Woyzeck [ Je n’arrive pas à pleurer ]
par Orélien Péréol
mercredi 27 mars 2013
Spectacle théâtral d’après Georg Büchner, adaptation, écriture, mise en scène par Jean-Pierre Baro avec Simon Bellouard, Cécile Coustillac, Adama Diop, Sandrine Moindrot, Elios Noël, Tonin Palazotto… Au Sylvia Montfort jusqu’au 6 avril 2013. Le 16 avril, Théâtre de Cornouilles à Quimper.
Jean-Pierre Baro a mêlé deux sources très hétérogènes pour faire ce Woyzeck : le texte de Büchner (ou une partie) et un texte qu’il a bâti à partir des propos de sa mère. L’idée de ce collage ou mieux mixage est des plus surprenante.
Woyzeck part d’un fait divers, d’un crime passionnel, dans un milieu prolétaire. Le prolétaire n’a que sa force de travail. Le mot prolétaire signifie que sa seule richesse est sa progéniture. Le mot prolétaire est de la même famille que le mot prolifique. Le prolétaire le plus connu est l’ouvrier, à tel point que la plupart du temps prolétaire et ouvrier se confondent.
Jean-Pierre Baro a écrit l’histoire de son père, Je n’arrive pas à pleurer. Son père, ouvrier sénégalais a sombré dans l’alcoolisme et la folie, jusqu’au meurtre, comme Woyzeck. Cette notion du prolétaire rassemble et croise les deux récits ou portraits.
Le prolétaire est socialement en dessous de tout. Sa vie lui échappe, est commandée par la survie, la recherche difficile du minimum. Woyzeck ne le supporte pas. Büchner a écrit la dévastation mentale de Woyzeck dans cet état de prolétaire, l’impossibilité de vivre, la distance infernale du reste du monde, la coupure. « Il court comme un rasoir ouvert, on pourrait s’y couper ». Dit le capitaine à propos de Woyzeck. « On ne peut rien contre l’alcool » dit en substance la maman… Le papa reçoit des courriers du Sénégal. La famille lui demande de l’argent, toujours de l’argent, poliment d’abord, puis en suppliant, puis en menaçant, voire en insultant… des lettres et des lettres… pression insoutenable.
Un seul acteur joue les deux protagonistes, Woyzeck et ce papa sans nom. Tout comme la mère, elle le dit à un moment, on ne voit pas toujours qu’il est noir. Il n’y a pas de raison pour qu’un acteur noir ne joue que des rôles de personnages noirs.
Les scènes de danse et de séduction qui exacerbe la passion, au sens de la souffrance, de Woyzeck sont magnifiques d’intensité, donnent la chair de poule… La scène change de rôle à tout instant, chambre avec le bébé, café avec le juke-box, salle de danse… La mère est hors tout cela, à une table à jardin, que rejoindra à la fin, Marie, la compagne infidèle de Woyzeck…
Jean-Pierre Baro appelle fiction le texte de Büchner et réel l’histoire de son père. Il veut passer de l’un à l’autre. Ces deux fils de fictions sont bien tissés dans un spectacle fort et agréable, même si cet adjectif peut paraître saugrenu. Il n’y a rien de didactique, rien sur ce qui fait qu’un metteur en scène monte un texte, pas de supériorité d’un texte sur l’autre, les deux fils sont chaînes et trames d’un spectacle d’une belle unité.