À l’ombre des gratte-ciels en pleurs

par olivier cabanel
mardi 3 mai 2016

Et si l’Amérique n’était pas celle que l’on nous vend : celle du rêve qui se réalise, celle d’un progrès qui ne connait pas de limite, celle d’une justice qui n’épargnerait personne quelle que soit sa couleur, son rang ?

C’est la question que s’est posé Michel Floquet dans son livre « triste Amérique  », clin d’œil aux tropiques d’un certain Levy-Strauss.

Michel Floquet était l’invité de Frédéric Taddeï dans son « Europe 1 social club » du 18 avril dernier.

La réponse qu’il nous donne est d’un réalisme glaçant et sur 320 pages, il nous brosse le tableau d’une Amérique qui n’est plus celle que l’on nous racontait, bien éloignée du rêve américain.

L’auteur, grand reporter, fait un bilan chiffré de la vie telle qu’elle se passe chaque jour aux USA, et nous propose pour ce pays une nouvelle devise : « malheur aux pauvres », à l’opposée de celle que nous connaissons (in God we trust)...

1 enfant sur 4 mange à la soupe populaire, le pays compte 50 millions de pauvres, ce qui n’est pas rien pour un pays de  300 millions d’habitants, 3000 personnes y meurent tous les ans faute d’une bonne alimentation, et jamais par le passé les inégalités ont été si fortes aux États-Unis.

Question enseignement, ce n’est guère brillant, et Barack Obama a terminé de payer ses études alors qu’il était à la Maison Blanche.

Il faut dire qu’il faut compter 40 000 dollars par an pour étudier dans une bonne université, ce qui exclue les plus pauvres, certains parents n’hésitant pas à mettre de l’argent de coté pour payer les études d’un enfant avant même qu’il soit né...

Question sport, Michel Floquet affirme que le football américain fait des ravages, et pas seulement chez les professionnels, expliquant que ce sport violent à fait 12 morts chez les lycéens en 2015 entre janvier et novembre.

Kenny Bui, un lycéen de Seattle de 17 ans est la 4ème victime de ce sport violent en un seul mois.

Avant lui, Evan Murray, 17 ans lui aussi, quittait ce triste monde, et quelques jours plutôt, on déplorait la mort de Ben Hamm, suite à un choc violent à la tête. lien

La NFL préfère provisionner des centaines de milliers de dollars pour les procès à venir que de prendre des mesures pour mettre un terme à la violence.

Question privation de liberté, on franchit des sommets.

Un noir sur trois va en prison au moins une fois dans sa vie, des vieillards paralytiques y purgeant des peines de 150 ans de prison : L’Amérique est la plus grande prison du monde, On trouve proportionnellement plus de personnes emprisonnées en Amérique qu’en Chine ou même qu’en Corée du Nord.

Un adulte sur 100 y est en prison...

Quand à la police, écrit le journaliste, on ne sait pas si ce sont des policiers, ou des militaires : ils ont récupéré les équipements militaires de retour d’Irak ou d’ailleurs, circulent dans les rues des grandes villes en véhicules blindés, équipés de fusils mitrailleurs et il n’existe pas de statistiques officielles sur le nombre de personnes tuées par la police. lien

On estime qu’un peu plus de 1000 personnes sont tuées chaque année par la police américaine, soit 3 ou 4 par jour. vidéo

Ils n’hésitent pas à tuer une personne menottée, d’une balle dans le dos, et 9 fois sur 10 ce sont des policiers blancs qui abattent un noir, tout ça restant totalement impuni, y compris sous les 2 mandats d’Obama. vidéo

Dans cette vidéo de quelques secondes, on ne peut qu’être scandalisé par la violence de ces policiers qui tabassent à mort une femme attachée.

Le « New York Times » constate que lors du dernier recensement : « il manque un million et demi de noirs  », il faut croire qu’ils sont morts, et c’est un peu comme si le pays était dans une guerre qui ne dit pas son nom. lien

Il faut reconnaitre que le fait de donner la possibilité à chaque américain de posséder une ou plusieurs armes n’arrange rien.

On compte aux USA 89 armes pour 100 habitants, et depuis le 1er janvier 2016, 3268 américains ont passé l’arme à gauche, révolvérisés par un voisin jaloux, ou par un truand. lien

Les États-Unis sont souvent à la pointe de l’innovation, mais pas toujours pour le meilleur : ainsi la société TLC K9 propose désormais aux familles de leur louer un chien spécialement dressé pour dénicher de la drogue.

