Valérie Mischler chante Dimey
par Norbert Gabriel
lundi 9 juillet 2007
Dimey, un des plus formidables auteurs du XXe siècle, peut-être un des plus mal connus, réduit souvent à quelques chansons éternelles, Syracuse ou à la caricature de l’ogre dipsomane de la rue Lepic mettant en alexandrins le folklore voyou de Pigalle. C’est peut-être au Lux Bar, qu’il a noyé ses envols d’albatros dans tous les alcools des rêves d’infini.
Si tu me paies un verre, je pars en voyage, si tu en paies deux je t’emmène.
Une fois terminé le tour de piste du clown pittoresque, c’est peut-être sur un banc de la place du Tertre qu’il écrivait des textes sublimes et déchirants,
"Manque à vivre ", ou " Testament "
"Je croyais être né pour tout dire"
" N’être là que pour ça"
" Intoxiqué très tôt par le besoin d’écrire"
"Je me suis avancé parmi vous, pas à pas"
"Et on m’a regardé comme un énergumène"
" Comme un polichinelle au sifflet bien coupé"
" Qui savait amuser son monde"
" A la rigueur...."
" On peut avoir à 18 ans l’impérieux besoin d’aller prêcher dans le désert"
" Mais l’âge m’est passé des sermons de ce genre"
" Je ne dirai pas tout"
" Or, tout me reste à dire."
Voilà le portrait de Dimey, si je devais le faire en quelques lignes, quelques unes de ses lignes.
Cela dit, une comédienne d’une trentaine d’années qui fait un spectacle avec les textes de Bernard Dimey, n’a pas les mêmes pôles d’intérêt qu’un plumiteux* qui a deux fois son âge. Valérie Mischler travaille sur ce répertoire depuis quelques années, et elle a composé un bel ensemble pour faire un portrait attachant et picaresque. Un portrait riche des ombres et lumières de Dimey, personnage contrasté s’il en fut, mais auteur grandissime. Le choix de Valérie Mischler est de commencer par un texte inédit en chanson, Où serez-vous demain qui montre d’emblée l’humanité que Dimey planquait sous la défroque d’un Gargantua du folklore montmartrois.
Et c’est bien de terminer par Je savais bien qu’un jour... après un French cancan très enlevé, Valérie Mischler met le point d’orgue avec ce texte mélancolique et poignant. Et comme le public n’est pas forcément un imbécile qu’il faut toujours caresser dans le sens du poil avec une fin yop-là-boum, je suis certain qu’il apprécie cette conclusion.
Le Petit Gymnase est un joli théâtre, qui accueille souvent des spectacles chansons très bien conçus (Agnès Debord vient d’y passer six mois) et c’est presque un label quand on est programmé dans cette salle. Le spectateur sait qu’il y trouvera une qualité de récital à la hauteur de ces grandes chansons du répertoire, qui restent des monuments à revisiter à chaque génération. Parce que "Les hommes sont cruels et crèvent de tendresse" et "qu’ils sont souvent l’inverse de ce qu’il aurait fallu, de ce qu’on aurait voulu".
Allez Valérie, offre-nous quelques vers, nous serons amis pour la vie au moins jusqu’à demain... "Il se peut que demain soit enfin jour de fête"... "L’ivresse n’est jamais qu’un bonheur de rencontre... La nuit va son chemin, et puis le jour se lève, il est 5 heures à Paris... et c’est déjà demain".
Pourquoi Dimey, Valérie Mischler ?
"C’est grâce à Michel Célie, il m’ a fait lire les textes, écouter les chansons et comme il y avait la fête à Montmartre, il m’a proposé de participer aux journées Dimey, avec deux ou trois chansons, ça a commencé comme ça, je me suis complètement retrouvée dans cet univers, Dimey, c’est extrêmement sombre et, en même temps, c’est digne, il n’y a pas de complaisance, regardez comme je suis malheureux, comme je bois, non... Regardez la vie de merde que j’ai, et comme je tiens debout, l’humour, la dérision me sauvent... Je me retrouve complètement là-dedans. On avait fait 2/3 des chansons et puis, on s’est dit avec Catherine** qu’on avait envie de continuer, c’était une période où je faisais beaucoup de comédies musicales, avec beaucoup de monde, des grandes scènes, j’avais envie de quelque chose de plus intimiste, plus près du public, ça s’est imposé sans qu’on ait vraiment réfléchi...
