« Milady » ? Qualité française sans académisme…

par Vincent Delaury
lundi 15 janvier 2024

À l’attaque ! « Les Trois Mousquetaires : Milady » (2023, Martin Bourboulon)

Les Trois Mousquetaires : Milady cartonne en salles en France, ayant déjà passé allégrement la barre des deux millions d’entrées (2 160 898 tickets vendus pour être précis, source : Le Monde du mercredi 10 janvier 2024, n°24578), ce qui, au vu de sa qualité (pour résumer, c’est de la qualité française sans académisme, s’avérant être une entreprise très habile dans l’alliage entre classicisme et touche contemporaine, exit le cinéma à la papa lénifiant), c’est largement mérité. Pour autant, parviendra-t-il à se rapprocher des 3 450 854 spectateurs du premier opus, sorti au printemps dernier, Les Trois Mousquetaires : d’Artagnan ? Score élevé (sans oublier le million d’entrées à l’international), d’autant plus par les temps qui courent (le septième art, en termes de divertissement, n’a plus la suprématie d’autrefois, notamment chez les jeunes), qui en avait fait le troisième film français le plus vu en 2023, arrivant juste après les très dispensables Astérix et Obélix : L’Empire du milieu et Alibi.com 2.

Aventures de cape et d’épée

Pierre Niney, prochainement à l’affiche du « Comte de Monte-Christo », d’après l’inspirant Alexandre Dumas

Et noterait-on, au passage, un retour – bienvenu – du film de cape et d’épée dans l’Hexagone ? Puisque, à côté de ces Trois Mousquetaires feuilletonesques, est sorti aussi récemment Une Affaire d’honneur (mettant en scène Roschdy Zem en maître d’armes à la fin du XIXe siècle ; sur les écrans depuis le 27 décembre dernier, un peu passé inaperçu, il a manifestement perdu le duel !), signé Vincent Perez, acteur athlétique (Cyrano de Bergerac, La Reine Margot, Le Bossu, Fanfan la Tulipe) dont on connaît le tropisme pour les défilés de pur-sang, l’amitié virile, les ruades explosives et l’esthétisme chorégraphié de l’escrime, âme affutée aimant, via sa mèche folle, brandir, avec fougue et espièglerie, le sabre à l’écran. En attendant, toujours conçu par la même équipe, à savoir Dimitri Rassam, 42 ans, issu du clan Rassam-Berri (fils de la comédienne Carole Bouquet et du producteur Jean-Pierre Rassam (Godard, Jean Yanne, Ferreri, Pialat…)), associé une nouvelle fois au tandem gagnant Alexandre de La Patellière/Matthieu Delaporte au scénario avec toujours pour source d’inspiration Alexandre Dumas : Le Comte de Monte-Christo, prévu pour décembre 2024. Avec Pierre Niney dans le rôle-titre pour cette adaptation prometteuse au tournage terminé dernièrement : « Le film suivra le point de vue d’Edmond Dantès, le premier super-héros français, qui passe de la lumière à l’ombre, et devient l’incarnation du vengeur masqué. » Trois films en costumes d’époque au budget pharaonique de 35 millions d’euros chacun, sachant en outre que le deuxième volet des Trois Mousquetaires (©photos V. D.), avec sa fin ouverte, laisse clairement le champ libre à un troisième possible (en cas de succès confirmé de nouveau, ce qui semble bien parti, avec « Dumaxploitation » en vue) ; eh oui, scoop (attention spoiler) : Athos le comte de la Fère, et la belle Milady, l’espionne de Richelieu, ont eu un enfant ! Soit dit en passant, le revival, et filon ? (à voir sur la durée), de « la belle escrime » attire car il se dit que le talentueux Cédric Jimenez (La French, BAC Nord, Novembre), envisageait de donner sa propre version de la vengeance envoûtante d’Edmond Dantès mais, pris de vitesse, il a fini par abandonner son projet, dommage. 

Diantre, ce deuxième volet, nommé Chapter 2, à l’instar du nom de la société de production de Dimitri Rassam qui voulait depuis 2019 faire un classique en créant « un vrai événement au cinéma  » désireux d’imaginer deux volets des Trois Mousquetaires comme Claude Berri avec Jean de Florette et Manon des Sources (sachant que le rêve de ce grand enfant aux envies de fresques patrimoniales et populaires est de « créer un Indiana Jones »), focalisant cette fois-ci sur la femme fatale Milady de Winter, il est comment ? 

