Who owns the Future, par Jaron Lanier

par Automates Intelligents (JP Baquiast)
samedi 25 mai 2013

Who owns the Future ?

Par Jaron Lanier
Simon & Schuster. Mai 2013

Discussion par Jean-Paul Baquiast 24/05/2013

Jaron Zepel Lanier (born 3 May 1960) is an American computer scientist, best known for popularizing the term virtual reality (VR). A pioneer in the field of VR, Lanier and Thomas G. Zimmerman left Atari in 1985 to found VPL Research, Inc., the first company to sell VR goggles and gloves. In the late 1990s, Lanier worked on applications for Internet2, and in the 2000s, he was a visiting scholar at Silicon Graphics and various universities. More recently, he has acted as an advisor to Linden Lab on their virtual world product Second Life, and as "scholar-at-large" at Microsoft Research where he has worked on the Kinect device for Xbox 360.

Lanier is also known as a composer of classical music and a collector of rare instruments ; his acoustic album, Instruments of Change (1994) features Asian wind and string instruments such as the khene mouth organ, the suling flute, and the sitar-like esraj. Lanier was the director of an experimental short film, and teamed with Mario Grigorov to compose the soundtrack to the documentary film, The Third Wave (2007). As an author, Lanier has written a column for Discover magazine ; his book, You Are Not a Gadget (2010), is a critique of Web 2.0. In 2010, Lanier was nominated in the TIME 100 list of most influential people.

Home page http://www.jaronlanier.com/

Le tout récent dernier livre de Jaron Lanier rencontre un grand succès aux Etats-Unis. L'auteur est peu connu en France, notamment du fait de notre inculture persistante face au caractère de plus en plus dominant de la société numérique. Il avait cependant en 2010 commencé à attirer l'attention, par son pamphlet You Are Not A Gadget ou il prenait la défense de l'individu face à un « âge des machines » devenant envahissant.

Cette attitude attire d'autant plus l'attention, notamment dans la Silicon Valley, devenue la Mecque des développeurs d'applications en ligne, qu'elle provient d'un des gourous de ce monde, comme le montre sa bibliographie. Sans être à proprement parler devenu un gourou repenti, Jaron Lanier dans ces deux livres insiste sur les dangers que représente pour la démocratie le pouvoir pris désormais par ceux qui profitent des services rendus par le web pour se construire des monopoles au détriment de la grande masse des utilisateurs.

Il est difficile et d'ailleurs inutile de résumer un ouvrage proliférant dans tous les sens et d'ailleurs assez mal composé. Néanmoins, les critiques que formule ce « prophète de l'âge digital », comme le surnomment certains, méritent d'être prises au sérieux. On recevra par contre avec un certain scepticisme les solutions qu'il propose pour remédier aux défauts de l'évolution technologique en cours, tout en continuant à exploiter les progrès de cette même technologie et les services qu'elle pourrait rendre par ailleurs.

La séduction mortelle des « serveurs siréniques »

Jaron Lanier nomme «  sirens servers » les start-up(s) devenues monstrueuses qui se sont construites depuis une dizaine d'années en exploitant la passivité des citoyens ordinaires face aux séductions des possibilités croissantes de communication offertes par les réseaux et applications du web. Le phénomène intéresse en priorité les Etats-Unis, qui sont les plus massivement interconnectés et qui hébergent, notamment dans la Silicon Valley, le plus grand nombre d'ingénieurs et d'entreprises maîtrisant ces nouvelles ressources. Mais la critique de l'auteur intéressera progressivement le monde entier, compte tenu du développement en cours de l'informatisation et de la téléphonie mobile, offrant des services en ligne de plus en plus nombreux.

Ce ne sont pas les réseaux eux-mêmes qu'il incrimine, mais l'usage qu'en ont fait quelques grands serveurs, qu'il assimile aux perfides sirènes dont le sage Ulysse avait voulu que ses marins se protègent en se fermant les oreilles à la cire. Il les désigne directement, tout en affirmant que leurs jeunes fondateurs, devenus multimillionnaires, étaient de ses amis. On retrouve ainsi en première ligne dans son livre Google et Facebook, accessoirement You Tube.

L'un, Google, a commencé son activité comme moteur de recherche, permettant d'explorer avec efficacité les centaines de millions de données mises en ligne par tous ceux qui s'expriment sur le web. Les énormes ressources en ordinateurs rassemblées par la suite dans ses centres serveurs lui ont permis de surpasser progressivement tous ses concurrents. Au delà du référencement des textes et des auteurs, il offre désormais de nombreux services liés à l'identification des lieux et des personnes. Avec Google Glass, il compte aborder dorénavant le domaine de la saisie directe des images provenant de ces lieux et de ces personnes. On devine que ce travail intéresse directement les services de police, de sécurité et d'espionnage. Google s'est illustré récemment en recrutant Ray Kurzweil, le prophète d'un futur cerveau artificiel global, qui ne manquera pas de suggérer des applications utiles aux agences travaillant pour la défense.

