Au pied de la lettre

par C’est Nabum
mercredi 26 mars 2014

L'ordre en question

L'iniquité permanente !

Poursuivant une œuvre de salubrité publique sans que quiconque ne m'ait jamais demandé quoique ce soit : ce qui est le b. a.-ba de l'ingérence gratuite, je me fais fort de pourfendre l'un des redoutables bastions de l'inégalité, du privilège de naissance et de l'iniquité permanente. Le sujet est d'autant plus sérieux qu'aucune voix ne semble s'élever dans ce pays en période électorale, comme en-dehors, pour mettre en cause cette position acquise, héritée de la civilisation grecque et qui perdure au-delà de l'acceptable.

Quand le lait est tiré il faut le boire disait l'aleph qui n'était pas pourtant un grand spécialiste en la matière. C'est de là que vint la plus grande injustice qui soit : celle qui place la zibeline au dernier échelon de l'espèce alors que l'abbé est en excellente position, sans qu'il existe la plus petite raison qui puisse justifier la prépondérance du second sur la première ...

Mes propos demeurent sibyllins pour celui qui prend en toute honnêteté, au pied de la lettre, ces remarques volontairement abracadabrantesques destinées à égarer le lecteur innocent. N'ayez crainte ; je vais remettre immédiatement de l'ordre dans ce fatras. C'est de l'alphabet que je me plains et de son classement qui s'impose à tous et en toutes occasions, pour tout et n'importe quoi.

C'est l'alpha et l'oméga du rangement établi pour l'éternité, un privilège qui place l'âne bien avant le pauvre mulet. Chaque année, le même ordre immuable fait que les enfants Abana passeront toujours bien avant les rejetons Yacoub pour une multitude d'obligations diverses. Une semaine d'angoisse et d'attente de plus pour ceux qui sont rejetés au fond de la classe lors des examens.

Mais s'il n'y avait que ces rendez-vous exceptionnels, la chose serait supportable. La discrimination se répète à longueur de vie avec une régularité sans surprises ni changements qui ne cesse d'imposer toujours une prédominance des uns contre tous les autres. C'est dans le domaine scolaire que ce désordre éthique se fait le plus prégnant. L'ordre alphabétique est souverain en tout : pour l'appel, pour les notes, pour le bulletin et surtout pour l'ordre d'entrée en scène lors du redoutable conseil de classe.

Déjà, en ce qui concerne les appréciations écrites ou dactylographiées, les premiers sont toujours mieux servis que les derniers. Au fil des lettres qui s'égrainent, la plume se fait lourde et la main aussi. Le commentaire perd de sa finesse pour s'embourber dans des pesanteurs qui n'honorent ni le rédacteur ni le concerné. La litanie des griefs transforme un honnête professeur en un procureur général inflexible quand arrive le fond de l'alphabet.

Mais, c'est lors de la cérémonie du conseil de classe, celle qui scelle le sort des élèves, que l'injustice atteint l'insupportable en frappant toujours les mêmes, les repoussés au bout de ce classement absurde. Les têtes de liste bénéficient de la fraîcheur des acteurs ; on leur accorde temps et mansuétude, on examine tous les éléments pour établir un avis circonstancié. Puis, l'heure tournant, la fatigue pèse et les estomacs gargouillent. Les derniers cas sont expédiés au pas de charge à cause d'une dernière lettre qui vous place, à chaque fois, dans la portion congrue. À niveau égal, l'élève Zeus risque plus sûrement de se retrouver en enfer que son petit camarade Belzébuth …

L'éducation Nationale n'est pas la seule à se trouver prisonnière de cet incroyable carcan. Les circonstances sont multiples dans nos vies quotidiennes. De l'annuaire téléphonique à la liste électorale, de la convocation la plus insignifiante à l'appel pour la journée citoyenne, l'alphabet domine tout rangement et vous permet de passer vite ou bien de vous morfondre toute votre vie.

Il serait simple de procéder à un tirage au sort pour déterminer la lettre initiale : celle qui n'accordera un privilège que pour cette fois, sans renouveler la chose ad vitam æternam. Il est aussi possible d'alterner simplement les lettres de départ, en bonne intelligence et honnête justice.

Un combat d'arrière-garde, sans doute, dont ne se préoccupent guère nos chers responsables, qui ne voient jamais plus loin que le bout de leurs initiales. C'est en tout cas une bataille pour l'égalité qui mérite enfin d'être menée.

Alphabétiquement vôtre.


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