Film vu à l’UGC Ciné Cité Les Halles, Paname

Chouette, par Toutatis ! Franchement, encore mieux que le premier, plus vif, plus sombre et plus introspectif. Admirablement bien produit (l'image est belle, parfois picturale, comme le « tableau » des deux crucifiés sur la plage déserte surveillée, sans omettre les plans magnifiques liés au siège de La Rochelle, ni plus ni moins le climax de l’action du long-métrage - c’est là qu’on y croise, entre autres, Gaston d’Orléans, frère du monarque et félon fielleux). Les combats épiques, sont plus limpides, plus lisibles, ça va plus vite, exit l’exposition de rigueur de ses personnages et du contexte de guerre et de religion du premier, tout en étant moins brouillon - à l’exception peut-être, et ce sera vraiment ma seule réserve quant à cette suite menée à un train d’enfer grâce à une efficace mise en scène associant combats chorégraphiés et caméra mouvante, plans-séquences et scènes de bataille réalistes et brutales (D’Artagnan, bondissant d’un cercueil, ne cesse d’y courir ! Quitte à perdre en route une certaine intériorité), de la monstration trop alambiquée de toutes les forces en présence, à savoir catholiques, loyalistes et mousquetaires du roi, avec à leur tête l’ombrageux capitaine de Tréville (« Mousquetaires, vous êtes soldats pour mourir, je vous emmène là où on meurt »), convergeant tous en chœur, par le filtre d’intrigues un brin touffues, vers le siège de la Rochelle, fief fortifié des protestants républicains suspectés d’être au centre des machinations contre Louis XIII, sans qu’on comprenne toujours bien pourquoi.

Tout compte fait, les auteurs ont-ils pris en compte nos commentaires ? Du critique patenté au simple quidam - cinéma populaire bien calibré oblige. Cela se pourrait bien, puisque, dans Première #546, déc. 2023, p. 43 et 45, (propos recueillis par Gaël Golhen), le réalisateur Martin Bourboulon signale : « [Par rapport au premier] Cela étant dit, j’avoue qu’on a pris en compte le retour des spectateurs. On a choisi de proposer une colorimétrie plus lumineuse, plus claire et plus brillante suite aux avis sur le premier film. On voulait jouer davantage sur les contrastes (…). Et comme le premier film est sorti alors qu’on travaillait encore sur Milady, on a pu affiner au bon moment. » Puis : « Cela dit, là encore, on a pu faire quelques ajustements. Un peu à la manière de la colorimétrie, on a rééquilibré des choses sur les personnages eux-mêmes. On a aussi voulu redonner plus de place à Aramis [Duris] et Porthos [Marmaï], accentuer l’ambiguïté de Milady… Et on a dans le même temps amplifié certains partis pris qui nous semblaient bons et que le public avait bien reçus. Je pense au mouvement du film, à une certaine dynamique, un certain rythme…  » 

Qu’est-ce que ça raconte ? Du Louvre au Palais de Buckingham, des bas-fonds de Paris au siège de la Rochelle, ordonné par Louis XIII et commandé par le cardinal de Richelieu, une poignée d’hommes et de femmes, dans un royaume divisé par les guerres de religion et menacé d’invasion par sa voisine l’Angleterre, croisent leurs épées et lient leur destin à celui de la France. Martin Bourboulon présente ainsi la suite de son diptyque adapté de l’œuvre romanesque d’Alexandre Dumas : Les Trois Mousquetaires, Milady : « À la différence du volet précédent, note le cinéaste, le temps de l’exposition est passé. Il est ainsi possible d’aller explorer plus en profondeur chaque personnage et de comprendre ce qui les traverse. L’exploration de leur âme prend plus d’ampleur dans cette partie. La dualité entre l’amour et la mort est permanente. » Constance Bonacieux est enlevée sous les yeux du mousquetaire D’Artagnan. Dans sa quête effrénée pour la sauver, le jeune Gascon est contraint de s’allier à l’agent double, si ce n’est triple, Milady de Winter mais prenez garde : qui s’y frotte s’y pique ! Et, alors que la guerre est déclarée, ses frères d’armes, Athos, Porthos et Aramis, ont déjà rejoint le front. Par ailleurs, un terrible secret du passé, la nature reprenant toujours ses droits, va briser toutes les anciennes alliances.

Jolis chapeaux à plumes à la Cyrano, châteaux en veux-tu en voilà et caravelles toutes voiles dehors : on voyage agréablement, divertissement de bonne tenue, au sein du patrimoine français (Invalides, Louvre, cathédrale de Meaux, château de Chantilly, Fontainebleau, Compiègne, Remparts de Saint-Malo…), bref pourquoi bouder son plaisir, c'est de la belle ouvrage. Film historique, ne s’interdisant pas néanmoins quelques pointes de modernité, quitte à verser dans l’anachronisme (s'autorisant même quelques infidélités à Dumas, cf. le mousquetaire noir dénommé Hannibal (Ralph Amoussou), le parti pris féministe du film présentant Milady en victime des hommes ainsi que la sororité inattendue entre cette dernière et Constance Bonacieux), et qui, mine de rien, même en restant pour une bonne part attaché à l’œuvre dumasienne, parvient à évoquer des réalités d’aujourd’hui, tels les manipulations en hauts lieux, les coups d’État, les complotistes œuvrant dans l’ombre, une France animée par la peur, le terrorisme et l’utilisation des religions.

