« Watchmen », le point limite du film super-zéro ?
par Vincent Delaury
samedi 28 mars 2009
Je ne comprends pas bien l’emballement pour le Watchmen de Zack Snyder (sorti le 4 mars 2009) que j’ai trouvé d’une médiocrité assez confondante. Dans la presse, en général, comme pour cautionner l’objet mastodonte en question, on en parle comme d’une adaptation réussie du comic-book d’Alan Moore (From Hell) dessiné par Dave Gibbons, et c’est certainement vrai, mais est-ce que cela suffit pour en faire un bon film ?
Selon moi, celui-ci est très inégal, à l’instar du réalisateur, capable, on le sait, de polir une honnête série B (L’Armée des morts) comme de fabriquer un nanar de péplum lorgnant vers le racisme poisseux (300). Rappelons-nous de ce film mastoc, 300 fois visuellement imbitable et, pire encore, moralement fort contestable parce que raciste et fascisant. Je m’explique. Regardons-y de plus près, la botte et le salut nazis ne sont pas très loin : les Spartiates, bodybuildés à souhait et au look de Chippendales arborant fièrement leurs tablettes de chocolat, font sérieusement penser au mythe du surhomme de Nietzsche récupéré sommairement par les nazis et autres fachos ; de plus, attention, ces Grecs-là, costauds itou itou, ne doivent surtout pas être confondus avec les Athéniens qui eux (c’est dit dans le film !), selon Léonidas, le chef Monsieur Propre des Spartes, sont traités de « beaux parleurs, de philosophes qui aiment les garçons », et alors là, histoire de forcer encore plus le trait (de Frank Miller), les adversaires des Spartes, n’en parlons même pas, c’est vraiment la « lie » de la société, aux yeux de la sacro-sainte norme : les Perses, venant de Xerxés, sont : soient des malades, des bossus, des monstres ou des gays (le chef des Perses est une drag-queen bronzée de 2m50 qui passe son temps à mettre à genoux ses adversaires - mon Dieu, certainement en vue d’une pratique de sexe oral ô combien perverse par rapport à la sexualité saine de Léonidas et de ses scouts Spartiates !), soient des Noirs, des Asiatiques Immortels et autres « basanés », « rastaquouères », c’est-à-dire des étrangers dont la couleur de peau n’est pas assez raccord avec l’idée du clean. Voilà donc pour l’ambiance nauséabonde du film (Perses = peuple de barbares aux mœurs dépravées), alors certes, on peut en rire car ce péplum nullissime ne se veut pas reconstitution historique, mais l’on peut aussi se fâcher et se rappeler une mise en garde d’Eric-Emmanuel Schmidt – qui n’est pas le penseur du siècle, je vous l’accorde ! -, dans La Part de l’autre, « Un pays devient une nation quand il se met à détester tous les autres pays. C’est la haine qui fonde la nation », ou encore de Duras : « Le simplisme est fasciste » (1976). Bien vu. On le sait, que ce soit dans les films ou ailleurs, il faut toujours faire attention aux effets de mode, qu’ils soient de masse ou de mass media.
Dans Watchmen, qui nous raconte le schéma classique d’une machination menaçant de tuer et de discréditer tous les super-héros du passé et du présent, le meilleur côtoie le pire, à croire que par instants Snyder se mette en pilotage automatique afin de passer le relais à un réalisateur 2ème équipe qui serait nettement plus finaud. Il y a des choses très belles dans Les Gardiens : le générique kaléidoscopique inaugural, sur fond de coupures de presse, d’extraits de journaux et de brassage d’une bonne partie de l’histoire américaine, est un plaisir optique vertigineux - on se laisse porter par une caméra labile qui nous fait feuilleter avec une traînée de nostalgie rock l’American(a) way of life. La malléabilité du visage-morphing de Rorschach, justicier masqué limite psychopathe, nous aide aussi à glisser, entre deux eaux, entre rêve et réveil, dans une uchronie (réécrire l’histoire à partir de la modification d’un événement du passé) qui se propose de revisiter le réel à l’aune des fantasmes : dans une Amérique alternative de 1985, alors que la Guerre froide est à son apogée, les Américains ont gagné au Vietnam, sans Rambo !, et Nixon achève son 5ème mandat à la Maison-Blanche : Halleluiah… ? Par ailleurs, les scènes érotiques sont bien rendues, on n’hésite pas à montrer l’impuissance de certains, et le fait qu’une bonne partie de ces super-héros retraités fassent du surplace - à l’exception du grand schtroumpf bleu, Dr Manhattan, aucun superpouvoir à l’horizon pour eux - rend l’objet filmique, à bien des égards, intrigant ; sa lenteur surprend, sa sensualité également, et ses stases spatio-temporelles baignent bientôt dans une bulle vaporeuse qui l’éloigne, semble-t-il, des blockbusters épileptiques coutumiers du genre. Tout ça fonctionne bien, mais est soudain contrarié par les ficelles scénaristiques rasoir du film de super-héros (apocalypse, théorie du complot, monde pourri de l’intérieur et on en passe) et, surtout, par le naturel mauvais goût (non-contrôlé) de Snyder qui revient au galop - eh oui n’est pas kitsch, ou Koons, qui veut. Les saynètes sur Mars, avec le Dr. Manhattan, au sceptre… soyeux, sont d’une laideur absolue. Leur architecture en verre filé, comble de l’affreux, m’a fait penser aux paysages intergalactiques peinturlurés à la bombe par de jeunes amateurs sur le parvis de Beaubourg et autres places du Tertre. C’est du même acabit tellement c’est ringard, et d’aucuns se pâmeront devant ces daubes graphiques, prêtes-à-peindre, pendant qu’ils se croiseront les yeux, au 4ème étage de Pompidou, devant l’aventure chromatique d’un Kandinsky ou la beauté convulsive d’un Matta, allez comprendre.
