sa Cité du cinéma une sorte d'hollywood européen, pourquoi ne pas couper le cordon ombilical américain ? D'autant qu'il a su faire plier le ministère des finances pour avoir son crédit d'impôt alors qu'il n'en remplissait pas toutes les conditions. Europacorp, sa « major » américaine, a des soucis, et c'est Valérian qui devra compenser – encore une rude mission pour nos deux agents ! Raison de plus pour aller le voir. (Pour les détails du financement, cf Wiki)

L'accueil critique : aux USA on s'en fout pour les raisons invoquées plus haut, mitigé en France, je passe les détails (cf Wiki ou une synthèse dans Le Figaro).

Beaucoup reconnaissent une première moitié brillante, des décors et des personnages fabuleux, un film incitant à la rêverie, qui donne des ailes si on accepte de se laisser emporter dans ce tourbillon galactique.

D'autres le trouvent naïf, mais Starwars étant une sorte de référentiel pour les fainéants, y a t-il plus basique que la Force qui penche du côté obscur, ou pas ? Ou précisent qu'il faut garder son âme d'enfant - plutôt une qualité d'après moi. La pire critique provient de Libé - journal qui a jadis titré sur toute la une en faveur de l'enseignement universitaire en anglais. Je les trouve mauvais coucheur car il y a bel et bien un scénario solide, loin d'être naïf ou manichéen. Les Humains n'y sont ni les dirigeants ni la fine fleur humaniste de la galaxie – faut-il y voir la source des réticences de certains ?

Hormis les remakes, Hollywood accepte les réalisateurs étrangers lorsqu'ils viennent mettre leur talent au service de leur machine à rêve. Ce qu'a essayé Besson avec Europacorp, avec l'ambition de produire plusieurs films en anglais par an. Mais il a fait Valérian pour partie dans sa cité du cinéma, en France donc, et la musique a été enregistrée en France. Il a donc un pied dans chaque continent. Faut-il y voir la raison du rejet américain ?

Valérian épousera-t-il Laureline, et réciproquement ? Les Shingouzs retrouveront-ils leur vrai nom ? Vous le saurez en allant voir Valérian 2 ! Merci et bravo les artistes.


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