Or le point sur lequel insiste Jaron Lanier est que toute cette activité et le chiffre d'affaires en résultant, notamment par la vente de références publicitaires aux entreprises, repose en premier lieu sur les auteurs des textes ainsi identifiés par Google, en second lieu par les millions de personnes acceptant qu'elles-mêmes, leurs activités et leurs propriétés soient photographiées et numérisées dans les systèmes d'information proposés par Google. Mais ces auteurs et ces personnes n'imaginent pas pouvoir se retourner vers Google pour obtenir une rémunération fut-elle infime. du service rendu. Ils se satisfont d'être si l'on peut dire tirés de l'anonymat par le serveur.

Facebook offre des services dont la finalité est la même : identifier des personnes et des activités susceptibles d'exploitation commerciale ou sécuritaire. Mais, plus encore que chez Google, les nuages de données personnelles ainsi rassemblées sont en premier lieu fournis volontairement par les individus trouvant une satisfaction à se voir identifiés dans un système dont la portée est mondiale. Ils espèrent ainsi sortir de l'anonymat et se créer d'éventuels « amis ». Mais il s'agit le plus souvent de satisfactions narcissiques, plus ou moins illusoires, dont ils découvriront progressivement les dangers. Là encore, ils n'envisagent pas de demander une contribution à Facebook en contrepartie des informations pourtant vitales dont ils l'alimentent.

You Tube procède de même dans le domaine de la production et de la diffusion de contenus multimédia proposés bénévolement par des millions de créateurs. Ceux-ci sont reconnaissants au serveur du fait d'être mis en ligne, ce qui leur procure une petite notoriété immédiate. Mais ils ne se rendent pas compte du pouvoir énorme qu'ils confèrent sans le savoir aux responsables du serveur grâce aux utilisations commerciales et politique des données ainsi fournies.

Tous ces serveurs, comme les dizaines d'autres qui naissent et disparaissent régulièrement, attirent l'adhésion de la masse de leurs contributeurs en offrant un service gratuit de publication et de référencement. Ils ne se rémunèrent (officiellement tout au moins) que sur les services de publicité offerts aux entreprises intéressées par l'exploitation commerciale de ces données

Il faut voir que dans tous ces cas, comme plus généralement dans l'informatique professionnelle et scientifique, se sont construit dorénavant des « nuages » de données qui interconnectent et manipulent les milliards d'informations élémentaires ainsi fournies, souvent inconsciemment, par les acteurs sociaux et citoyens. Ce sont des agents informatiques complexes, répondant au nom générique d'algorithmes, qui exploitent ces usages. Ils en tirent des informations stratégiques utilisables en tous domaines : création de nouveaux services, de nouveaux marchés et profits, de nouveaux assujettissements aussi, dans le domaine notamment du contrôle à des fins commerciales, idéologiques et militaires.

Dans la concurrence entre serveurs et propriétaires de ces serveurs règne la loi selon laquelle le premier gagnant emporte toutes les mises. Se construisent ainsi des monopoles quasiment indétrônables, se jouant des limites territoriales et réglementaires éventuellement imposées par les Etats. On voit ainsi progressivement émerger quelques milliers d'individus super-puissants et super-riches, dominant des milliards d'individus sans pouvoirs, petit à petit dépouillés des moyens dont ils disposaient précédemment pour se donner des activités génératrices de revenus minimum. Jaron Lanier à cet égard est particulièrement sensible à ce qu'il nomme la disparition des classes moyennes, celles ayant construit notamment le « rêve américain ». Il ne leur restera plus désormais, dans un avenir proche, que le chômage ou des assistances sociales de plus en réduites car privées de bases.

Jaron Lanier est assez clairvoyant pour ne pas attribuer cette disparition des classes moyennes et des activités dite de l'économie réelle à la seule extension de l'économie virtuelle. Elles tiennent aussi au phénomène plus général de la robotisation et du remplacement des méthodes industrielles traditionnelles par des techniques de production directement inspirées de l'économie numérique. Il prévoit ainsi, dans les années à venir, que les techniques dites de l'impression 3D, qui selon des vues optimistes, devraient permettre la fabrication en tous lieux d'outils et de produits finaux les plus variés à partir d' « imprimantes » utilisant des matières premières synthétiques et pilotées par des programmes informatiques éventuellement fournis sur le web. Il ne s'agit pas d'un rêve puisque désormais il est proposé aux amateurs d'armes à feu de réaliser chez eux des armes plastiques qui, si elles n'ont pas la résistance de l'acier, permettent cependant très convenablement de tuer.

