« Walkyrie » : opération filmique réussie ?

par Vincent Delaury
vendredi 6 février 2009

Walkyrie est un thriller historique tiré d’une histoire vraie : le projet d’assassinat d’Hitler par des officiers allemands en 1944. Dès 1942, Claus von Stauffenberg, colonel du Troisième Reich, se rend compte des risques que le Führer fait courir au monde. En 1943, revenu blessé d’un champ de bataille en Afrique du Nord (il a perdu un œil et une main), von Stauffenberg rejoint la résistance allemande et, avec l’aide d’officiers de premier ordre convertis à sa cause, fomente un complot qui doit mettre fin à la menace nazie et à la folie meurtrière du régime hitlérien, bref il s’agit d’éliminer physiquement Hitler.



Mission impossible ?



Ce film historique se laisse voir avec un certain plaisir. Sa reconstitution est soignée (bon, au vu du budget conséquent du film, on n’en attendait pas moins), sa lumière ténébreuse vient harmonieusement épouser, comme le dit la bande-annonce du film, les « heures les plus sombres de l’Histoire », et son réalisateur, Bryan Singer, alterne habilement l’amplitude de plans classiques réalisés à la grue (1ière partie) avec une caméra à l’épaule, dans la 2ième partie, qui permet de saisir la tension qui monte d’un cran lorsque la bombe a explosé dans le bunker du Führer (20 juillet 1944, Tanière du loup) et que la mécanique s’emballe tous azimuts - la résistance allemande, alors persuadée ou s’auto-persuadant qu’Hitler est mort, tente de s’emparer du pouvoir via l’opération-rédemption Walkyrie. Et le film montre bien alors que cette fameuse opération était en fait un plan national élaboré par le Führer lui-même ; il s’agissait, en cas de putsch, de mobiliser l’armée de réserve afin d’occuper les postes-clés des infrastructures de l’Etat, jusqu’à ce que l’ordre soit rétabli. Ainsi, ces conspirateurs, à la façon d’un cheval de Troie, viennent parasiter et lézarder la matrice nazie, en espérant la piéger de l’intérieur. On devine facilement ce qui a pu intéresser le réalisateur de The Usual Suspects et X-Men dans cette histoire d’une dynamique de groupe d’une conjuration d’officiers héroïques décidés à éliminer Adolf Hitler. La préparation d’un tel attentat relève d’un travail d’équipe, dans l’idée que « l’union fait la force » afin de contrer la soldatesque nazie : « Berlin 1944. Une organisation secrète. Un acte héroïque », dixit la phrase d’accroche de l’affiche française du film.



Organiser un coup d’Etat qui mette fin au système mécanique implacable du nazisme, ce n’est pas une mince affaire, et le film nous montre bien que, dans sa tâche d’homme d’honneur, l’héroïque et charismatique comte von Stauffenberg (Tom Cruise) active ses réseaux, à l’aide d’un groupe d’officiers allemands de haut rang, afin de réussir son complot contre Hitler et de prouver au monde qu’ils – les officiers de la Wehrmacht - n’étaient pas tous comme LUI, à savoir comme l’ogre nazi, froid et médiocre. Manifestement, dans ce Claus von Stauffenberg, et d’autant plus parce qu’il est interprété par un Tom Cruise qui, dans ses interventions publiques (…contrôlées), ressemble de plus en plus à un homme-robot au visage parfaitement lisse, il y a du super-héros en puissance. Il faut le voir s’habiller, afin d’« aller tuer du nazi », droit dans ses bottes, façonné par le code de l’honneur et sanglé au cordeau dans son uniforme-panoplie, quasiment jusqu’au sang (cf. le tranchant du rasoir). C’est une véritable machine de guerre. Par moments, en voyant ce film, on a vraiment l’impression de voir des gamins en train de s’amuser avec leurs « petits soldats » d’antan, via uniformes d’époque, casquettes d’officiers, avions et autres véhicules militaires pour « faire vrai ». D’ailleurs, avec ce thriller, Cruise n’a pas caché son désir d’accomplir un rêve de gosse : étant petit, il rêvait de « tuer des nazis. ». Alors bien sûr, on pourrait multiplier les reproches à l’encontre de cette belle machine hollywoodienne visant à rendre hommage à la résistance allemande. On peut prendre de haut la naïveté de ses auteurs, tout à la fascination de leur lanterne magique – la boîte noire du cinéma leur permettant de faire revivre les heures les plus sombres de l’Histoire. Et autre détail qui fait un peu tache, ce film, de facture classique, est fort soigné dans la reconstitution de l’Allemagne nazie (on sait qu’une partie du tournage s’est même déroulé en Allemagne, et plus précisément au Bendlerblock, le QG militaire où les résistants ont été fusillés), mais tout le film est parlé en anglais. OK, c’est une convention hollywoodienne, il faut la prendre telle quelle, toutefois c’est tout de même un poil gênant. Question authenticité, et puisque ce film historique aspire visuellement au vérisme dans le moindre détail (cf. photo en noir et blanc), on peut s’étonner que l’allemand ne soit pas de mise. Certes, la star des stars, Tom Cruise, ne maîtrise certainement pas la langue de Goethe, mais, n’en déplaise aux spectateurs nord-américains, le doublage, ça existe !



