Bien seul dans la foule
par C’est Nabum
samedi 21 septembre 2013
Festival de Loire
L'incongruité de ma posture !
Ma passion pour la Loire ne peut être remis en cause et pourtant, sur ce Festival, je ne me sens nullement à ma place. J'ai passé l'après-midi à errer dans la foule qui déambule sans but. Étrange sentiment de solitude au milieu de la multitude. Décalage inexplicable entre le désir et le réel, le possible et le faisable. Raconter des histoires au cœur de ce capharnaüm bruyant est une pure folie et je dois cesser de m'y accrocher. Je ne suis pas de cette fête, cette certitude a vaincu ma détermination à passer outre mes multiples réserves.
Il est vrai que j'ai tout fait pour me retrouver au pied du mur. Écrire sa vérité, se poser en témoin à distance d'une manifestation où il n'y a que deux places : acteur ou spectateur m'a conduit à me trouver en porte à faux avec cette évidence qu'il n'y a pas de place pour un autrement. Je ne peux jouer le marinier qui fait semblant d'être d'une autre époque, qui navigue en toile de fond pour créer le décor. Je les regarde tourner en rond, répéter sans lassitude le même geste et je me sens incapable de les imiter.
Je devine que je me suis offert quelques nouvelles inimitiés. Des dos qui se tournent, des mains qui ne se tendent pas sont les petits signes que le rôle du témoin acide n'est pas apprécié. Il a peut-être blessé ou contrarié, il a sans doute agacé et exaspéré à juste titre. Il faut choisir son camp et s'y tenir. L'entre-deux n'est pas de cette fête.
Je me suis retrouvé marinier à pied pour ne pas avoir voulu jouer le jeu du badge, de l'inscription et de l'obéissance. Je ne peux me couler dans un moule, je ne supporte pas les carcans, je m'emporte à l'approche des représentants du moins pouvoir. Ici, il est préférable de faire risette ou pour le moins bonne figure. Chanter et boire, naviguer et jouer aux gars d'autrefois en gommant toutes les aspérités qui ne manquaient pas d'exciter à l'époque.
Ma posture de bonimenteur c'est justement la mise en abime de cette comédie. C'est jouer à faire semblant tout en se plaçant juste à côté, c'est déformer le prisme pour prendre à témoin celui qui écoute sans jamais le rendre dupe de la supercherie. C'est une construction à la Pirandello, bien trop complexe pour être totalement comprise.
Alors quand le clown ne fait plus rire, il est repoussé. Il y a une maille pour ce jeu d'équilibriste des mots et de l'histoire. La foule du Festival de Loire me jette à terre. Je n'ai ni le talent ni le charisme pour créer l'illusion, accaparer l'attention de gens qui ne veulent surtout pas qu'on leur prenne la tête. Je m'en suis rendu compte avec les trois groupes de collégiens dont j'ai traîné les mauvaises têtes dans l'après-midi. Je n'ai vu qu'eux quand sans doute, il y avait des gamins qui prenaient plaisir à découvrir la fête et mes explications.
Mais il y a ceux qui considèrent le verre à moitié plein quand l'autre pense qu'il est bientôt vide. Je suis sorti rincé de ce combat inutile aujourd'hui. Les élèves ne pensaient qu'à se disputer, se bousculer, consommer éventuellement mais certainement pas prendre des informations. Chaque bateau était pour eux un bien inutile objet puisqu'ils ne pouvaient pas y monter. Chaque chant de marin entendu était forcément l'expression aberrante d'un goût incompréhensible pour eux. Chaque tenue marinière était férocement ringarde, eux qui sont dans l'apparence et gomina.
Pourquoi les autres groupes n'avaient pas réagi ainsi ? Je n'en sais rien. La sortie n'a peut-être pas été assez préparée par les accompagnateurs à moins qu'elle fut vécue comme une corvée ou une manière de fuir le collège. Les élèves ne pouvaient écouter, emportés qu'ils étaient par ce premier jour de beau temps depuis quelques jours. La foule était pour eux le signe manifeste de la possibilité de ne faire que ce qu'ils voulaient …
Les explications sont nombreuses et j'ai pris de plein fouet cet échec manifeste. Que je me retrouve ensuite en décalage avec cet endroit n'est pas surprenant. Entraîneur de Rugby, je ne supportais pas de rester sur place quand j'avais perdu une rencontre. La fuite a toujours été la réponse à la frustration et cet après-midi sur le Festival, ma frustration était immense …
Je vais prendre un peu de repos, je vais chercher à me ressourcer un peu. En tombant le costume factice, j'espère pouvoir devenir simple spectateur d'une mascarade que je ne peux jouer aujourd'hui. Je suis désolé de plomber votre joie. Je ne vous la reproche nullement, elle n'est pas mienne tout simplement. Demain sera un autre jour. La foule va grossir encore et encore. Il me faudra me préserver d'elle ou accepter de la fuir. Je ne trouve pas ma place dans son flux tumultueux !
Misanthropement vôtre.
Très belles photographies de notre Pirate de Loire