Jaron Lanier n'est pas le seul à évoquer les risques de la robotisation, si du moins celle-ci est utilisée systématiquement et sans précautions pour remplacer des emplois humains. Nous abordons régulièrement ce thème sur notre site. Il considère pour sa part, sans doute non sans raisons, que si la fabrication des robots comme celle des programmes dont ils sont dotés exigent un grand nombre d'emplois qualifiés, ceux-ci ne seront pas cependant en nombre suffisant pour compenser les pertes d'emplois supportées par une main- d'oeuvre moins qualifiées. A nouveau, il voit là se précipiter la disparition de classes moyennes qu'à juste titre il voudrait combattre.

Dans cet esprit, il s'élève avec virulence contre le mythe de la Singularité, censée pouvoir apporter l'abondance à tous dans un avenir proche grâce aux développements exponentiels et convergents de toutes les technologies. Pour lui, et sans doute là encore a-t-il raison, la Singularité, si elle se produit, ne bénéficiera qu'à une petite minorité, au pire quelques milliers de « geeks » de la Silicon Valley, au mieux quelques rares entreprises monopolistiques disposant du pouvoir technologique acquis par l'exploitation sans contreparties des anciennes compétences des classes moyennes.

Des remèdes quelque peu utopiques

Pour remédier à la situation de déséquilibre qu'il dénonce dans ce présent livre comme dans le précédent, Jaron Lanier refuse cependant d'en appeler à des interventions citoyennes, éventuellement relayées par des réglementations publiques, visant à rétablir un minimum d'égalité entre personnes, entreprises et pays. Il s'était fait connaître dès les années 2005 par sa dénonciation de Wikipedia et plus généralement des logiciels libres, dans lesquels il voit la encore, sous le mythe de la gratuité, l'emprise de quelques « connaisseurs » favorisés n'hésitant pas à priver les professionnels de leurs compétences anciennes.

C'est ainsi, a-t-il écrit, que les auteurs anonymes de milliers d'articles publiés sur Wikipedia ont contribué à ruiner les anciennes encyclopédies et conduit au chômage leurs auteurs. Il est indéniable que le gratuit finit toujours par être payé par quelqu'un. Cependant, faut-il pour autant condamner toutes les activités bénévoles, surtout si celles-ci reposent sur une tendance apparemment depuis longtemps inscrites dans les gènes animaux et favorisant l'empathie et le partage. Même si le mouvement des logiciels libres a perdu quelque peu de son dynamisme, face au renforcement des monopoleurs traditionnels, Microsoft, Apple, Amazon, sans mentionner IBM dans le domaine de l'informatique en nuage, il conserve tout son intérêt. Quand au foisonnement de Wikipédia de par le monde, même, si ce dernier comporte quelques erreurs ou manipulations, il reste un outil irremplaçable de la culture sur le web.

Plus sérieusement, Jaron Lanier propose pour supprimer l'inégalité structurelle entre les auteurs ou créateurs de données publiant gratuitement et les serveurs qui font du profit en exploitant sans contreparties les informations que les premiers ont mis en ligne, de réaliser une indexation en double sens. Un système d'identification greffé sur le web actuel devrait permettre de connaître non seulement les auteurs mais les différents personnes ou entreprises qui utiliseraient les données, textes ou images ainsi fournies par ces auteurs ou à partir d'eux. De mini-rétributions seraient alors calculées et versées par un système de facturation universel, dans le sens de l'achat comme de la vente, en provenance ou à destination de millions ou dizaines de millions d'utilisateurs du web. Jaron Lanier compte sur la puissance, en croissance exponentielle, des réseaux d'ordinateurs mondiaux pour pouvoir accomplir, en parallèle à leurs autres fonctions, ces tâches titanesques.

Nous pensons pour notre part qu'il ne faut pas connaître la complexité des opérations commerciales en ligne, fussent-elles les plus simples, pour proposer un tel système. Ceci ne devrait pas empêcher de réfléchir aux solutions susceptibles d'apporter des réponses aux vrais problèmes évoqués par Jaron Lanier, dans la suite du développement de plus en plus inégalitaire du web. Il en sera de même des tensions qui naitront inévitablement de l'extension de la robotisation. Celle-ci, sauf en cas de catastrophe politique de grande ampleur, détruisant les centres serveurs et les réseaux, constituera le paysage technologique (ou pour reprendre notre vocabulaire), le paysage anthropotechnologique des prochaines décennies. Mieux vaut s'y préparer.


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