Par ailleurs, et c’est là que le bât blesse pour moi, je ne comprends pas bien certains critiques, dans la presse, qui parlent d’un suspense palpitant - « Un suspense qui tient le spectateur en haleine jusqu’au bout. » (Le Parisien). Certes, je suis d’accord dans l’idée que ce thriller historique, sur la fin, instaure une tension psychologique qui marche. Attentat manqué ou non contre Hitler, le spectateur prend connaissance des suites immédiates à Berlin, sur fond de machination diablement retorse : les identités se troublent plus que jamais ; le système de communications confine au pétage de plomb généralisé ; et la « tempête sous un crâne » de certains hommes de pouvoir pour savoir dans quel camp, in fine, se positionner (avec ou contre Hitler, courage des uns, lâcheté des autres) ne manque pas d’intérêt, loin de là. Pour autant, et sans être historien de formation, le fin mot de l’histoire, à savoir l’échec de l’acte « terroriste » contre Hitler, on le connaît bien ! De ce fait, dès le début, le suspense est comme tué dans l’œuf. On a du mal à se passionner pour une partie de jeu d’échec que l’on sait perdue d’avance. Vous me direz qu’avec un Titanic, énorme carton au box-office et film à la fortune critique incontestable (à sa sortie, Les Cahiers l’avait même salué en tant que chef-d’œuvre néoclassique), sa fin avec le naufrage, on la connaissait bien également, et cela n’empêchait point le spectateur de se passionner pour la conduite du récit. Pas faux.



Mais alors, ma réserve à l’égard de Walkyrie (je lui mets quand même 2,5 sur 5, d’une part pour toute la 2ième partie - les suites de l’attentat, dans les eaux croupies du nazisme - et d’autre part pour Tom Cruise, impeccable parce que sobre) vient certainement de son manque d’amplitude filmique, autrement dit de style : eh oui, il ne suffit pas de reprendre la moitié de la distribution de l’excellent Black Book (2007) de Paul Verhoeven (Carice Van Houten, Christian Berkel, Halina Reijn, Waldemar Kobus) pour en retrouver toute la force de frappe et l’ambiguïté dramaturgique. Bref, le grand film des années 2000 sur l’atmosphère trouble de l’Allemagne des années 40, entre attraction et répulsion, il a déjà été fait, c’est Black Book. Et à la copie (Walkyrie), disons que, question piège en eaux troubles et récit mené tambour battant, je préfère très nettement l’original (Black Book). Bref, Walkyrie a au moins le mérite de souligner une chose : l’écart qu’il peut y avoir entre un grand réalisateur (Paul Verhoeven) et un habile faiseur (Bryan Singer). Entre nous, concernant cette époque-là traitée au cinéma (la Seconde Guerre mondiale et la botte nazie), j’ai hâte de voir ce qu’un Tarantino, avec son Inglorious Basterds relatant le bataillon borderline de soldats juifs-américains surnommés Les Bâtards, va bien pouvoir en faire. A suivre.

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