Ce spectacle a commencé à me trotter dans la tête vers 2001, le temps de le créer c’était fin 2001/2002...
Pour ce spectacle, j’ai lu, j’ai écouté, j’ai regardé ce que j’avais envie de chanter, qui me correspondait, et ça s’est fait hyper facilement, naturellement, pas de question de douleur, quand on se pose un milliard de questions, quand on n’est pas sûr de faire le bon choix.. J’avais juste à écouter les chansons, et puis si j’ai envie, je fais en sorte que ça me corresponde. L’univers me correspondait.. Après il faut créer un rythme entre les différentes chansons, les différentes ambiances... Trouver les liens entre les chansons... Passer du léger au sombre...
Les angoisses d’un mec de 50 ans et celles d’une nana de 30, je me demande si c’est peut-être pas la même façon de les vivre, de les supporter... Lui il a trouvé ses systèmes de défense... L’angoisse, c’est la même, au fond... Et il y a tout dans ce qu’il a écrit, tout ce dont on peut rêver, les personnages, les histoires.
J’ai pas envie de chanter ma vie-mon œuvre-mes amours, j’ai envie de raconter des histoires, en ce moment, je me lance dans l’écriture, j’essaie de garder ça, et allier le théâtre et la musique.. Le théâtre tout seul m’ennuie un peu, la musique me manque.. C’est le mélange harmonique entre les deux qui m’intéresse...
Pour ce spectacle, Valérie Mischler assume les rôles d’interprète et les fonctions de mise en scène et de production. Conséquence de la situation globale, presque plus de programmateurs, les salles sont le plus souvent louées à qui se présente, du coup, il n’y a plus, ou presque plus de cohérence, plus de label comme Le Limonaire, le Connétable ou le Forum Léo Ferré d’Ivry , derniers témoins de ces lieux où se sont ébauchées les carrières des Barbara, Brel, Perret, Caussimon, Anne Sylvestre et quelques autres grands noms de la chanson.
Valérie Mischler s’installe pour l’été au Petit Gymnase, à partir du 5 juillet, du jeudi au samedi à 19 heures pile. Et l’heure, c’est l’heure, parce qu’ensuite il y a un autre spectacle, ainsi, vous êtes libre à 20 h 30 avec une grande soirée devant vous. Parmi les bonnes raisons d’arriver à l’heure, il y a d’abord l’élémentaire courtoisie qu’on doit aux gens de scène et aux spectateurs qui sont arrivés à l’heure, ensuite rater la première chanson serait dommage, c’est un texte qui n’existait pas en chanson et qui a été mis en musique par Catherine Bedez, comme Pépère, La Femme de marin ou La Dame aux camélias, ces deux derniers composés avec Valérie Mischler. Les personnages de Dimey sont souvent démesurés, dessinés avec le trait impitoyable de Daumier, mais toujours avec un fond de tendresse, et pour les faire vivre sans tomber dans la caricature, ou le cliché ultra convenu, il faut le talent et la sensibilité d’une comédienne qui les aime, et les incarne... "J’aurais passé ma vie à me décortiquer, à me déshabiller, à donner en spectacle à n’importe quel prix ce que j’avais de plus précieux de plus original, plus vivant que moi même..." Voilà, c’est tout.
Allons, un dernier vers, ou deux, pour la route :
"J’avais dans le regard des feux inexplicables"
" Et je disais des mots cent fois plus grands que moi."
Salut Dimey, et bravo Valérie.
Les citations sont de Bernard Dimey, dont l’œuvre est disponible chez l’éditeur Christian Pirot.
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Mouloudji, qui malgré le prix de la Pléïade en 1942 ou 44, se disait "plumiteux"
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** Catherine Bedez, accompagne Valérie Mischler, et a composé plusieurs musiques sur des textes de Dimey pour ce spectacle.