À en perdre la boule…

par C’est Nabum
samedi 31 octobre 2020

Un tour de cochon.

Tout commença par une partie de pétanque. Mon beau-frère était alors un passionné de ce jeu, entraîné qu’il avait été par des camarades qui se retrouvaient tous les soirs après le travail pour taquiner le bouchon. Quand le sale gosse que j’étais, toujours flanqué dans ses basques, voulait absolument le suivre, il me mit des boules dans les mains pour avoir la paix. Il y avait là quelques gamins de mon âge qui eux-aussi préféraient ce jeu aux devoirs du soir.

C’est curieusement une vieille voisine qui provoqua ma perte. Pour une occasion solennelle dont je n’ose avouer l’origine, je reçus un matin à l’aube, un petit sac noir contenant trois boules et un cochonnet. Je me licenciai aussitôt à ce qui pour ses adeptes est un sport et pour beaucoup d’autres, un loisir associé à l’été et au pastis.

Pour le pastis j’étais trop jeune et par chance pour ma santé, tombant ensuite dans le rugby, je ne pris jamais plaisir aux boissons anisées. C’est ainsi que je trouvais du temps pour me rendre à quelques concours, traînés par des adultes dont les parties n’en finissaient pas. Je compris assez vite que la compétition bouliste était pour chronophage encore davantage que bien d’autres distractions auxquelles j’aimais à m’adonner.

C’est donc en amateur que régulièrement, je mettais les pieds joints dans un rond qui n’était pas encore un cerceau. Pour ma plus grande honte, je ne faisais que pointer tandis que les tireurs ont toujours constitué l’aristocratie de l’activité. Je m’en tirais d’ailleurs pas trop mal même si rarement mes boules comptaient à la fin de la mène, ayant été fracassées par les obusiers de la bande. Qu’importe, j’avais apporté ma contribution initiale.

Les années passèrent, la petite trousse effectuait de rares sorties estivales. D’autres loisirs avaient alors le vent en poupe. Mais jamais, ô grand jamais, il n’y eut une année sans partie de pétanque avec des amis. Mon parcours professionnel me conduisit alors dans un quartier dit défavorisé. Les élèves ignoraient tout de ce jeu éminemment culturel et facteur d’intégration. Dès lors, chaque mois de juin, je proposais un cycle pétanque avec un concours final le dernier jour de l’année scolaire.

Des amis, des collègues me fournirent amplement en boules de manière à équiper des gamins dont la plupart n’avaient pas de boules chez eux. Si au début, il y avait eu beaucoup de moqueries dans les rangs des enseignants, bien vite, chacun comprit qu’il n’était vraiment pas inutile d’initier une partie de cette jeunesse expatriée, à un loisir qui fait lien social. Un club : la pétanque argonnaise, fut créé peu de temps après, dans un de ces quartiers pour remplir bien mieux que moi cette mission.

Je changeai de quartier, mes boules suivaient. A vrai dire, je ne jouais plus à la pétanque que dans le cadre de mon travail, un mois par an. C’était devenu non seulement un rituel mais une réponse à la sollicitation des élèves qui attendaient ce moment. J’avais alors une grosse caisse pour transporter un équipement qui ne tenait pas dans une trousse.

Ce fut ainsi toute ma carrière ou presque jusqu’à ce qu’un jour, je perde non seulement ma petite sacoche noire de mon enfance mais toutes les autres boules glanées au fil des dons. Ça tombait bien, j’allais prendre une retraite que bien peu qualifièrent de méritée. À la contrariété de cette disparition qui se passa dans un club de Rugby voisin du terrain où je venais jouer avec les élèves, je découvris assez vite nulle envie de m’acheter une triplette pour continuer de jouer.

J’avais perdu mes trois boules, uniques et essentielles, chargées de nostalgie et associées à tant de personnes disparues. Il n’était pas question de remplacer celles qui portaient quarante années de souvenirs. Je me retrouvai définitivement fanny. Seul l’espoir illusoire de les retrouver me permettrait de remettre les pieds dans le rond dessiné au sol. Le cerceau pour moi, étant de trop !

Pétanquement vôtre.

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