Vincent Cassel est Athos dans « Les Trois Mousquetaires : Milady »

Le western leonisé, du genre Sergio Leone présente avec peaux burinées et pas rasées, poussière virevoltante et costumes usés, est toujours revisité avec panache, dans cette suite ; voilà une entreprise (deux films en diptyque, pour un coût total de 72 millions d’€) qui ne manque pas de souffle, via des chevaux bien filmés, ça compte ! (eh oui, c'est quand même le plus bel animal au monde), la place idoine faite aux fantômes - cf. le retour d'une « morte » encapuchonnée (Milady), telle une épiphanie (pour le regardeur : Vincent Cassel, alias Athos, chevalier noir aspiré perpétuellement par l’effondrement), dans une forêt hivernale joliment miyazakienne - et une B.O. enlevée, même si le compositeur, selon moi, a écouté un peu trop le superbe score de Volte/Face, long-métrage stylé (1997) du maniériste John Woo, avec John Powell pour la B.O.

 

Eros et Thanatos : Milady (Eva Green) et D’Artagnan (François Civil) dans « Les Trois Mousquetaires : Milady »

Une Milady résolument féministe

On l’appelait Milady, comme revenue des enfers, dans « Les Trois Mousquetaires »

Les mousquetaires sont sexy, à chacun(e) son préféré ! Tous, à peu de choses près, trouvant bien leur place dans l’arc narratif. Eva Green (43 ans), de son côté, en séductrice sulfureuse, est diablement belle, vamp vénéneuse évoluant au bonheur des lames, particulièrement bien sapée, avec son allure préraphaélite, quand elle prend l’identité d’Isabelle de Valcourt (premier volet), et son look volontiers steampunk, comme si cette « ninja » était encore immergée dans l’univers de son cinéaste fétiche Tim Burton, de Dark Shadows à Miss Peregrine et les enfants particuliers en passant par Dumbo. Serpentine au possible, imprévisible avec ses piques d’humeur lorgnant vers la psychopathie, cette femme machiavélique, caméléonesque et insondable, voire même carrément infernale, hésitant constamment entre forces et fêlures, calcul et émotion, est assurément la lame damnée des mousquetaires : « Je ne souhaite à aucune femme une vie comme la mienne. » À la fois ange et démon dans sa quête de vengeance et de rédemption, ô combien experte de la dague traîtresse, de la bouche d'ombre et de la douche froide, on la suivrait partout, via sa fleur de lys marquée au fer rouge (après s’être enfuie de son couvent avec un jeune prêtre qu’elle aurait séduit), et ce jusqu'à la mort ! Du moment qu'on ait l'ivresse. Cette Milady de Winter, avec son dark background de survivante (ou du côté obscur de la force érotique), ses yeux de braise et sa gorge déployée, y réchauffe dangereusement le cœur des hommes... et pas seulement.

Promenons-nous dans les bois avec Milady (Eva Green), parmi « Les Trois Mousquetaires »

En y regardant de plus près, cette guerrière revancharde, qui puise sa force dantesque des trahisons et humiliations qu’elle a subies par le passé, est un vrai rôle de composition pour Eva Green, y interprétant un personnage retors bien typé, à la limite avouons-le du surjeu (quasiment dans le baroque), assez éloigné de sa propre personne, voire même à l’opposé de sa véritable nature, et c’est une actrice bien de chez nous - fille de l’actrice Marlène Jobert - au point d’être tellement convoitée par Hollywood (non seulement par le néo-gothique Tim Burton, qui prépare Beetlejuice 2 avec Monica Bellucci, autre vamp, cette fois-ci italienne, mais également adoubée, excusez du peu, par James Bond (Casino Royale), Ridley Scott (Kingdom of Heaven), Robert Rodriguez (Sin City), Noam Murro (300 : La Naissance d’un empire) et prochainement par Martin Campbell) qu’on aimerait, in fine, voir, au fond, plus souvent jouer dans l’Hexagone, souhait d'ailleurs partagé par l'intéressée elle-même : « J’aimerais avoir la force ou l’audace de certains des personnages que j’ai joués, dit-elle dans Aujourd’hui en France #8056 (mer. 13 déc. 2023, mots recueillis par Catherine Balle, p. 25). Je suis assez timide dans la vie… Ça va mieux maintenant, mais, enfant, j’étais très, très introvertie. Au début de ma carrière, les interviews me tétanisaient : je n’aime pas trop parler de moi et être dans la lumière », avant d'ajouter – « J’aimerais vraiment tourner plus en France. J’ai adoré récemment Titane de Julia Ducournau ou Le Règne animal de Thomas Cailley, j’aimerais jouer de nouveau avec Alice Winocour… Donc, je fais une annonce dans votre journal : ‌"Recherche travail en France" (rires) ». Message passé !