Mais ce n’est pas le pire, le plus nul, c’est la séquence au Vietnam : sur les Walkyries, on voit des hélicos d’Apocalypse Now défiler, puis notre Géant Bleu écrabouiller de braves villageois vietnamiens, morts-vivants en puissance, et là, on se dit que la coupe est pleine, autant sur le fond que sur la forme. Dans le maelstrom d’images désaccordées (mélange entre un réalisme socialiste et un saupoudrage pop), on pourrait penser que Snyder cherche à passer du film de super-héros à celui de super… Erró, via un clin d’œil au peintre haut en couleur de la Figuration narrative s’évertuant, par le recours à une mosaïque d’images-sources de propagande, à dénoncer la communication visuelle de l’impérialisme américain ou japonais (cf. photo : American Interior n°9, 1968). Mais l’image en mouvement de Watchmen ne marche pas aussi bien que l’image fixe d’Erró ou du roman graphique originel. Chez Snyder, sa ligne (directrice) est loin d’être claire : la forme incontrôlée (au vu de la laideur du film, j’ai des doutes sur ce réa(c) en matière de connaissance de l’art de la 2ème moitié du XXème siècle), vient confirmer que le fond, bien crapoteux, n’est pas loin de l’abject : bref, a-t-on le droit, sous prétexte de revisiter l’Histoire et de faire un divertissement de masse, de créer une image pétaradante d’un Surhomme Bleu dézinguant aveuglément des figures archétypales renvoyant à l’humanité douloureuse, et en chair et en os, de notre temps ? Ne fait-on pas ici de la mort de l’autre un spectacle couplé à une sorte de révisionnisme hors limites ô combien contestable ? N’est-on pas alors dans une pornographie visuelle se complaisant à faire mumuse avec une tragédie (une guerre historique) ? A croire, qu’à l’heure actuelle, les travellings ne soient plus affaire de morale et que la pure délectation tous azimuts de l’œil ne cherche à faire passer définitivement sous silence les vertus, et la dignité, de la « caméra-vérité » ontologique à la Bazin.
Bref, sans être le gardien de je ne sais quel Jurassic Park du cinématographe, je considère que, quelle que soit l’époque, « l’esthétique sans éthique n’est que cosmétique », et ce Watchmen, avec son imagerie de bande-annonce sous vide, n’est pas une image juste, mais juste une image. Il y a longtemps déjà, un certain Breton nous avait avertis : « Il viendra un jour où les images remplaceront l’homme et celui-ci n’aura plus besoin d’être mais de regarder. Nous ne serons plus des vivants, mais des voyants. » En haut de l’affiche française de Watchmen – Les Gardiens, on trouve ceci : « Par le réalisateur visionnaire de 300 ». Désolé, messieurs les publicitaires, mais Snyder est moins un visionnaire qu’un voyeur pataud. En même temps, je ne lui jette pas la pierre sur tous les plans. Son Armée des morts (2003), remake survolté du Zombie de Romero et film de morts-vivants virant au jeu de massacre quelque peu subversif (enfin, n’exagérons rien…), comportait une scène iconoclaste assez réjouissante : sur un toit de supermarché, quelques survivants, derniers êtres humains encore en vie, faisaient du tir aux pigeons en s’amusant à shooter des zombies décérébrés en les appelant par des noms de vedettes du fait de leur ressemblance quant à certains modèles, style Burt Reynolds et consorts. C’était drôle, potache, enlevé, et la postmodernité complètement assumée de l’objet (faire des images dérivées d’images) rendait la mise en abyme, autour du cinéma et de ses codes, assez brillante. Mais là, avec 300 (2007) et Watchmen (2009, du 1,5 sur 5 pour moi), on a affaire à un réalisateur dont l’aspect « chien fou » peut toujours séduire mais qui est aussitôt contrebalancé par la fâcheuse impression de sentir à l’œuvre un jeune cinéaste ne semblant pas toujours maître à bord de sa panoplie de moule-burnes, de figurines et d’images lisses - et c’est plutôt inquiétant, voire, par moments, écœurant.