Il en coutera aux parents une centaine de dollars et ils pourront utiliser ce chien pour aller fouiner dans la chambre de leurs adolescents, afin de débusquer d’éventuelles drogues...

Ce concept vient d’ailleurs de traverser l’Atlantique, puisque chez nos cousins germaniques, les particuliers peuvent louer, pour 95 euros, un chien détecteur de drogue. lien

je m’étais rendu à New-York, dans les années 70, lors d’un voyage qualifié d’étude...et j’avais vite quitté le groupe pour suivre un programme différent que celui proposé : visite de l’Empire stade building, de la statue de la liberté...etc, préférant me promener à ma guise dans les rues, les boulevards empruntant bus et métro, et déjà j’avais rapporté de cette semaine américaine une vision très différente de celle de mes confrères d’alors, comme si nous n’avions pas visité la même ville.

Frappé par cette phrase qui revenait sans cesse : « take it easy », « dont mind », etc qui reflétait bien l’état d’esprit des américains, ne s’émouvant pas d’un homme en train de vivre ses derniers moments, enjambant sans état d’âme l’homme agonisant sur le trottoir...du contraste frappant entre le marbre, l’alu, le verre des façades imposantes des immeubles, avec le trottoir fissuré laissant parfois échapper un rat,

encombré de poubelles débordantes, peuplé de cafards de taille impressionnante, et de cette pluie qu’on ne comprenait pas, ayant perdu la vision du ciel, dévoré par les gratte-ciels...imitant les new yorkais qui changeaient parfois de trottoir pour ne pas croiser d’imposants flics, veste ouverte, bedonnants, souvent obèses, la main sur le pistolet.

Et puis ces taxis jaunes, dotés d’amortisseurs à toute épreuve, rebondissant à l’infini sur les routes gondolées, entre les jets de vapeur qui sortaient du sol, ceux du réseau de vapeur qui chauffe toute la ville...

il est coutume d’affirmer que les américains ont 20 d’avance sur nous, et il faut bien reconnaitre que nous empruntons, à quelques détails près, le même chemin si l’on constate la multiplication de nos obèses, celle des fast-food, et la volonté américaine, avec ce TAFTA qui nous menace, de nous imposer leur mode de vie, en permettant aux entreprises américaines de porter devant la justice un état qui refuserait gaz de schiste, poulets chlorés, bœuf aux hormones ou OGM...lien

Aujourd’hui, près de la moitié des français sont en excès de poids (lien)...il y a 15 ans, ils ne correspondaient qu’a environ un tiers de la population. lien

En tout cas pour les observateurs, en 2020, la France aura rattrapé les États-Unis sur le chapitre de l’obésité. lien

Et pourtant, gardant un souvenir ému, lorsque un certain soir, tard dans la nuit, je découvrais dans un bistrot de Greenwich Village, la possibilité, moyennant un petit dollar, de découvrir le grand Charlie Mingus, jouant avec ses musiciens, sans se préoccuper des quelques clients qui, d’ailleurs, s’en désintéressaient eux aussi, s’arrêtant au milieu d’un morceau, pour discuter d’un arrangement... un workshop en quelque sorte. vidéo

Lorsque je quittais l’établissement, un attroupement s’était créé au milieu de la rue, un homme juché sur une caisse jouait au tribun, refaisant le monde.

Il devait être 3 heures du matin...

Une autre Amérique.

Dans la marge, celle là... celle d’un espoir d’une vie différent.

En effet, tout n’est jamais définitif, si l’on se réfère à la mésaventure de la compagnie pétrolière, NorthWest LNG qui s’est vu refuser le monumental « pot de vin » qu’elle proposait à une petite communauté d’amérindiens.

Cette compagnie voulait créer un port pour le transport du gaz naturel liquéfié, projet de 36 milliards de dollars, et avait proposé 1 milliard aux Lax Kw’ Alaams, petite tribu de 3600 membres, lesquels ont dit non à « cette offre généreuse » en disant : « ce n’est pas une question d’argent, l’enjeu est environnemental et culturel  », craignant une dégradation de leur terre sacrée, et la disparition de leurs saumons sauvages.

Bien sur la compagnie pétrolière n’entend pas en rester là, et veut tenter d’autres négociations. lien

Comme dit mon vieil ami africain : « celui qui n’a jamais vu de château admire la porcherie  ».

« Triste Amérique  », édition les Arènes

L’image illustrant l’article vient de meyrolian.wordpress

Merci aux internautes pour leur aide précieuse

Olivier Cabanel

Article ancien

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