Lyna Khoudri et Eva Green dans « Les Trois Mousquetaires : Milady », une production Pathé soignée

Cinéma chevaleresque shooté aux hormones 

Distribution impeccable, du petit au grand rôle, même si, bizarrement, en étant alité pendant une bonne partie du récit, le bon copain ripailleur Porthos est comme hors-jeu, ou mis sur la touche. Un chouette travail, sinon, de Thibault Vinçon, bien habité par son personnage (Horace Saint Blancard). Faut le revoir, cet acteur, il est bon. Puis, comme dans le premier, Louis Garrel y est cocasse en Louis XIII, monarque fat et savoureux à moitié benêt, avec ses saillies verbales décalées et drolatiques, du genre - « Comme en amour, il faut conclure là ! », l’entend-on dire, tout de go, à un Romain Duris au speech volontairement ampoulé lors de la scène du procès, à la courte durée bienvenue : emballé, c'est pesé ! Film déjouant haut la main les pièges de l’adaptation compassée avec une trame poussive traînant en longueur jusqu’à l’endormissement - tant mieux, comme si, en quelque sorte, c'était le roi en personne, maître des horloges aux pleins pouvoirs, qui décidait ici du timing filmique, bien vu.

Romain Duris et ses acolytes sur le tournage des « Trois Mousquetaires : Milady », 2023, de Martin Bourboulon

Justement, j'ai un petit faible là-dedans pour Duris (49 printemps). Le khôl aux yeux, et généreusement bagouzé, il a « keithrichardisé » avec succès Aramis, s’inquiétant ici pour l’honneur de sa sœur, religieuse amoureuse d’un soldat. Cool mais sans en faire de trop, le risque était de plagier l'abattage de Johnny Depp en pirate des Caraïbes déviant et rock'n'roll, ce qu'il ne fait pas. Sur l'échafaud en Angleterre (Palais de Buckingham), quittant D'Artagnan et sa belle Constance (François Civil le chouchou de ces dames depuis son rôle de kiné doudou dans En corps (2022) et Lyna Khoudri, au joli profil dessiné, en contre-jour, de cygne), regardez bien sa posture, classieuse, et sa sortie de plan, subtile ; en bon relayeur, il assure bien, en mâtinant présence et absence. se mettant délicatement en retrait du duo amoureux, s'évanouissant à droite par le bord de l'image. Ce plan, le montrant en arrière-plan !, et en légère contre-plongée, particulièrement bien senti, est splendide.

Ma foi, c'est un film français qui, question charisme, amplitude narrative et réalisation, n'a rien à envier, avec son esprit chevaleresque chevillé au corps et son côté « marvellisation » revendiqué de l’univers de Dumas, au meilleur des productions hollywoodiennes mainstream ; de toute évidence, Bourboulon progresse de plus en plus depuis son dépoussiérage plutôt malin du genre de la comédie sur le divorce avec Papa ou Maman 1 et 2 et son film historique romanesque un poil trop scolaire Eiffel. Et cocorico, le storytelling cocardier a fait son petit bonhomme de chemin, puisque ces 3 Mousquetaires Chapter 2, sous pavillon Pathé, sont parvenus, malgré la concurrence yankee (Wonka) du moment, à se faire le « French blockbuster de Noël » : youpi, on peut bomber le torse et battre le fer, sans sentiment d'infériorité, avec les Ricains ! Et non pas en lorgnant sur leur propre terrain, hein : pour rappel, les mousquetaires de cape et d'épée, Saint-Malo (on y voit bien sa citadelle ainsi que sa plage de l’Éventail avec ses fameux pieux verticaux en bois dignes d'une installation de land art !) et Alexandre Dumas (rendons à César ce qui lui appartient), c'est notre territoire, notre Histoire de France et de Navarre, notre littérature, notre patrimoine, entre réalité et mythologie. Et toc ! Du 4 sur 5 pour moi.

Les Trois Mousquetaires : Milady (2023 – 1h55). Film d’aventures franco-germano-hispano-belge. Couleur. De Martin Bourboulon. Avec François Civil, Vincent Cassel, Eva Green, Romain Duris, Pio Marmaï, Jacob Fortune-Lloyd, Lyna Khoudri, Éric Ruf, Louis Garrel, Vicky Krieps, Marc Barbé, Julien Frison, Patrick Mille, Camille Rutherford, Thibault Vinçon, Alexis Michalik. En salle depuis le 13 décembre 2023. 


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